Alors que la sécheresse menace actuellement la majorité du territoire français, la gestion de l’eau par les territoires devient clef. Certains acteurs sont des pionniers dans l’utilisation d’outil numérique pour la gestion de l’eau notamment en Provence et en Touraine.
Du Verdon, situé au pied des Alpes, jusqu’à la côte méditerranéenne, le Canal de Provence fournit en eau, entreprises, exploitations agricoles et près de 2 millions d’habitants. Mais dans cette région souvent en tension, la ressource est précieuse. “La région a toujours eu des problématiques de sécheresse”, souligne Franck Sanfilippo, directeur des services de l’eau au sein de la Société du Canal de Provence. “Dès l’origine, il fallait se préoccuper de la gestion de la ressource, sans qu’il n’y ait aucun rejet en milieu naturel”.
L’IA pour s’adapter aux prévisions
L’objectif de la société : prélever dans le Verdon, uniquement ce qui est nécessaire à la consommation. Pour cela, le gestionnaire s’appuie sur tout un système de télégestion numérique, connecté, permettant en temps réel de suivre la situation sur l’ensemble des 220 km de canal et des 6000 km du réseau de distribution en aval. “Nous avons une multitude de capteurs de niveau, de suivi de la qualité de l’eau, de position de vannes, d’alarme”, explique Franck Sanfilippo. Tout est ensuite centralisé : “Nous avons des architectures de télétransmission qui nous permettent en temps réel de récupérer toutes ces infos fournies par les capteurs”.
Pour être au plus proche des besoins en eau de la région, la Société du Canal de Provence est capable de faire des prévisions de consommation en fonction de celles des dix derniers jours. Elles sont faites au quart d’heure près. “Grâce à la base de données venues des capteurs, et à des logiciels d’intelligence artificielle qu’on a créés, les vannes prélevant l’eau dans la ressource sont adaptées automatiquement, chaque quart d’heure, pour répondre aux stricts besoins des usagers”.
Un rendement de près de 90%
Cette télégestion que la Société du Canal de Provence appelle “régulation dynamique” est unique en son genre. Elle a été brevetée et est exportée à l’international dans des zones en forte tension en eau. “On mit en place le même système en Jordanie, dans la vallée du Jourdain, ainsi que dans la région de Marrakech au Maroc. On a apporté ce savoir-faire via des missions d’ingénierie”, explique Franck Sanfilippo, lui-même expatrié pendant trois années en Jordanie pour y développer ce système.
Dans ce printemps où la sécheresse a gagné une grande partie du territoire national, le Sud-Est de la France n’est pas épargné. En cas d’arrêtés préfectoraux interdisant certains usages de l’eau, ce système de télégestion permet d’adapter instantanément les prélèvements. Tout cela dans une logique de sobriété hydrique. Ainsi, le rendement est très élevé. “Avec ce dispositif, on a un rendement de l’ordre de 90%”, assure le directeur des services de l’eau de l’entreprise. “100% sur le transport jusqu’à l’unité de distribution, et on perd le reste dans le réseau de distribution, avec des fuites, des décalages sur les compteurs…”.
Des compteurs intelligents
Sur les milliers de kilomètres du réseau de distribution, la société est en train d’y déployer des compteurs intelligents. “On a aujourd’hui 65 000 compteurs, on va les mettre en compteurs connectés”. Grâce à eux, il va être possible de détecter les zones de fuite encore plus rapidement et de pouvoir lancer directement des opérations de maintenance corrective, pour diminuer les pertes d’eau. Cette logique de sobriété pousse la Société du Canal de Provence à s’inviter jusque dans les parcelles des agriculteurs : “Ce sont d’autres capteurs sur l’irrigation qu’on installe sur les parcelles des agriculteurs, des capteurs de flux de sève et d’humidité dans les sols, qui nous permettent de gérer le stress des plantes pour apporter les doses d’irrigation qu’il faut au bon moment, sans plus, sans moins”, indique Franck Sanfilippo. “On boucle tout, on travaille sur toute la verticalité de l’eau. Le prélèvement, le transport et la distribution et le pilotage de l’irrigation à la parcelle.”
Près de 500 kilomètres plus au nord, dans le Val de Loire, les compteurs intelligents sont également présents, cette fois, directement dans les logements. La société Tours Habitat, qui possède près de 14 000 logements en gestion directe dans la ville du même nom et ses alentours, utilise cette technologie depuis près de 8 ans. “L’idée était d’avoir un contrat global de consommation d’eau et de robinetterie. En récupérant les informations des compteurs intelligents, avec les contrats de robinetterie, on pouvait avoir une certaine sérénité dans la gestion des fuites”, raconte Romain Landais, responsable du service maintenance au sein de l’entreprise. Ce besoin est également venu de l’obligation d’individualiser toutes les charges.
“Notre fer de lance, la maîtrise des charges »
Auparavant, la répartition se faisait au tantième. C’est à dire, selon la taille du logement et non selon la consommation exacte. “Ceux qui étaient seuls dans un grand logement avaient une quote-part plus importante”, explique Romain Landais. “Aujourd’hui, on un prix de l’eau qui est facturé au locataire. Ça remet un peu d’équilibre et de justice sur le prix payé par logement”. Près de 26 000 compteurs volumétriques ont été installés par Tours Habitats avec une précision telle que détecter les fuites devient particulièrement aisé.
“Dès qu’il y a un débit d’eau constant, le compteur émet une alerte et le prestataire est informé”, assure Romain Landais. “Il doit ensuite contacter le locataire pour réparer la fuite. Le locataire n’a quasiment rien à faire”. L’écoulement à partir duquel une alerte est émise correspond à 0,5 L/h. “L’intervention prise en charge sont les mécanismes de chasse d’eau, joint de robinetterie, robinetterie. Quand c’est sur la tuyauterie, un plombier doit intervenir. Mais dans la quasi-totalité des cas c’est le mécanisme de chasse d’eau qui fuit”.
Faire de la pédagogie dans la gestion de l’eau
Ces compteurs connectés ont permis à Tours Habitat d’avoir une idée de l’ampleur des fuites qui existaient dans les installations. “Une fois que la fuite a été détectée, on sait combien d’eau a été perdue, ce qu’on ne savait pas avant. Là on est réactif à un niveau de fuite que le locataire ne voit parfois pas. Souvent lorsqu’on les contacte, ils ne s’en sont pas encore rendus compte. Mais derrière, ce sont des euros”. Au-delà de la détection des fuites, les données analysées par Tours Habitat, lorsque les locataires donnent leur accord, permettent aussi de faire de la pédagogie.
“On passe beaucoup de temps à analyser les consommations. Deux relevés nous sont envoyés par an”, indique Romain Landais. “Une fois qu’on a ces données, on est capables de détecter ceux qui ont des consommations anormales en termes de comportement. Ensuite on alerte ces locataires. Toujours dans une logique de réduction des factures et de préservation de la ressource. Quand il y a des réclamations, le fait de maitriser cette donnée, ça permet de pouvoir conseiller le locataire”.