Le DRH des années post-Covid est-il un « opérateur de l’inattendu » ? Et quelles sont les compétences qui peuvent lui permettre de s’imposer dans ce contexte ? Tour d’horizon.
Le DRH des années post-Covid est-il devenu un « opérateur de l’inattendu », selon la jolie formule de Jérôme Friteau, Directeur des relations humaines et de la transformation pour l’Assurance Retraite ?
Une chose est sûre, il doit sans cesse ajouter de nouvelles cordes à son arc et tout autant (sinon plus) que les autres salariés de l’entreprise, pratiquer la formation continue. Alors, à quoi ressemble le DRH de 2023 ?
1. Un DRH en prise sur les métiers
C’est l’éternel reproche formulé aux DRH : ils sortiraient peu de leur bureau et, ignorant donc les réalités des Métiers, recruteraient « à vue », alourdissant la charge des managers plutôt que les soulageant
Dans une récente étude HeyTeam (lire l’encadré ci-dessous), on peut entendre un manager déplorer que depuis 12 ans, les RH ne lui proposent « jamais » de profils intéressants pour ses recrutements. Mais surtout, il formule cette proposition constructive : « Il devrait exister un onboarding métiers, pour que les RH soient au contact des managers en immersion, qu’ils comprennent certains enjeux et soient opérationnel à ce moment-là. Tu ne peux pas être un bon RH si tu ne comprends pas le métier des gens. »
Une position qui trouve un écho chez Jérôme Friteau : « Soit les DRH sont issus du Métier, comme c’est mon cas, et dans ce cas forcément, cela fonctionne bien car on parle la même langue que le Business. Soit ils sont DRH « purs », avec le risque important d’être perçus comme des techniciens du juridique, de la paie ou du recrutement. On peut éviter cet écueil en investissant massivement à son arrivée sur la connaissance des métiers de l’entreprise. C’est important de se l’accorder, sous peine de voir naître un décalage. »
Catherine Regeffe, Head of People chez Golden Bees, vient elle aussi du métier – des fonctions commerciales plus précisément. Après une quinzaine d’année à convaincre des clients, elle a commencé à « chasser » des candidats. Entretemps, elle était passée par une étape entrepreneuriale : elle organisait des ateliers de gestion du stress en entreprise. Son évolution vers la sphère RH s’est faite naturellement et pas à pas, d’abord par le prisme du recrutement, avant de découvrir les (nombreuses) autre facettes de la fonction RH. « J’ai commencé par un poste de Talent Acquisition Manager, explique-t-elle. Le recrutement, c’est un métier à part entière, assez proche de la Vente à mon sens. Ensuite je me suis intéressée aux autres piliers : la paie, les relations sociales, le plan de formation, la RSE, la médecine du travail… J’ai compris que le DRH ne pouvait pas être le spécialiste de tout : ça n’existe pas. Il lui faut choisir ses combats et déléguer tout ce qui peut l’être. Bien s’entourer, donc ! »
2. Un DRH chef d’orchestre
Ce point de vue rejoint une autre « nouvelle compétence » du DRH, ou plutôt une compétence qui ne fait que s’exacerber : la capacité de lâcher prise sur certains sujets pour ne pas finir écrasé sous la charge de travail, noyé dans l’opérationnel et incapable de prospective.
Catherine Regeffe a suivi plusieurs formations consécutives et vient d’entamer un executive master à Science Po, pour « prendre de la hauteur sur son poste ». Elle est allée échanger avec ses pairs, aussi, pour construire et affermir sa vision du métier. Car être DRH n’a pas le même sens d’un individu à l’autre, ni d’une entreprise à l’autre. Plus ou moins stratège, plus ou moins influent au Comex… C’est une fonction qu’il faut « habiter » – à condition d’en avoir la latitude (lire notre encadré ci-dessous).
« Il ne faut pas craindre d’externaliser, une fois qu’on a compris les fondamentaux. Au fil du temps, vous choisissez les briques que vous voulez piloter en direct », résume Catherine Regeffe.
Jérôme Friteau confirme : « Jongler entre le court et le long terme, entre l’opérationnel et le stratégique, entre l’individu et le collectif, cet ascenseur-là est le cœur même du métier de DRH. C’est ce qui en fait toute la richesse. Nous avons besoin de nous entourer d’experts. Par exemple, en ce moment nous testons des ateliers de dialogue sur le travail : nous essayons d’identifier avec les salariés et toute la ligne managériale, des allégements possibles sur les process, sur le reporting. Nous construisons ce dispositif avec Mathieu Detchessahar, professeur des Universités à Nantes. »
3. Un DRH « étendu »
Cette capacité à s’entourer va au delà des équipes RH que l’on constitue et des prestataires que l’on choisit pour son SIRH, par exemple. Elle s’étend à tout l’écosystème du travail, à commencer par les médecins et psychologues. Ce n’est pas anecdotique : la santé mentale des salariés est reconnue comme une problématique qui enfle, dans toutes les études parues depuis 2020 et dans les chiffres récents de Santé Publique France. Même chez les startuppers, la question se pose : une DRH d’une jeune entreprise de l’économie circulaire nous indiquait récemment que sa pire angoisse était de ne pas déceler un burn-out chez l’un de ses collaborateurs, ne pas être là en support « au bon moment ».
Rappelons que la santé mentale des salariés ne repose pas seulement sur le bon vouloir de l’employeur : l’article L4121-1 du code du travail (2002) indique que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels (…), des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. »
Le DRH « étendu » peut s’entourer d’acteurs de la prévention pour répondre à des questions comme celles-ci, posées par Enderby en janvier dernier : les crises que nous traversons ont-elles un impact sur la santé psychologique des salariés ? Comment peut-on le mesurer ? Quand faut-il commencer à s’alerter sur la santé psychologique d’un salarié ? Quelles bonnes pratiques les DRH peuvent-ils mettre en place pour s’assurer de la bonne santé mentale des salariés ? Comment les managers doivent-ils être formés pour prévenir les risques psychosociaux ?
Et trois autres nouvelles compétences à cultiver :
- Le DRH 3.0 est « vert» : c’est sur lui que repose en partie la transformation environnementale de l’entreprise…
- Il est « Cyber» : ne craignons pas de le répéter, son rôle est majeur en termes de prévention. Une étude Cisco de mars dernier relève que seules 7 % des organisations françaises ont une posture de cybersécurité suffisamment « mature » pour se défendre contre les menaces du monde hybride (6 700 responsables de la cybersécurité du secteur privé interrogés dans 27 pays, dont la France). En France, les entreprises ont des résultats inférieurs à la moyenne puisqu’au niveau mondial, elles sont 15 % à avoir atteint le stade “mature”.
- Enfin, le DRH est « politique », dans le sens où on lui demande d’avoir un avis sur la façon d’intégrer certaines dimensions de la vie privée de ses salariés : convient-il d’aider les jeunes parents ? De soutenir les jeunes parents ? Les femmes atteintes d’endométriose ?
Pour Jérôme Friteau, tout l’enjeu est de passer de l’égalité à l’équité : « Pour personnaliser son approche, sans prendre le risque de multiplier les exceptions et/ou de créer un sentiment d’injustice pour les “oubliés”, le DRH doit travailler sur ces protocoles spécifiques en totale concertation avec les salariés. Nous l’avons fait pour les parents d’enfants de moins de trois ans et pour les salariés aidants, par exemple. Pour les salariés qui totalisaient plus de 3h de transport par jour, aussi. Si un besoin est collectivement reconnu et les critères transparents, cela se passe très bien. D’autant que par nature, ces situations sont temporaire. Chaque salarié tôt ou tard peut y avoir recours, comme en sortir. »
Trois études vont dans le même sens : les DRH sont soumis à une forte pression
Le 6e baromètre RH des éditions Tissot et de Payfit, publié en mars dernier, rappelle d’abord à quel point les DRH sont focalisés sur la guerre des talents : 69% d’entre eux placent le recrutement des talents en tête de leurs priorités 2023.
Il souligne aussi « un manque de reconnaissance » de la fonction RH : « Le quotidien devient de plus en plus difficile pour deux tiers des RH qui se sentent peu ou pas soutenus par leur direction et 80% qui se déclarent proches de l’épuisement. »
Et il vient pointer une déception : « 73% des RH interrogés se déclarent frustrés. La réalité de leur quotidien n’est pas à la hauteur de leurs aspirations : plus d’un sur deux (56%) consacre au moins la moitié de son temps à des tâches administratives »
L’étude porte une note positive toutefois : « La dimension humaine et sociale reste néanmoins le moteur de leur engagement. Plus de 9 sur 10 se sentent utiles dans leur mission et y trouvent du sens au quotidien. »
Une autre étude, signée HeyTeam (avril 2023), ne va pas leur remonter le moral.
« 71% des salariés considèrent que la fonction RH est plus utile à l’entreprise qu’à eux-mêmes. Seuls 10% des salariés font plus confiance aux RH qu’aux managers – et plus d’un salarié sur quatre (27%) ne fait ni confiance à son RH, ni à son manager. »
Par ailleurs, la relation entre RH et manager semble peu fluide : problèmes de communication, objectifs et visions différentes, missions qui s’élargissent pour chacun…
Une troisième étude récente (Accenture) brasse les réponses de près de 1 140 chefs d’entreprise et DRH de 12 pays. On y apprend que 89 % des dirigeants interrogés affirment que le DRH doit jouer un rôle clé pour assurer une croissance rentable à long terme. Cependant, moins de la moitié d’entre eux (45 %) affirment mettre en place les conditions permettant au DRH de le faire… »