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Compétences, rémunérations, contrats… Le plan pour réarmer le numérique de l’État

Schaer-Stéphanie

Stéphanie Schaer, directrice interministérielle du numérique

Stéphanie Schaer, directrice interministérielle du numérique, présidait le 9 janvier au lancement officiel du Campus du numérique public, avec une première séance d’ateliers et de formation à destination de près de deux cents directeurs d’administrations centrales. Invitée en décembre par Alliancy a prendre la parole lors de la remise des Trophées pour un numérique porteur de sens, elle fait le bilan de l’année 2023 pour la Dinum et trace les enjeux majeurs pour le numérique de l’Etat pour les mois à venir.

Quel est le plus grand motif de fierté au sein de la Dinum pour l’année 2023 ?

C’est clairement d’avoir donné un cap très clair pour le numérique de l’État, après un profond travail de co-construction avec les ministères et les agents. En mars 2023, nous avons publié la nouvelle stratégie numérique de l’État. Les quatre défis qui y sont soulignés sont très structurants. D’abord, engager une transformation profonde de nos organisations avec un vrai changement de méthode au sein de la sphère numérique pour plus d’agilité. Ensuite, renforcer les compétences numériques de l’État, en attirant les meilleurs talents et en développant le parcours de carrière des agents. Notre troisième défi est celui de l’exploitation de la donnée, qu’il soit question d’intelligence artificielle générative ou non. La donnée doit permettre de renforcer nettement l’action publique. Enfin, l’enjeu de préservation de la souveraineté de l’État sur le numérique reste au cœur de nos missions.

L’amélioration de la relation « IT-métier » est devenue centrale dans les organisations pour assurer la réussite de transformations à l’échelle. En la matière, sur quels sujets avez-vous vu le plus de changement depuis votre prise de fonction ?

La relation IT-métier est vraiment le point clé de notre premier défi des méthodologies de travail au sein de l’État. Au-delà des bonnes relations entre la Dinum et les équipes des ministères, nous préconisons dorénavant des équipes intégrées multidisciplinaires pour amener des cycles de développement plus courts et dynamiques. Au cœur de la méthode agile, il y a l’ambition d’avoir des interactions beaucoup plus intimes entre toutes les parties prenantes. C’est un changement structurel, qui revient à accompagner par du coaching les directeurs de projets SI et, surtout, à installer au quotidien de nouveaux indicateurs d’impact, plutôt que de moyens ou d’audiences des services.

Le lancement du Campus du numérique public vise à amener ces changements au sein de toutes les directions projets SI, mais également pour les directions métiers dans l’administration centrale. Ce sont ainsi 200 directeurs d’administration qui ont commencé à être formés sur l’intérêt du numérique pour la réussite des politiques publiques. Avec deux axes fondamentaux en 2024 : l’impact de l’intelligence artificielle et la nécessité de fonctionner en mode projet. Heureusement, nous ne partons pas non plus de zéro : avec Beta.gouv.fr et la dynamique des start-up d’État, beaucoup de personnes au sein des administrations ont déjà eu un avant-goût depuis six ans de ces méthodologies et de leur impact.

Comment la Dinum, devenue « DRH du numérique » en 2023, fait-elle face à la guerre des talents IT ?

Notre feuille de route s’inspire des recommandations du rapport de l’IGF CGE remis en juin dernier, sur la filière numérique de l’État. L’un des focus est la réinternalisation des compétences. Autrement dit : comment réarme-t-on l’État sur nos sujets numériques ? Cette orientation s’est déjà traduite par près de 500 créations d’emplois, dont 140 avaient été actées par la loi LOPMI en janvier 2023. Cela correspond aussi à la réinternalisation de 345 ETP qualifiés, pour lesquels nous avons besoin de sortir de la logique de prestation. La circulaire du 7 février 2023 sur l’appel à la prestation pour les projets numériques avait déjà été un relai important en la matière. Nous avons évidemment toujours besoin de travailler avec de nombreux prestataires, mais tout est une question d’équilibre. Aujourd’hui, nous estimons qu’au-delà d’un ratio de 60% de prestation sur un projet, il nous faut être vigilant et que si nous dépassons plus de 80%, le projet est en risque.

Cette volonté d’internaliser les compétences suffit-elle pour attirer ?

Cela s’inscrit dans une approche globale. Attirer et recruter revient déjà à ouvrir des postes et à donner de la visibilité sur le potentiel de nos projets. Ensuite, nous faisons face à un enjeu très important en termes de formation, et c’est le Campus du numérique public qui va nous permettre de le relever, en maintenant l’employabilité de notre vivier de compétences, en formant plus et mieux.

Nous ne pouvons pas ignorer non plus le sujet clé des grilles de rémunérations. Le facteur de l’intérêt général est évidemment crucial quand on veut travailler sur l’action publique. Et il existe un plaisir réel à travailler sur des sujets aussi importants que la planification écologique, l’égalité des chances, la sécurité du public… Mais en tant qu’employeur, nous nous devons aussi de proposer un niveau de rémunération valable. Si l’écart est trop important avec les pratiques du secteur, la volatilité créée est dommageable pour tous.

La dernière grille pour l’ensemble des professions numériques datait de 2021, mais a déjà dû être mise à jour, car les niveaux de salaire augmentent rapidement sur nos métiers. Une circulaire, publiée le 9 janvier, fixe ainsi un nouveau référentiel de rémunération pour les compétences numériques. Elle préconise également de revoir les conditions contractuelles. L’équilibre doit se trouver entre les fonctionnaires et les contractuels. Dans le privé, la règle est le CDI ; il est difficile de dire à un contractuel d’abandonner son CDI pour nous rejoindre, sous prétexte qu’historiquement la norme est pour nous le CDD. Pour des missions pérennes, nous devons donc aussi diffuser la pratique d’embaucher en CDI.

Enfin, l’attractivité d’un emploi vient aussi fortement de la culture de l’organisation et des méthodes qui y sont associées. L’agilité à laquelle nous œuvrons a ainsi un impact très important. Et nous sommes vigilants sur la définition des périmètres de responsabilités, sur les vocabulaires des fiches de postes, pour bien traduire cette nouvelle réalité. En sachant par ailleurs qu’il n’y a pas de difficulté sur le sujet du télétravail : il est exercé de manière générale deux jours par semaine, sans obligation, et avec possibilité de dérogation pour trois jours, si le domicile est à plus d’une heure de déplacement.

En 2023, vous avez mis en œuvre le concept de « brigade du numérique » pluridisciplinaire auprès des ministères : pour quelle finalité ?

La brigade d’intervention numérique permet d’apporter aux ministères des expertises précises, afin d’aller plus loin qu’un simple « coaching ». Cela a particulièrement concerné le sujet du cloud computing, qui est incontournable, avec des impacts profonds pour les développeurs. En 2024, nous mettons également une priorité claire sur la mise en accessibilité des sites et des démarches administratives. L’Etat va de plus en plus vers le numérique, et a bien conscience de l’enjeu d’inclusion que cela implique. Des personnes en situation de handicap ne doivent pas souffrir de cette transformation. Cela demande une expertise pointue que nombreux ministères n’ont pas en interne : avoir accès à des référentiels et des guides d’audit n’est pas suffisant. La brigade apporte ces compétences. C’est un travail qui contribue fortement à simplifier et fluidifier le parcours de tous les utilisateurs. On le mesure bien aujourd’hui à travers le site de suivi de la qualité de « vos démarches essentielles » qui montre la satisfaction des usagers autour des différents facteurs, critères et types d’usage. Les impacts sont publiés tous les trois mois, afin que chaque ministère puisse voir ses progrès et se comparer avec les autres.

Quelles sont les urgences en matière d’exploitation des données ? Votre datalab est-il amené à grandir rapidement ?

Notre priorité, c’est de créer les conditions de la proactivité. Dans la feuille de route gouvernementale, l’impératif d’une bonne circulation de la donnée entre les ministères est mis en avant, à travers les API, mais aussi la nécessité d’amener activement la donnée aux citoyens. Nous avons mis en place un guichet et une équipe dédiée pour les ministères qui veulent agir rapidement, en prenant en compte autant les enjeux légaux que techniques. Sur des sujets comme la tarification solidaire de l’électricité et de l’eau, on constate par exemple qu’avec la bonne donnée qui arrive au bon endroit au bon moment, il est possible de faciliter grandement la vie des citoyens, sans attendre qu’ils fournissent des justificatifs.

La thématique de l’intelligence artificielle générative sera par ailleurs importante pour le Datalab en 2024, qui l’a investi dès l’été dernier en lançant la création d’Albert, notre IA souveraine. Mais je tiens à souligner que cela n’empêche pas de montrer également aux administrations que certains cas d’usages clés en main ne nécessitent pas l’IAG. Sur le ciblage des aides, de l’action publique, ou de la fraude, elles peuvent d’ores et déjà agir vite avec l’IA prédictive.

Sur beaucoup de sujets comme l’open data ou la cybersécurité, la France est devenue un modèle inspirant en Europe : à l’inverse, quelles expériences ou réussites vous inspirent chez nos voisins ?

La Dinum est effectivement très investie dans le numérique public européen. Tous les six mois les « chief information officers » de l’UE se réunissent d’ailleurs pour parler des sujets les plus structurants, au côté des autres échanges au niveau technique que nous avons tout au long de l’année. En Europe, la préoccupation numéro une est sans doute de réussir l’interconnexion et l’interopérabilité entre tous les pays sur le marché numérique. Avec eIDAS, et les travaux de FranceConnect+ en France, l’objectif est ainsi de pouvoir s’identifier dans son pays auprès de services publics d’autres pays. De même, les processus du « Dites-le nous une fois », doivent s’imposer également au niveau européen. Nous avons un premier projet commun lancé sur la politique des admissions étudiantes en Europe.

En termes d’inspiration, on se sent très proche aujourd’hui dans nos stratégies du chemin que suit l’Allemagne. La France met ainsi en avant la souveraineté et les logiciels libres, dans ses approches. On compare beaucoup nos partis pris avec les leurs dans ce cadre et on veut travailler avec eux sur les mêmes souches libres. Par exemple, pour sa messagerie sécurisée d’État, l’Allemagne a fait le même choix du protocole Matrix, que celui que nous utilisons pour notre messagerie, Tchap. Il y a donc des synergies claires.

Un autre point sur lequel nous pouvons aussi tous nous retrouver en Europe, c’est l’impact environnemental. En 2024, nous aurons tous plus que jamais un enjeu essentiel à relever : faire en sorte que nos méthodes de travail et notre savoir-faire technologique nous permettent de développer des services numériques qui répondent à la planification écologique et qui font vraiment la différence.

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