La fin de l’année approche. Bonne raison pour se dépêcher de lire – si vous ne l’avez pas encore fait le Livre… de l’année sur le numérique : L’Age de la multitude. Je me suis enthousiasmé pour cet ouvrage qui nous fait un précieux cadeau : il nous donne la grille de lecture pour comprendre ce qui se trame vraiment avec le numérique. Il nous initie à la logique de ce monde nouveau. Il nous convainc, surtout, que le numérique est porteur d’une révolution industrielle et qu’on ne peut la saisir qu’en adoptant un nouveau mode de pensée. C’est ainsi qu’il faut comprendre son sous-titre : « Entreprendre et gouverner après la révolution numérique. » Après, il n’est plus possible de penser, ni d’entreprendre ni de gouverner comme avant.
La grande force du livre tient à ce que ses auteurs, Nicolas Colin et Henri Verdier, écrivent de l’intérieur de ce monde. Tous deux sont fondateurs de start-up. Le premier est, en outre, inspecteur des finances et ingénieur. Le second est, entre autres, président du pôle de compétitivité Cap Digital. Contrairement au pompeux Jeremy Rifkin, auteur de La Troisième Révolution industrielle – qu’à mon avis on peut se dispenser de lire –, Colin et Verdier vivent ce dont ils parlent et analysent. Du coup, leur livre éclaire cet univers aux lois apparemment si étranges et révèle en passant les fondements de la logique bizarre qui fait le succès des Facebook, Twitter et autres Amazon. Ce livre est « in ». Mieux, il est « inside ». L’Age de la multitude s’appuie sur deux idées fortes : la « puissance de la multitude » et le pouvoir des « plates-formes » qui permet à la première de s’exercer. Et il invente un concept nouveau, celui de « surtraitant » pour décrire la façon dont s’organise la production de valeur à l’ère du numérique.
Pour résumer excessivement rapidement : la multitude, c’est tous ceux qui créent de la valeur via le Net, comme les adeptes de l’open source. La plateforme, c’est par exemple amazon.com qui laisse qui le veut ouvrir boutique sur son site et profiter de ses puissants moyens informatiques. Les surtraitants ? Tous ceux qui s’enrichissent en ouvrant, par exemple, boutique sur la plate-forme Amazon et qui, ce faisant enrichissent aussi Amazon. Pour Colin et Verdier, ce modèle est gagnant dans la nouvelle ère qui commence. Et pas seulement pour les entreprises strictement numériques.
Tout ce qu’ils prédisent se réalisera-t-il ? Certainement non. La vitesse d’évolution du numérique défie toute prévision. Mais là n’est pas l’essentiel. Au début du livre, ils expliquent l’avoir écrit pour répondre à une question : « Pourquoi, 25 ans après le début de la révolution numérique, est-il encore si difficile aux Etats, aux grandes entreprises et aux autres institutions de s’adapter à cette nouvelle donne ? » La réponse est désormais claire : c’est juste faute de disposer des outils intellectuels pour la comprendre. Désormais, les décideurs de tout poil n’auront plus cette excuse. Et vous non plus…
Franck Barnu est journaliste.