Dans sa nouvelle chronique, Imed Boughzala détaille les perspectives qui pourraient permettre de mettre en cohérence deux approches du numérique qui peuvent paraître opposées de prime abord.
Dans une récente chronique, j’ai abordé le sujet du calcul haute performance (HPC) et les données massives (Big Data) qui représentent ensemble une avancée technologique majeure avec le développement de l’AI, permettant de répondre aux défis et de marquer la rentrée dans l’ère post-digitale. En combinant la puissance des supercalculateurs avec les outils sophistiqués de data analytics, nous ouvrons la voie à des innovations dans de nombreux domaines et secteurs, depuis la recherche scientifique jusqu’à l’industrie, en passant par l’agroalimentaire, la logistique, le sport, l’aéronautique, la génomique et la cyber sécurité, qui relève parfois de la souveraineté numérique des entreprises et des pays.
Le développement rapide du HPC (High Performance Computing) et des technologies du Big Data, bien qu’a révolutionné et a amélioré de nombreux secteurs, cette avancée technologique s’accompagne d’une empreinte écologique significative. Le besoin croissant de puissance de calcul et de stockage massif entraîne une consommation d’énergie considérable, posant des défis majeurs en matière de durabilité (soutenabilité). Dans ce contexte, la sobriété numérique, qui vise à réduire l’impact environnemental des technologies de l’information, devient une priorité cruciale.
Impact environnemental du HPC et du Big data
Les centres de données, qui hébergent les infrastructures HPC et stockent les données massives, sont de véritables gouffres énergétiques. Ils nécessitent non seulement une quantité colossale d’électricité pour alimenter les serveurs, mais aussi pour les systèmes de refroidissement qui empêchent la surchauffe de ces équipements. À l’échelle mondiale, les centres de données sont responsables de près de 1% de la consommation électrique totale, et ce chiffre est en constante augmentation.
La production de CO2 liée à cette consommation énergétique contribue significativement aux émissions globales de gaz à effet de serre. De plus, la fabrication des équipements informatiques utilisés dans les systèmes HPC, incluant les processeurs, les mémoires et les disques de stockage, consomme également des ressources naturelles rares (i.e. matériaux rares) et pose des problèmes de gestion des déchets électroniques.
Principe de Sobriété numérique
La sobriété numérique consiste à adopter des pratiques et des technologies visant à réduire l’empreinte écologique du numérique, tout en maintenant l’efficacité et la performance nécessaires aux applications modernes. Cela implique une réflexion sur l’ensemble du cycle de vie des infrastructures numériques, depuis la conception des systèmes jusqu’à leur exploitation et leur recyclage.
Stratégies pour une Sobriété numérique dans le HPC et le Big Data
- Optimisation de l’efficacité énergétique :
Algorithmes efficaces : Le développement d’algorithmes plus efficaces sur le plan énergétique permet de réduire la quantité de calculs nécessaires pour atteindre un résultat donné. Par exemple, l’optimisation des codes de simulation peut réduire la consommation d’énergie sans compromettre la précision.
Matériel économe en énergie : L’utilisation de matériel conçu pour être économe en énergie, comme les processeurs à faible consommation et les systèmes de refroidissement avancés, peut significativement réduire l’empreinte carbone des centres de données.
- Virtualisation et mutualisation des ressources :
Cloud computing : Le cloud permet une meilleure utilisation des ressources informatiques grâce à la virtualisation. En mutualisant les infrastructures, les ressources peuvent être allouées dynamiquement selon les besoins, évitant ainsi le gaspillage énergétique lié à des serveurs sous-utilisés.
Consolidation des centres de données : Réduire le nombre de centres de données en consolidant les infrastructures peut permettre des économies d’énergie considérables, tout en maintenant une haute disponibilité des services.
- Gestion intelligente des données :
Minimisation des données stockées : Adopter des politiques de gestion des données qui réduisent le volume de stockage inutile, en supprimant les données redondantes ou obsolètes, peut diminuer la demande en stockage et, par conséquent, la consommation énergétique.
Compression et archivage : La compression des données et l’archivage des informations rarement utilisées dans des systèmes moins énergivores sont des stratégies efficaces pour réduire l’empreinte environnementale du Big Data.
- Approvisionnement en énergie renouvelable :
Centres de données verts : Promouvoir l’utilisation de centres de données alimentés par des sources d’énergie renouvelables, comme l’énergie solaire, éolienne ou hydraulique, peut drastiquement réduire l’impact carbone du HPC et du Big Data.
Optimisation des horaires d’utilisation : Exploiter les périodes où l’énergie renouvelable est abondante pour effectuer des tâches intensives en calcul peut également contribuer à une réduction de l’empreinte carbone.
- Allongement de la durée de vie du matériel :
Réemploi et recyclage : Promouvoir le réemploi des équipements informatiques et le recyclage des matériaux peut réduire la demande de nouveaux matériels et diminuer les déchets électroniques.
Conception durable : Investir dans la conception de matériels durables, plus faciles à réparer et à mettre à jour, permet d’allonger leur durée de vie (contre l’obsolescence programmée), réduisant ainsi le besoin de nouvelles productions.
Perspectives et défis
L’intégration de la sobriété numérique dans le développement des technologies HPC et Big Data est essentielle pour garantir un avenir durable. Cependant, cela nécessite un engagement collectif des entreprises, des chercheurs, et des gouvernements pour promouvoir des pratiques responsables et durables. Des efforts concertés sont nécessaires pour sensibiliser aux enjeux environnementaux et encourager l’innovation dans le domaine de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources numériques.
En parallèle, il est crucial de continuer à former les ingénieurs et les spécialistes du numérique à ces nouveaux enjeux, afin qu’ils puissent concevoir des solutions qui allient performance et durabilité. La recherche dans les domaines de l’informatique verte (Green IT) et des technologies énergétiques propres jouera un rôle clé dans l’atteinte de ces objectifs.
Dépasser le paradoxe initial
La transition vers une sobriété numérique dans le contexte du calcul haute performance et des données massives est non seulement souhaitable, mais nécessaire pour répondre aux défis environnementaux actuels. En adoptant des pratiques plus responsables et en tirant parti des innovations technologiques, nous pouvons réduire l’empreinte écologique du numérique tout en continuant à bénéficier des avancées qu’il apporte. Ce changement de paradigme est indispensable pour construire un futur où technologie et durabilité vont de pair.
Bien que l’alliance entre sobriété numérique et HPC/Big data puisse sembler paradoxale, elle ne l’est pas nécessairement. Elle pousse même à innover pour trouver des solutions de calcul plus efficaces et moins énergivores, tout en permettant de traiter des problèmes d’envergure mondiale.