Connectivité : les constellations de satellites, des infrastructures responsables ?

La connexion par satellite semble constituer une opportunité intéressante pour mieux mailler les territoires et connecter ceux les plus isolés. Pourtant, le déploiement en cours, massif, des satellites en orbite basse semble plutôt répondre à une logique d’opportunité commerciale pour les opérateurs et apporte un dédoublement des moyens de connexion pour les entreprises comme les particuliers, souvent au détriment des enjeux environnementaux.

[L’enquête] « Il y a déjà plusieurs milliers de satellites en orbite basse qui sont prêts à interconnecter encore un peu plus le monde ». C’est ce qu’explique Marlène de Bank, ingénieur de recherche au Shift Project spécialiste des enjeux de l’aéronautique. Pour elle, « le déploiement actuel des satellites n’est pas ciblé et ne tient pas compte des enjeux environnementaux ni des réels besoin de connectivité ». Et, le modèle économique de ce déploiement massif ne semble pour l’heure pas encore réellement éprouvé. L’enjeu est avant tout pour certains acteurs phares comme SpaceX avec son offre de connexion par satellites Starlink de prendre le marché avant de réellement tenir compte de toutes les dimensions nécessaires à la pérennité et la soutenabilité du modèle.

En orbite géostationnaire, seulement une dizaine de satellites sont déployés. Situés à plus de 35 000 km au-dessus de la Terre, ces satellites restent toujours au-dessus du même point fixe car leur vitesse de rotation est égale à celle de la Terre. Grâce à cette hauteur, les satellites sont atteignables en tout point du globe permettant de délivrer une connexion essentielle au plus grand nombre ; l’alignement avec la vitesse de rotation de la Terre garantit la stabilité du signal.

Mais le géostationnaire, pour certains ogres aux appétits dévorants, c’était le monde d‘avant. Désormais, les satellites se déploient façon défilé, en orbite basse : 550 km d’altitude, un changement de paradigme. Les satellites moins hauts dans l’espace ont un rayon d’action moindre mais apportent plus de réactivité (meilleure latence). Comme ils ne sont pas atteignables en tout point du globe, Il faut en déployer beaucoup pour avoir une continuité de connexion.

De plus, ces satellites basse-orbite sont mobiles, ils défilent tout autour de la Terre. Pourquoi ? Leur vitesse de rotation doit être bien plus rapide que celle de la Terre pour ne pas retomber dans l’atmosphère. C’est pour cela que cette farandole de satellites prend alors la forme d’une constellation. « Starlink en a déjà déployé plus de 5 000 » précise Marlène de Bank. 

Des modèles économiques à éprouver

Pour lancer de tels projets dans ce secteur du “new space”, il y a souvent « une association entre la commande publique et des nouveaux entrants » précise Marlène de Bank, « il s’agit là plus d’un moyen que d’une fin pour faciliter le démarrage des projets ». 

Les revenus d’une entreprise comme SpaceX reposent même sur tout un ensemble de leviers ne les obligeant pas à être rentables directement sur l’activité de connexion internet par satellites. Starlink peut ainsi compter sur les revenus tirés des lanceurs, des satellites, des commandes gouvernementales et les levées de fonds. « Ils font de l’investissement puis se positionnent en opérateur en faisant payer l’accès à Internet » ajoute-t-elle. 

Outre Starlink, d’autres opérateurs tentent de se frayer un chemin dans le domaine de l’orbite basse. À commencer par l’Union européenne (UE) : avec le projet IRIS2 qui devrait voir le jour d’ici 2027 avec plus de 200 satellites en orbite basse, l’UE espère faire concurrence à Starlink. IRIS2 aura pour vocation d’assurer la souveraineté européenne, de sécuriser les échanges sensibles des États membres et de fournir un accès internet à tous les Européens même en zone reculée.

D’autres entreprises privées s’activent aussi. C’est le cas de Oneweb, acteur préexistant à Starlink mais qui ne compte “que” 630 satellites. C’est aussi le cas de Kuiper, le nouveau projet d’Amazon en cours de création. À ce jour, Kuiper annonce avoir procédé au lancement de 80 satellites grâce aux lanceurs d’Arianespace, Blue Origin ou encore… SpaceX.

« L’équation économique ? Elle est finalement bien meilleure que ce qui était imaginée initialement ! » détaille Sandrine Lafont, experte en télécommunications par satellite – marchés, services et usages au CNES, « les coûts de revient sont bien plus bas que prévus mais tout n’est pas pour autant résolu ; en réalité, on ne sait pas aujourd’hui quelle branche est réellement rentable chez ces acteurs » ajoute Sandrine Lafont. 

Des impacts environnementaux forts

L’idée initiale de l’internet par satellite : amener la connexion Internet là où elle n’est pas. « Un bon point au niveau social » juge Marlène de Bank mais d’ajouter « pour l’heure, on est en train d’empiler plusieurs réseaux et les conséquences environnementales qui vont avec ». Le nombre de nouveaux satellites en orbite et la gestion des débris non pilotables interrogent : « Le nombre croissant de manœuvre d’évitement devient inquiétant. La probabilité de collisions est désormais non nulle. Sur certaines tranches d’orbites, l’effet Kessler a déjà démarré. »

L’effet Kessler ce sont des collisions qui créent des déchets qui eux-mêmes vont entraîner d’autres collisions. In fine, c’est potentiellement toute une tranche d’orbite qui peut devenir inutilisable. « Et puis tous ces objets, déchets comme satellites, finissent par retomber dans l’atmosphère, car à cette altitude, les quelques frottements avec l’air les freinent peu à peu » explique Sandrine Lafont. 

Pour faire en sorte que les satellites restent en orbite, il faut un peu d’énergie pour leur redonner une impulsion. Lorsqu’il n’y a plus de carburant à bord, mécaniquement, ils finissent par chuter. Dans ce contexte, la durée de vie des satellites Starlink est estimée à 5 ans. « Lorsque les satellites basse-orbite ré-entrent dans l’atmosphère, ils brûlent entièrement avant de retomber au sol » expliquer Elliott Marceau, contributeur au Shift Project depuis plus d’un an et étudiant à SupAéro, « désorbiter dans l’atmosphère est vu aujourd’hui comme une solution pour faire de la place aux nouveaux satellites ».

A ses yeux, les recherches menées actuellement pourraient bien conduire à la conclusion que cette combustion des satellites n’est pas sans conséquences. Avec entre autres des particules d’aluminium produites, « des aérosols pourraient se former et avoir pour conséquence d’absorber la lumière, créer de l’effet de serre ou des nouveaux trous dans la couche d’ozone » détaille-t-il.

Des opportunités pour les entreprises

« Le marché de Starlink est beaucoup aux USA » regrette Marlène de Bank, « le besoin de quelques-uns déjà très privilégiés fait gonfler la taille globale de la constellation ». D’ailleurs, difficile de lui donner tort : Starlink dédie une de ces offres à l’internet en mer en mettant en avant de cossus bateaux de plaisance. Oneweb, pour sa part, met en avant la connectivité à bord des avions ; des offres tournées vers les plus privilégiés donc et les personnes déjà les plus connectées dans toute autre circonstance. 

D’autres acteurs cherchent à rester dans la course avec des offres en géostationnaire. C’est le cas d’Orange qui s’appuie sur sa filiale Nordnet. Dans cette bataille, dominée médiatiquement par Starlink, Nordnet montre les crocs sur son site web et oppose, à la latence un peu plus longue de ses offres, les impacts environnementaux et sociaux des constellations de satellites en orbite basse. « Le géostationnaire répond aujourd’hui à tous les usages communs de l’internet en apportant le très haut débit, exception faite pour les jeux en réseau rapide » explique Christophe Outier, Directeur Général Délégué de Nordnet.

Au global, avec une installation facilitée grâce au simple déploiement d’une antenne et d’un boîtier de connexion, l’offre satellitaire se positionne comme un moyen simple de se connecter sans être dépendant d’une installation réseau. Et face aux entreprises, Nordnet possède un atout de taille par rapport à ses concurrents américains : « Les entreprises apprécient utiliser un réseau 100% souverain qui leur garantissent de respecter le RGPD. » ajoute Christophe Outier. 

Le géostationnaire au service de l’équité numérique

Surtout, Nordnet se positionne en défenseur de l’équité numérique. C’est même sa raison d’être. « Les trois secteurs qui se tournent le plus vers nous sont l’agriculture, le tourisme et la santé. Par essence, ce sont des secteurs implantés en milieu rural qui ont souvent un accès restreint au réseau » détaille Christophe Outier, « d’autres entreprises de tailles moyennes font aussi appel à nous pour des sites de production isolés ou avoir un accès complémentaire lorsque la qualité du réseau est trop faible ». Enfin, il voit aussi un nombre croissant d’entreprises se tourner vers eux pour prévenir ou gérer des incidents de crise (industriels, climatiques).

Ces derniers cas d’usage sont ceux qui apparaissent comme les plus nécessaires. Comme le rappelle Marlène de Bank, il ne peut y avoir de soutenabilité du modèle si les satellites cherchent à couvrir toute la planète avec le maximum de connectivité. Mais dans cette bataille de maîtrise du réseau, rien ne semble pour l’heure arrêter les ambitions des prétendants comme Kuiper ou Starlink ; ce dernier déclarant vouloir installer plusieurs dizaines de milliers de satellites dans le ciel d’ici 2030. A moins d’un sursaut réglementaire ? C’est en tout cas ce qu’entend défendre devant l’Union européenne, The Shift Project avec son dernier rapport dont le nom est sans équivoque sur la trajectoire souhaitée : « Des réseaux sobres pour des usages connectés résilients ».