Création vs IA : le défi du droit d’auteur à l’ère des géants technologiques 

 

Alors que l’IA redéfinit les règles de la création et de l’information, les droits d’auteur peinent à suivre. Entre régulations européennes, ambitions technologiques et pressions des géants du numérique, artistes et éditeurs s’inquiètent. Protéger la culture sans freiner l’innovation, l’enjeu est de taille et incontournable. 

 

David contre Goliath. Le combat du jeune berger face au géant se modernise. Aujourd’hui, ce sont les créateurs et éditeurs de presse qui affrontent les entreprises de l’intelligence artificielle (IA), avec pour seul bouclier les droits d’auteurs. Une protection européenne affaiblie par ChatGPT et DeepSeek, pour ne citer qu’eux, qui ont transformé nos façons de produire et de consommer les créations. Le sommet pour l’action de l’IA s’était éloigné de cette vision manichéenne autour d’une table ronde : créer un cercle vertueux entre IA, création et information. L’objectif ? Concilier innovation technologique et préservation des écosystèmes culturels et informationnels. Pour Alar Karis, président de la République d’Estonie, l’IA, loin d’être une antagoniste, représente la survie de sa culture nationale. “L’Estonie compte seulement un million d’habitants. Donc on doit protéger notre langue et l’utiliser dans la tech. Sans quoi elle deviendra une langue de cuisine qui n’évoluera pas”, a assuré Alar Karis. Un modèle qui utilise des données estoniennes pourra diffuser sa philosophie, sa langue et son art en sortant de l’étau américain et chinois. Mais un problème subsiste : le pays n’a pas les moyens financiers de développer ses propres large langage model (LLM). Le gouvernement balte semble avoir trouvé sa planche de salut auprès de Meta. Le géant américain jouirait d’un accès total et gratuit aux œuvres créatrices du pays européen. Malgré une levée de boucliers chez les artistes estoniens, Alar Karis compte bien poursuivre les négociations.  

 

IA au service de la diversité linguistique  

 

Dans la même dynamique, l’entreprise Tilde, spécialisée en traduction des langues balto-slaves, reçoit des financements européens pour développer des modèles d’IA basés sur la culture du vieux continent. Ainsi, l’UE encourage l’alliance entre souveraineté technologique et rayonnement culturel. “Nous créons des modèles ajustés pour l’Europe et plus particulièrement pour les communautés linguistiques sous-représentées”, déclare Andrejs Vasiļjevs, cofondateur et président exécutif de Tilde. L’entreprise lettone entraîne ses LLM grâce aux data fournies par des éditeurs de presse et aux données publiques. De cette manière, les modèles proposent une langue contemporaine riche en vocabulaire et des réponses de qualité, limitant ainsi les hallucinations. En revanche, cette méthode questionne l’utilisation des données publiques à des fins commerciales. “Il y a une exception au droit d’auteur : généralement pour la recherche non commerciale. Mais dans le cadre d’une recherche commerciale, l’obligation de transparence permet de s’y soustraire, avec évidemment un usage juste des données”, explique Jane Ginsburg, professeure à l’université Columbia et experte en droit d’auteur. 

 

Un vide réglementaire mondial 

 

Contrairement aux entreprises européennes, les concurrents chinois et américains n’ont aucune obligation de transparence ou de juste utilisation des données. Ce constat cristallise l’inquiétude des artistes quant au manque d’harmonisation mondiale des réglementations. “Les artistes n’ont pas peur de l’IA ou de l’innovation, parce que chaque avancée est une source d’inspiration”, affirme Nabil Ayouch, réalisateur de cinéma. À l’instar de la photographie ou du cinéma avant l’IA, les artistes s’approprient les innovations et les droits d’auteurs doivent s’adapter aux nouveaux enjeux. La nouvelle pomme de discorde vise la propriété des données d’entraînement des LLM. Ces derniers nécessitent une quantité faramineuse de data pour devenir opérationnels. Deux options s’offrent alors aux entreprises du numérique : obtenir ce flux par l’utilisation de licences ou se procurer des données issues du web en masse et sans distinction. Loin de vouloir obstruer le business numérique, les créateurs européens réclament le respect des lois du continent : informer de l’utilisation de leur travail et le rémunérer. “Les entreprises de l’IA promeuvent un monde meilleur. Pourtant, anéantir les lois enclenche la disparition des empires”, relève Pierre Louette, directeur général du groupe Les Echos – Le Parisien. Open AI, lui, ne compte pas s’évaporer. Un an auparavant, l’entreprise a conclu des accords avec les groupes de presse européens. Mais, ils concernent seulement un éditeur par pays et le contrat reste opaque. La fragmentation des médias européens, ainsi que leur petite taille, ne permettent pas encore de riposter. “Ce n’est pas le plus fort qui l’emporte, mais le plus habile. Donc l’UE et ceux à la marge de l’IA doivent lancer leurs propres initiatives”, encourage Nabil Ayouch. Un clin d’œil non sans rappeler l’issue du combat entre David et Goliath.