[Edito] Pour croître et innover, le secteur du numérique a besoin de stabilité

Beaucoup de secteurs d’activité, ou même de pays, rêveraient d’avoir une croissance annuelle de 5%. Mais le numérique est un monde à part : ce chiffre, anticipé pour l’année en cours, est pour lui le signe d’un ralentissement. L’an passé, la croissance s’était en effet établie à 6,5%, et, en décembre, les estimations pour le secteur s’élevaient encore à +5,8% en 2024. Mais Numeum, le syndicat professionnel des acteurs du numérique, souligne dans son point semestriel que le ralentissement de la croissance du chiffre d’affaires se généralise sur tous les métiers du secteur, selon une enquête menée avec le cabinet d’études PAC.

La France souffre en particulier d’avoir des entreprises de services du numérique (ESN) qui représentent près de la moitié d’un marché hexagonal du numérique évalué à 70,4 milliards d’euros et qui grandissent beaucoup plus lentement (+2,1%), y compris par rapport aux activités de conseil en technologies (+3,4%). Le dynamisme du numérique est en effet porté avant tout par les éditeurs de logiciels et le cloud (+9,6%). Bien entendu, vu les chiffres en question, il s’agit là de difficultés relatives par rapport à d’autres pans de l’économie. Mais il n’empêche que le marché est attentiste, explique Numeum. On imagine que l’arrivée imminente d’élections législatives impromptues n’a fait que renforcer le sentiment de confusion et l’attente d’un retour à la stabilité, même si l’enquête du syndicat a eu lieu avant l’annonce de la dissolution. En la matière, la situation en France est d’ailleurs un peu différente de celles de nos voisins qui vivent aussi des périodes électorales mouvementées.

En particulier, de l’autre côté de la Manche, des législatives anticipées ont également lieu. Fin mai, le Premier ministre du Royaume-Uni, Rishi Sunak, a ainsi rappelé les électeurs aux urnes : ils trancheront le 4 juillet prochain. Entretemps, l’économie s’est aussi mise au ralenti, comme toujours dans l’attente de résultats électoraux importants et malgré des éclaircies récentes. Mais la comparaison pourrait bien s’arrêter là, avec un redémarrage attendu, passée l’échéance fatidique. En effet, après 14 années continues au pouvoir, et une valse compliquée de Premiers ministres, le parti conservateur, usé, devrait très nettement perdre le pouvoir face à l’opposition du parti travailliste. Les sondages affichant depuis des mois des écarts monumentaux, le « Shadow Cabinet » travailliste (qui mime les responsabilités gouvernementales pour préparer l’opposition à l’exercice du pouvoir) a tout fait pour porter un discours de stabilité, avec un programme mettant en valeur la croissance économique et la crédibilité financière, plutôt que d’autres thèmes plus conflictuels. Et les dernières analyses lui attribuent ainsi près de 465 des 632 sièges du Parlement, la plus grande majorité depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Dans l’Hexagone, l’image renvoyée est bien différente. Les trois blocs du mouvement présidentiel, du Rassemblement National et du Nouveau Front Populaire, qui se déchirent, laissent très sérieusement planer le doute sur le futur d’une Assemblée nationale « gouvernable ». Sur de nombreux sujets, la violence des oppositions fait également craindre des débordements, manifestations, blocages, alors que le pays entre dans la période clé des Jeux Olympiques. Quant aux doutes des dirigeants d’entreprises sur les programmes économiques et les mesures les plus extrêmes, ils apparaissent dans les prises de position du Medef, de France Digitale, mais aussi à travers un certain malaise dans la French Tech. Un économiste comme Antoine Levy, cité par nos confrères du Point, juge même très sévèrement l’ensemble des propositions économiques : « on a le choix entre un bloc limité, un bloc absurde et un bloc délirant ».

Ces deux niveaux d’incertitude très différents expliquent aussi peut-être pourquoi les prévisions de l’OCDE pour le secteur des technologies de l’information et de la communication sont si différentes entre le Royaume-Uni et la France. Sur les 27 pays étudiés, le Royaume-Uni arrive en tête des taux de croissance là où la France se situe en dessous de la moyenne.

Dans sa note semestrielle, Numeum identifie toutefois deux motifs d’espoir, avec de très beaux marchés émergents : l’intelligence artificielle et le numérique responsable. S’ils sont loin de représenter encore une part importante des activités, ils connaissent des taux de croissance supérieurs, signe que malgré les doutes sur l’avenir du pays, certains fondamentaux s’imposent aujourd’hui dans toutes les organisations. L’IA en particulier, est vu comme une opportunité majeure et moins d’une entreprise sur dix du secteur estime qu’elle représente une menace inquiétante pour l’emploi. Reste donc à savoir si ces deux sujets, qui s’avèrent hautement conflictuels dans l’arène politique, ne souffriront pas eux aussi à leur tour des errances et désaccords au sein de la nouvelle Assemblée nationale.