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🔎 #7 La culture maker peut-elle booster l’innovation ?

À la croisée de l’artisanat et du numérique, la culture maker est le fruit d’un enchevêtrement d’une multitude de communautés organisées autour de savoir-faire et de valeurs. Makerspaces, hackerspaces, fablabs, tiers-lieux …les mots ne manquent pas pour définir cette tendance qui a pris de l’ampleur ces dernières années. Au point de convaincre les entreprises de s’inspirer de ces nouveaux ateliers de co-création. 

La culture maker peut-elle booster l’innovation ?

La culture maker peut-elle booster l’innovation ?

“Bonjour et bienvenue ! Pour ce nouvel épisode, je vais vous apprendre à fabriquer vous-même…”. Ces tutos et vidéos DIY (Do it Yourself) font légion sur le web et permettent à des millions d’internautes de faire, composer, inventer et créer de leurs propres mains. Mais certains poussent cette perspective bien plus loin, laissant les life hacks de côté pour s’adonner aux partages de savoirs bien plus complexes. Les makers veulent démocratiser la science, rendre l’ingénierie accessible, tout en mêlant astucieusement des compétences à la fois artisanales et numériques.

C’est bien à une culture maker à part entière que nous avons affaire. Une culture essentiellement tournée vers les nouvelles technologies et la création en groupe. Électronique, robotique, impression 3D… ces techniques sont partagées dans un unique but : apprendre à faire soi-même avec les autres. Bienvenue dans “l’âge du faire”, où le Do it With Others prend le pas sur le DIY.

Le tiers-lieu, repaire des makers

Un makerspace est un lieu difficile à cerner car il renferme une multitude de communautés aussi diverses que les autres. Pour mieux cerner le concept, quoi de mieux que de se rendre directement à San Francisco, dans un des berceaux de la culture maker : Noisebridge. En 2015, le sociologue Michel Lallement a publié une enquête de terrain sur ce lieu atypique au sein d’un ouvrage intitulé “L’âge du faire”. 

« L’Âge du faire, Hacking, travail, anarchie », Michel Lallement, 2015, ed. Seuil, 448 pp. 25€.

Créé en 2007 à l’image de ses homologues européens comme le Metalab à Vienne et la C-base à Berlin, l’espace de 500 m2 est équipée d’imprimantes 3D, de marteaux, de tenailles, matériaux et tout le monde peut y accéder. Si les hackerspaces sont exclusivement réservés aux as du codage et les fablabs aux bidouilleurs, les makerspaces eux abritent bien plus de brassage social. 

Au milieu des coworkers, webdesigners, codeurs et autres touche-à-tout, se trouvent même des sans-abris qui tentent de créer des choses qu’ils pourront revendre. En fonction de la communauté, ce type de lieu peut être de plusieurs façons. Mais leur point commun reste le partage d’idées, d’outils et de compétences, à condition d’adhérer aux valeurs du make. 

Cet encroisement de groupes sociaux est très similaire à ce que nous pouvons retrouver dans les tiers-lieux, au sens du chercheur Ray Oldenburg, qui l’avait défini comme un lieu où les frontières entre sphère privée et professionnelle sont floues. C’est un espace d’échanges et de socialisation qui se sert de la sérendipité des rencontres humaines pour favoriser l’innovation. C’est d’ailleurs ce concept qui a donné naissance au coworking dans le monde du travail aujourd’hui, avec la prolifération des openspaces et l’avènement du flex-office comme meilleur moyen de co-créer en entreprise.

Mais le partage de savoir-faire et la co-création ne suffisent pas à définir le mouvement makers, loin de là. À Noisebridge, sur la Mission Street, Michel Lallement y découvre une communauté de makers politique et engagée autour des règles de la “do-ocratie” et l’anarchie. Un idéal libertaire poursuivi uniquement par consensus. Pour le sociologue, immergé dans ces milieux pendant un an, ces hackerspaces visent une “utopie concrète”, pour reprendre le terme du philosophe allemand Ernst Bloch. Autrement dit, les jeunes hackers ne cherchent pas l’irréalisable mais bien un monde tangible qu’ils peuvent façonner eux-même.

“Quand je suis arrivé dans la Baie, j’ai découvert une pluralité de hackerspaces. J’ai été frappé par la structure communautaire de ces lieux…” partage Michel Lallement dans un entretien pour Makery. Il y a découvert non pas un, mais plusieurs hackerspaces qui répondent à différents besoins. Le HackerDojo pour les créations de start-up, BioCurious pour les ingénieurs et étudiants fascinés par le biohacking mais aussi Hackermoms pour les femmes, LOL pour les minorités ethniques et sexuelles, Sudo Room pour les plus jeunes hackers…

Rendre l’ingénierie accessible à tous 

Tout le monde ne peut pas décider du jour au lendemain d’ouvrir un atelier partagé et se proclamer fablab, non. Ce titre est délivré par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et la FabFoundation après plusieurs étapes. L’idée étant de s’assurer du respect de la charte des FabLab mise en place par le MIT avant d’intégrer une nouvelle structure locale au réseau mondial des fablabs. Il y a donc un système de valeurs à respecter pour faire partie des makers.

La Charte des Fablabs exige plusieurs critères pour obtenir le label comme par exemple le fait de rendre accessible ses ressources à tous.

Pour le philosophe finlandais Pekka Himanen, ces valeurs sont toutes inspirées du mouvement du logiciel libre initié par les hackers. Le logiciel libre est par définition une production qui ne peut être appropriée. Et puisque personne ne peut en tirer profit, l’outil reste à disposition du grand nombre. Les makers défendent donc un patrimoine informationnel commun très proche du modèle wiki.

Dans un deuxième temps, l’éthique hacker selon Pekka Himanen, est “une nouvelle éthique du travail qui s’oppose à l’éthique protestante du travail telle que l’a définie Max Weber.” Autrement dit, les hackers n’ont pas besoin d’autorité hiérarchique pour mener des projets à terme, seule la coopération importe. Le travail devient donc un engagement  personnel, une passion, voire un jeu ou un plaisir. 

Côté écologie, le mouvement maker souhaite en finir avec l’obsolescence programmée en fabriquant des objets dont on peut aisément remplacer les pièces usées. Mais le plus important reste bien sûr de rendre l’individu autonome : c’est à dire, rendre la connaissance accessible à tous pour créer ses propres objets chez soi. 

Certains pourraient pointer du doigt le prix rédhibitoire des outils et machines nécessaires à la création. Mais force est de constater que l’ingénierie se démocratise de plus en plus : si en 2007, il fallait compter 5.000 euros pour une imprimante 3D, aujourd’hui il est possible de s’offrir cette machine pour une centaine d’euros.

C’est d’ailleurs l’objectif du projet Fab@Home, qui a développé une version d’imprimante 3D fonctionnant entièrement en open-source. Les pilotes pour faire fonctionner l’engin ainsi que les plans de fabrication sont sous Licence publique générale (GNU) : ils sont donc gratuits et accessibles à tous. Les makers peuvent donc proposer des améliorations de la machine et produire des objets à bas coût dans un fablab ou directement de chez eux. 

Le projet britannique RepRap de l’université de Bath poursuit également le même objectif. À la différence que les imprimantes sont en grande partie autoréplicatives : c’est à dire qu’elles peuvent reproduire elle-même une partie des pièces servant à monter une autre imprimante RepRap. 

 

Tout le plastique de la machine de droite a été imprimé par la machine de gauche. Adrian Bowyer (à gauche) et Vik Olliver (à droite) sont des membres du projet RepRap.

La culture d’entreprise-maker

Lorsque les collaborateurs ont la possibilité de monter des projets en fablab, ce n’est pas seulement des machines auxquelles ils ont accès. En effet, tous les fablabs sont interconnectés entre eux et les résidents peuvent donc mobiliser de nombreuses ressources en open-source et une communauté d’experts très diversifiée. Ce sont donc de véritables lieux de formation professionnelle où les collaborateurs peuvent aisément s’initier à l’aventure entrepreneuriale.

De plus, la culture de l’échec y est plus imprégnée que dans le monde du travail aujourd’hui. Contraints par des objectifs de performance, les collaborateurs en entreprise ont habituellement peur de la fausse note, peur de se planter. À l’inverse, les fablabs souhaitent pallier cette peur et inciter tout le monde à mettre librement en œuvre leurs idées.

C’est le cas notamment de Naïo Technologies qui a choisi le fablab Artilect pour développer son robot désherbant Oz. Moyennant trente euros par mois, la start-up a pu mener sa phase de tests sans réelle pression et sans investissement trop coûteux.

C’est bien ça qui caractérise tout le mouvement maker dans son ensemble : la possibilité de créer à un prix non prohibitif. Et certaines entreprises l’ont bien compris. Dans le secteur aéronautique et aérospatial, le groupe Airbus a par exemple développé dix fablabs à travers le monde pour permettre à ses équipes de donner forme à leurs idées. Connectés au MIT, ces espaces intitulés “Protospace” sont équipés de scanners et imprimantes 3D, de casques de réalité virtuelle ainsi que des composants électroniques. Et si une idée prend et coïncide avec les objectifs d’Airbus, elle donnera lieu à la création d’une start-up interne. Un cycle plutôt commun en termes d’intrapreneuriat, certes… mais pour le grand groupe, les fablabs s’avèrent performants en matière de prototypage.

Du côté des géants des micro-processeurs, certains  poussent la démarche encore plus loin. Chez Intel, une partie de la production est dédiée à des processeurs assez petits pour mener tous types de projets. Le processeur Intel Edison de 2017, par exemple, est aussi grand qu’une carte sd et a été spécialement conçu pour l’Internet des Objets (IoT).

Brian Krzanich, Ceo du groupe et lui-même maker, souhaite aussi séduire les plus jeunes. Depuis plusieurs années, il collabore avec les universités et encourage la libre circulation du savoir-faire, notamment par le biais de son partenariat avec la plateforme open source Arduino depuis 2013. 

Avec elle, Intel a réussi à commercialiser la carte Arduino 101 : un véritable micro-ordinateur pour seulement une trentaine de dollars. De quoi ravir les adeptes du DIY et initier les plus jeunes à la R&D. 

Arduino propose un cursus d’informatique physique pour les classes primaires et secondaires intitulé “Creative Technologies in the Classroom” (CTC). Une manière ludique d’initier des élèves aux bases de la programmation, de l’électronique et de la mécanique. Intel a d’ailleurs contribué à l’amélioration du CTC (cf. Genuino 101) et souhaite le déployer dans les écoles du monde entier.

Car pour la firme, soutenir cette tendance est un moyen de reconnecter l’industrie aux universités et aux communautés de hackers. Tout comme Arduino, elle fournit des cours en open source aux enseignants. Puis, elle observe les projets qui émergent et apporte son expertise industrielle pour déterminer si c’est commercialisable. Les entreprises suivent donc de près les makers les plus talentueux, sans ignorer que l’innovation reste toujours le fruit d’une émulsion humaine.  

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