Entre 2018 et 2020, D-AIM, la PME française spécialiste du marketing a réorienté massivement son activité pour prendre en compte l’influence de l’intelligence artificielle sur son secteur. La situation de crise sanitaire n’aura pas arrêté l’entreprise qui confirme une levée de fonds majeure.
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« Quand l’IA pousse une PME française du marketing à tout remettre en question ». Cela pourrait être le titre de l’histoire pour Stéphane Amarsy, créateur en 2001 d’Inbox, une entreprise spécialiste du data marketing au service de l’expérience client.
Presque deux décennies plus tard, c’est en effet avec une ambition renouvelée que l’entreprise annonce avoir bouclé, le vendredi 10 avril, une levée de fonds de 10 millions d’euros auprès d’Alliance Entreprendre et de Swen Capital, ainsi que de ses investisseurs historiques Sofiouest et Omnes Capital. Soit trois millions de plus que ce qui était au départ officiellement recherché.
La situation de crise n’a ainsi pas bloqué les ambitions de Stéphane Amarsy, économiste et mathématicien de formation, qu’Alliancy avait rencontré quelques jours avant le début du confinement pour parler de l’influence de l’IA sur son métier. « Réseaux de neurones, deep learning… je connais ces sujets depuis des années. Mais aujourd’hui la puissance calculatoire a tellement changé, et les types de données disponibles également, que c’est toute la vision du marketing qui se réinvente » expliquait-il alors.
« J’ai réalisé à l’époque que 80% de l’activité allait disparaître »
Début 2020, son entreprise a en effet changé de nom pour devenir D-AIM (du nom du logiciel quelle développe depuis 2017) pour accompagner la transformation de son modèle d’affaires. La levée de fond vient ainsi couronner une transformation entamée trois ans plus tôt. « C’est à cette époque que j’ai réalisé que 80% de l’activité de mon entreprise allait tout simplement disparaître à court ou moyen termes si l’on se contentait de préconiser de façon traditionnelle des actions marketing pour les entreprises. Je ne savais alors pas dire si cela arriverait dans 5 ou 10 ans, mais le constat était accablant. J’ai donc décidé de transformer complètement l’activité » résume l’entrepreneur en expliquant que cette prise de conscience est ce qui l’a alors poussé à écrire un livre, intitulé de façon fort à propos « Mon directeur marketing sera un algorithme: L’intelligence artificielle remplacera-t-elle les marketeurs ? »
L’entrepreneur réunit à cette époque les premières sommes pour renforcer la R&D, mais il ne s’agit que d’une étape avant de réaliser un pivot beaucoup plus important. « Je ne pouvais pas faire réaliser à l’entreprise un tournant à 180° en un claquement de doigt, mais pour autant il fallait aller vite » témoigne-t-il.
Opérer le changement de business model en moins de 3 ans
Stratégiquement, l’enjeu est de taille : il s’agit de développer une activité logicielle embryonnaire mais en très forte croissance, au côté d’une activité de services qui existe alors depuis plus de 15 ans. Pour cela, l’entrepreneur décide d’être proactif et dès 2019, il réduit volontairement d’1,5 million d’euros, soit 25% du chiffre d’affaires de l’époque, les activités de services de l’entreprise, pour augmenter de 2,2 millions d’euros celles de la nouvelle activité. « Je suis fier d’avoir opéré une telle bascule en moins de 3 ans. En 2020, cette transformation va s’accélérer et pour préparer la suite, une deuxième levée de fonds était nécessaire » détaille Stéphane Amarsy.
L’objectif, au-delà du développement commercial et international (l’entreprise réalise déjà plus de la moitié de son chiffre d’affaires en Belgique, au Maroc, en Tunisie et au Canada), est d’éviter au maximum la violence de la transformation pour les collaborateurs, en leur donnant l’occasion de se réinventer sans risquer d’être laissés sur le bord de la route par ce changement dans leur métier. « Notre originalité c’est d’avoir conçu un logiciel qui part de l’essence de ce qu’est de faire du marketing aujourd’hui. Ce que j’ai demandé à mes collaborateurs c’est de trouver les solutions pour automatiser leurs propres métiers, pas d’inventer une technologie « from scratch ». Je leur ai demandé de penser leur business différemment : comment pouvez-vous faire en 10 minutes ce que vous faisiez en quatre jours ? » analyse Stéphane Amarsy.
Cette technique, que les plus grands groupes tentent souvent de s’appliquer à eux-mêmes, qui consiste à chercher à se disrupter soi-même plutôt que d’attendre que la concurrence le fasse, a porté ses fruits à deux niveaux. D’une part en accélérant la transformation de la PME, mais aussi en mobilisant ses employés face à une étape critique du développement de leur entreprise.
La place du marketeur à réinventer
Et cette remise en question concerne toutes les entreprises, selon Stéphane Amarsy. « Contrairement à ce que l’on entend dire, aujourd’hui le sujet du marketing dans beaucoup d’entreprises est moins une question de quantité de data disponible, que de façon de travailler. L’IA et l’auto-apprentissage changent profondément les processus de décision et il s’agit là de gain de productivité complètement dingues. Il faut en tenir compte. Le marketeur sort du processus opérationnel et son travail devient celui de la création, potentiellement plus valorisant ».
Les défis ne sont cependant pas terminés pour D-AIM : le succès de son approche a augmenté très fortement les attentes en matière de projets chez les clients de l’entreprise. « Nos premières prévisions prévoyaient quatre gros projets en 2020, et nous allons sans doute être sur un trend de plus d’une dizaine. Il va falloir réussir l’exécution car nous ne pouvons pas prendre maintenant le risque de mal faire » projette Stéphane Amarsy. L’autre grand sujet sera celui de la R&D, afin de conserver l’avance saluée par les investisseurs de la solution logicielle elle-même. Dans sa road-map sur quatre ans, D-AIM veut aller beaucoup plus loin dans la capacité d’automatisation et de recommandation de la part de l’outil. « Cela implique que le logiciel comprenne finement le business de chaque entreprise, ce qui est un défi de développement très enthousiasmant ».
Le défi le plus important reste cependant celui des ressources humaines. Stéphane Amarsy en a bien conscience : « Quand on parle de transformation, on ne peut pas ignorer les hommes. Et les compétences dont j’avais besoin il y a trois ans ne sont déjà plus les mêmes que celles dont j’ai besoin aujourd’hui… cela va très vite. Mais sur les quarante personnes que nous étions en 2017, vingt-cinq sont encore avec nous et elles ont su s’adapter pour avoir des postes clés dans la nouvelle entreprise. Sans cela, rien ne fonctionnerait ». De quoi s’assurer que l’expérience et la culture d’entreprise sont bien au rendez-vous pour l’intense phase de croissance qui s’annonce.