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Dans les coulisses du datacenter d’IBM

Le site héraultais du géant américain fête ses 50 ans. Son histoire épouse celle des virages technologiques pris par le groupe. S’il a d’abord abrité une activité industrielle d’assemblage, c’est aujourd’hui, en capacité, le quatrième centre d’hébergement de données de France.

IBM développe des stratégies de Green IT en travaillant, avec certains partenaires, à des systèmes de circulation d’air et de récupération de froid et de chaleur. Ici, son Green Data Center de démonstration en conditions réelles. © IBM

Qui sait que les premières pages de l’informatique modernes se sont écrites à Montpellier ? C’est pourtant dans cette ville universitaire du sud de la France et proche de la mer qu’IBM choisit de s’implanter en 1965 pour y inaugurer le 28 juin, une unité de fabrication d’ordinateurs… «Chaque machine était composée de 5 à 15 boîtes. Il fallait trois semi-remorques pour transporter tout cela, se rappelle Jean-François Pachot, directeur d’IBM Montpellier. A l’époque, cinq semaines étaient nécessaires pour monter une seule machine et autant pour la tester.» L’histoire de l’informatique retiendra qu’en cette même année (1965), Olivetti lança Programma 101, considéré comme le premier ordinateur personnel. Naguère seul acteur informatique en piste à Montpellier, un véritable écosystème s’est peu à peu agrégé autour d’IBM. A l’heure de souffler les cinquante bougies du site, la ville est parmi les premières à avoir obtenu le label Métropole French Tech le 12 novembre 2014.

Situé à l’entrée est de la ville, le parc de la Pompignane abrite, aujourd’hui, d’autres entreprises d’ingénierie, telle qu’Egis. C’est également à quelques centaines de mètres de là que Dell a choisi d’installer un centre d’appel employant près de mille personnes. Tout près, de l’autre côté du rond-point, se trouve le Business Innovation Center (BIC) de Montpellier. Régulièrement classé parmi les meilleurs incubateurs de la planète, il est une fierté et un outil à la qualité unanimement salué. Les succès récents des start-up Teads (publicité en ligne) et Matooma (Internet des objets) sont deux exemples des capacités d’accompagnement du BIC. 

«Clairement, sans la présence d’IBM, tout cela ne serait pas possible aujourd’hui», avance Max Levita, vice-président (DVG) de Montpellier Métropole Méditerranée. Cet universitaire est à l’origine de la création de la première formation en informatique dispensée à l’université de Montpellier…  en 1969 ! «J’étais enseignant en sciences économiques quand le professeur Bernard Charles m’a dit qu’il souhaitait créer une filière Méthode informatique liée à la gestion des entreprises (Miage). L’idée de créer  cette filière lui avait été soufflée par IBM. Le directeur du site de Montpellier siégeait au comité de perfectionnement de la filière, se remémore-t-il. Une entreprise à l’université, c’était tout à fait innovant à l’époque. Les ingénieurs d’IBM venaient alors chez nous, à l’institut Polytech, et fournissaient aux  étudiants des études de cas.»

5 000 cyberattaques par an

Au niveau économique, la présence de l’usine IBM est alors un poumon pour les finances locales dans une région très peu industrialisée. «IBM versait 5 millions de francs [équivalents à 5 millions d’euros courants, Ndlr] de taxe professionnelle. Dans les années 1970, c’était tout à fait colossal», poursuit-il. Montpellier surfe alors sur la vague informatique et communique autour de Big Blue. Dans les années 1980, son maire emblématique, Georges Frêche, lance une campagne de marketing territorial, tant basée sur son histoire universitaire séculaire que sur la présence de l’Américain : «Montpellier, la surdouée.» De son côté, IBM fait la promotion de la ville. Les archives du journal «Le Monde» recèlent ainsi de pleines pages de publicité où l’entreprise vante son implantation sudiste.
Aujourd’hui, finie l’industrie ! Le site, qui employa jusqu’à près de 3 000 personnes, et fit travailler au moins autant de sous-traitants dans le domaine de la métallurgie, a complètement muté, épousant l’histoire du groupe et survivant aux restructurations. D’une usine où, à l’heure de la technologie câblée, on fabriquait des ordinateurs mastodontes, le site abrite un datacenter d’une emprise avoisinant les 11 000 mètres carrés. Ce qui en fait le plus important du groupe en Europe et le quatrième de France. «Vous pouvez considérer que nous hébergeons, ici, la moitié du CAC 40», avance Jean-François Pachot. Chaque année, IBM Montpellier repère quelque 5 000 cyberattaques qu’il repousse. Pour plus de sûreté, le nombre de personnes pouvant pénétrer l’étage abritant le datacenter est compté. Même les clients ne peuvent y entrer ! «C’est une sécurité que nous lui assurons», revendique le docteur Jean-Michel Rodriguez, architecte exécutif du centre client d’IBM Montpellier. 

L’arrivée des semi-conducteurs (Cmos) de troisième génération a tout modifié. «Par ce changement de technologie, on est passé en taille et en pièce d’une Clio à une Majorette», compare Jean-François Pachot. A l’instar des fabrications japonaises et américaines, l’assemblage des armoires montpelliéraines a, depuis, déménagé à Singapour. D’un site ne faisant que du hardware, Montpellier s’est réorienté dans le cloud

Au parc de la Pompignane, ses équipes réfléchissent au stockage de demain. «Ici, c’est une vitrine technologique», avance-t-il. Ainsi, outre un showroom, le rez-de-chaussée d’IBM Montpellier affiche sur un mur les quelque 200 brevets développés ici depuis dix ans. Une poussée de R&D accentuée par l’installation en ces murs, voilà deux ans, d’un centre de développement Linux (appelé Power Systems Linux). Le lieu compte aussi un Benchmark Test Center, dédié à l’ensemble de la clientèle européenne, en plus de nombreuses salles de formation où plusieurs milliers de personnes viennent chaque année se former sur les outils développés par la firme.

Alors que les lieux nécessitent une capacité de refroidissement où la consommation électrique générée est semblable à celle d’une ville de 20 000 habitants, IBM investit beaucoup dans ses réseaux et infrastructures. «Nous programmons 20 millions de dollars par an d’investissements jusqu’en 2020 [soit plus de 110 millions d’euros au total, Ndlr]», avance Jean-François Pachot. Aujourd’hui, quelque 800 personnes travaillent à Montpellier pour l’avenir de Big Blue, avec la donnée pour matière première.

Frédéric Viart a été l’un des dirigeants du Benchmark Test Center. Aujourd’hui, à la tête de la startup montpelliéraine ASA (logiciels dédiés à la recherche), il a vécu, de 1984 à 2006, date de sa sortie de l’entreprise, les différents tournants entrepris au sein de l’usine. «Le propre d’IBM est celui d’une évolution constante. En vingt-deux ans, j’ai changé près de vingt fois de postes», témoigne-t-il. Exigence de l’exercice : près de 2 000 emplois ont été supprimés à la faveur de plans de départs volontaires. «Certaines évolutions du site ont été traumatisantes, tant pour les gens qui ont décidé ces changements, que pour les salariés qui sont partis ainsi que ceux qui sont restés», poursuit Frédéric Viart.

Promoteur de La French Tech à Montpellier, IBM est parfois montré du doigt par une partie du tissu économique numérique local.  Dirigeant de RG Systèmes (groupe Septeo) et président du cluster numérique Novae-LR, Grégory Cladéra condense : «IBM, comme Dell, sont deux formidables vitrines pour le territoire. Mais je suis aussi partisan de dire que les grandes entreprises ont besoin des petites, et que les petites ont besoin des grosses… Or, nous n’avons pas à ce jour avec IBM de vrais partenariats commerciaux. Ce qui serait bien, c’est que l’on puisse ensemble packager des offres.»

Responsable des relations extérieures pour IBM Montpellier, Frédérique Letellier justifie : «A Montpellier, nous n’avons pas de services commerciaux. C’est un centre d’hébergement de données et de R&D. Nous savons toutefois que nous devons travailler davantage avec le tissu local, et c’est ce que nous allons faire, dès cette année, en nous rapprochant du BIC pour identifier les besoins des start-up», assure-t-elle. «IBM à Montpellier, c’est une chance, tempère Alain Molinié, directeur général d’AwoX (objets connectés). Sans sa présence, Montpellier n’aurait sans doute pas ce vivier de développeurs, d’ingénieurs, et d’étudiants performants ; et l’écosystème dont je fais partie ne serait sans doute pas là !»

D’autre part, Big Blue fait profiter certaines entreprises locales de son réseau. Ainsi, la start-up VogoSport, fondée par Christophe Carniel, créateur du logiciel de montage radiophonique Netia (racheté par Orange), a accompagné IBM à Roland-Garros, dont le géant est sponsor officiel, afin d’y présenter sa technologie capable de revoir une action, sur tablette ou smartphone, en direct ou au ralenti au sein même de l’enceinte sportive.

En outre, IBM a choisi Montpellier pour développer ses modèles big data liées à la ville intelligente (lire papier ci-dessous). «Pour une PME, il faut choisir et cibler», analyse Alix Roumagnac, dirigeant de Predict Services, une société qui collabore avec IBM sur ce thème. «Des PME comme la nôtre ont des dynamiques de développement agile qui ne sont pas les mêmes que celles qui régissent une société comme IBM. Travailler avec eux doit être saisi comme une opportunité, mais ne doit pas devenir la règle, et ce dans un souci de conserver notre agilité», conclut-il. 

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