Les projets Data & IA sont cœur de business, comme l’est de plus en plus la RSE. Mais Eramet doit aussi s’adapter aux spécificités de son industrie. Témoignage de Jean-Loup Loyer, Chief Data & Analytics Officer.
Quel est le rattachement de l’équipe Data au sein d’Eramet ?
Elle est intégrée à la transformation numérique, dirigée par Ludovic Donati. Et cette direction du digital rapporte aux opérations, qui au Comex a la charge du bon fonctionnement des usines, des mines et du transport, notamment. Sur d’autres sujets fonctionnels, nous sommes en outre rattachés à la direction générale.
Ce positionnement du digital dans l’entreprise se traduit par des problématiques très opérationnelles mais aussi stratégiques et commerciales.
L’intégration des opérations est au cœur du programme de transformation chez Eramet, et de manière générale dans le secteur minier. Il s’agit de développer des centres intégrés pour piloter les opérations à distance, de l’extraction du minerai jusqu’au client.
Et cela suppose donc de collecter de multiples sources de données à chaque étape de la production dans le but de disposer d’une vision 360° et de prendre des décisions plus vite et mieux.
La data au service de notre RSE devient également un engagement majeur. Nos actions dans ce domaine visent à minimiser les impacts de nos opérations. Cela signifie, par exemple, diminuer nos émissions de CO2, préserver la biodiversité en revégétalisant, et entretenir de bonnes relations avec les communautés locales.
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Ces missions font en partie appel à la data et à l’intelligence artificielle. Quel rôle remplit votre pôle ?
Nous comptons deux activités principales.
La première porte sur tout ce qui est l’analytics avancé, c’est-à-dire la data science, l’IA ou le machine learning. De leur côté, la BI et le reporting stratégique sont traités par la DSI. Nous menons des projets dans ce domaine au service des opérations, comme l’optimisation des opérations minières et la recherche opérationnelle.
Plus récemment, depuis 2021, nous développons aussi fortement notre seconde activité : la gouvernance de la donnée.
Nous avons en effet constaté en réalisant des produits Data, utilisés par des métiers au quotidien, que nous ne générions pas toute la valeur identifiée durant la phase initiale de business case. Une des raisons était la qualité de donnée en entrée, qui était parfois insuffisante.
Pour y remédier, nous avons décidé de déclencher des projets de gestion et de gouvernance des données, pour nos propres besoins, mais aussi plus largement pour le reste de l’entreprise, en particulier l’intégration des opérations et la RSE.
Quels cas d’usage avez-vous mis en production depuis la création de l’équipe Data/IA ?
Ces projets, lancés il y a 3 à 4 ans, nous permettent de nous assurer, à tout moment, qu’on produit au niveau de qualité attendu et à des coûts optimaux. Nous avons débuté en Norvège et en Nouvelle-Calédonie afin d’optimiser les rendements et la consommation énergétique de nos fours métallurgiques et continuons de déployer sur nos différentes usines.
Nous mobilisons aussi l’IA pour le pilotage de nos activités ferroviaires au Gabon via des sujets sur la maintenance prédictive des rails. Grâce à la collecte de données existantes, nous prédisons les risques de casse via des algorithmes de machine learning.
Nous ajoutons progressivement de nouvelles sources de données, dont du lidar pour la topographie. La détection d’image arrive grâce à l’équipement de la locomotive avec une caméra. Celle-ci nous permet d’acquérir une image temps réel de la voie pour détecter par exemple des problèmes sur des traverses, la plateforme ferroviaire ou les abords de voies.
La géotechnique fait aussi partie de nos sujets, avec par exemple la stabilité des talus ou remblais, pour nos activités minières ou ferroviaires. La donnée nous permet également de suivre la performance de profils clés pour les opérations, dont les conducteurs de locomotives et d’engins miniers.
Au niveau de la RSE enfin, sur un site au Sénégal, des images sont capturées régulièrement par des drones survolant la mine. Ces images sont exploitées pour réaliser de la détection automatique d’objets : puits, chemins, arbres. Ce système aide à planifier l’activité minière sur une mine dont la particularité est de se déplacer de plusieurs kilomètres par an.
L’industrie minière comporte certaines spécificités. Vous faut-il réaliser quelques “acrobaties” pour mener votre projet à bien ?
Notre particularité est de parfois opérer des mines localisées dans des zones reculées. Nous n’avons donc pas toujours des infrastructures IT de dernière génération ou de connectivité haut-débit.
Il peut par ailleurs être complexe d’embarquer certains métiers dans la digitalisation en raison des habitudes de travail. Par exemple, le papier reste ancré pour certaines activités, parfois tout simplement car c’est le moyen le plus disponible et fiable pour collecter de la donnée !
Autre spécificité d’Eramet : nous sommes un industriel de taille moyenne dans le secteur minier. En conséquence, les solutions du marché sont souvent trop complexes et coûteuses pour nous, ce qui nous oblige parfois à privilégier des solutions en make là où un acteur minier ou ferroviaire 10 fois plus important pourrait acheter des logiciels existants sur le marché pour en tirer tous les bénéfices.
Ces caractéristiques peuvent nous brider. Certains projets doivent par exemple être repoussés dans l’attente de disposer des fondamentaux techniques. Faire un produit data/IA sur tablette avec des recommandations temps réel et de la saisie de données est difficile en l’état sur certains sites, par exemple certaines gares le long du Transgabonais.
Ces conditions nous obligent à être créatifs, en proposant, par exemple et en partie, du mode déconnecté. A nous de réfléchir différemment sur l’acquisition de données et la restitution des résultats. Contrairement à d’autres secteurs, la connectivité en haut débit et à tout moment n’est pas toujours un acquis.
Quels seront vos projets et priorités en 2023 ?
Comme je l’indiquais en introduction, nos priorités résident dans le programme d’intégration des opérations et la RSE. Nous devons nous assurer de récupérer le plus de données possible sur l’ensemble de la chaîne de valeur, pour les remettre en qualité, les croiser et les analyser dans le but de prendre de meilleures décisions. L’objectif est ainsi de désiloter la prise de décision et de piloter nos opérations de la manière la plus efficace possible.
Sur la RSE, notre enjeu est de veiller, en étant performants sur le plan opérationnel, à être le plus respectueux possible des meilleurs standards éthiques, environnementaux et humains. Cela passe par des projets numériques sur la traçabilité, la certification et l’open data de données environnementales.