[L’enquête] C’est la question que la cité phocéenne se pose. Désormais cinquième hub mondial du trafic Internet, la ville a pris les devants pour planifier et réguler les implantations de centres de données et le déploiement de nouveaux câbles sous-marins.
En quelques années, Marseille est devenue une véritable plaque tournante du numérique. Avec seize câbles sous-marins la reliant au reste du monde (notamment au Moyen-Orient, à l’Afrique et à l’Asie), la cité phocéenne est aujourd’hui le cinquième hub mondial du trafic Internet. D’ici à 2030, une trentaine de câbles devrait y être connectés.
Leur présence s’accompagne de l’implantation de datacenters de grande capacité. Marseille en compte actuellement cinq et plus du double (une douzaine) est en projet à moyen terme, sur la zone portuaire ou à proximité immédiate. La présence de ces datacenters constitue bien entendu un formidable levier de développement économique. Mais elle s’accompagne aussi de ce que l’on appelle des externalités négatives.
A lire aussi : Digital Cleanup Day : l’occasion d’un électrochoc
« Nous avons fait le constat en 2020 que les centres de données consomment un foncier économique devenu rare, entrant frontalement en concurrence avec les entreprises qui souhaitent s’implanter ou s’étendre localement. Seuls 4,7 % du foncier marseillais sont à vocation purement économique, avec d’importantes pressions liées aux besoins en logement, en équipements publics, en espaces naturels et en infrastructures. Par ailleurs, en regard de leur activité, les datacenters créent relativement peu d’emplois locaux », déclare Laurent Lhardit, Adjoint au Maire de Marseille en charge du dynamisme économique, de lʼemploi et du tourisme durable.
L’enjeu de la consommation d’eau et d’électricité
« La présence de gros datacenters à Marseille tire énormément d’énergie à la ville, de l’ordre d’une centaine de mégawatts cumulés. Or, plusieurs centaines de mégawatts sont en demande par d’autres acteurs économiques. Le kilowatt se fait d’autant plus rare à Marseille que la ville est très mal desservie en termes de puissance électrique. Même si RTE a des projets pour augmenter les capacités actuelles, cela prendra des années. Donc, entre des années nécessaires pour renforcer le réseau électrique et le développement immédiat de centaines de mégawatts de puissance pour les besoins des géants de l’internet et de l’IA, les calendriers s’entrechoquent », explique de son côté Damien Desanti, Fondateur et CEO de PHOCEA DC, un nouvel entrant dans le secteur qui vient de lever 5 millions d’euros pour implanter un centre de données d’une puissance de 1,2 mégawatt au cœur du 3e arrondissement de Marseille.
Il faut aussi avoir en tête que les datacenters viennent en concurrence avec de nouvelles consommations énergétiques. C’est le cas notamment du programme de décarbonation des activités portuaires qui passe par l’électrification des bateaux à quai. Ce programme est en cours de déploiement avec, dès 2025, des stations de branchement à quai pour les navires de croisière géants. On peut également citer la politique municipale des transports urbains qui va nécessiter, pour les bus électriques notamment, la création de nombreuses stations de recharge.
Une stratégie municipale pour une implantation planifiée et régulée
Pour faire face à la multiplication des projets de datacenters, la ville de Marseille a voté, lors de son conseil municipal du 20 octobre 2023, une délibération visant à définir une stratégie municipale pour une implantation planifiée et régulée des câbles sous-marins et des datacenters sur son territoire.
« À une échelle globale, les câbles sous-marins et les datacenters peuvent renforcer la connectivité et la souveraineté des territoires qui les accueillent, et contribuer ainsi à l’essor de services et de domaines d’activités liés aux transformations numériques. Mais cela nécessite qu’une stratégie locale assure à ces territoires une maîtrise publique des conditions d’implantation de ces infrastructures, pour encadrer leur développement », peut-on lire dans cette délibération.
Concernant la consommation électrique, le texte rappelle aussi que les projets répertoriés sur l’aire marseillaise à ce jour correspondent à un besoin supplémentaire en électricité équivalent à celle de plus de 200 000 foyers. « À l’heure où la sobriété s’affirme comme une ardente nécessité, ces niveaux sont difficilement acceptables par nos concitoyens, et ce d’autant qu’ils pourraient concurrencer d’autres projets essentiels pour le territoire ».
Une commission pour étudier les nouveaux dossiers
Lors du conseil municipal du 20 octobre 2023, une commission a par ailleurs été créée afin d’examiner les nouveaux projets de datacenters. Elle doit permettre d’analyser les dossiers selon les critères suivants (liste non exhaustive) :
– Localisation dans des zones et espaces déjà artificialisés, pollués et / ou délaissés ;
– Préservation de la biodiversité terrestre et marine ;
– Consommation en eau et modalités de rejet ;
– Besoins électriques et adéquation avec les ressources disponibles et les projets dont l’électrification est jugée prioritaire sur le territoire ;
– Performance énergétique (avec une alimentation 100 % renouvelable et 40 % de récupération de chaleur fatale pour références) ;
– Articulation avec des projets de production d’énergie renouvelable ;
– Développement de l’emploi local ;
– Gestion des risques, évaluation des nuisances générées et modalités de traitement (bruit, stockage de carburant, ondes électromagnétiques, emprises non franchissables, îlots de chaleur, émissions de CO2 et de particules lors de la bascule sur l’alimentation de secours, etc.) ;
– Génération de recettes fiscales au bénéfice des collectivités.
« Cette délibération a pour but de rééquilibrer les choses. Nous sommes tout à fait conscients du fait que les câbles et les datacenters sont là pour renforcer la collectivité, ainsi que la souveraineté des territoires qui les accueillent et du territoire national. Mais nous considérons aussi qu’il faut que nous ayons une stratégie locale qui soit partagée avec l’État, les collectivités et évidemment les opérateurs, en expliquant qu’on ne peut pas mettre tous les datacenters à Marseille », conclut Laurent Lhardit.
En 2014, Interxion (acquis en 2019 par Digital Realty) a racheté à SFR le seul datacenter d’envergure qui était présent à Marseille (ce centre de calcul était alors appelé le « Netcenter »). En moins de dix ans, Digital Realty (qui n’a pas répondu à nos demandes d’interview) a multiplié le nombre de ses centres de données, pour arriver à un total de quatre sites. Un cinquième centre de données est en préparation. Il sera implanté sur l’ancien silo à sucre du Grand Port Maritime de Marseille et mobilisera 280 millions d’euros d’investissement, pour une puissance de 22 MW (qui viendront s’ajouter aux 55 MW déjà installés), sur un espace de 12 000 m2. Il devrait être livré en 2026.