En tant que directeur général adjoint en charge de l’innovation et des systèmes d’information du Groupe Matmut, David Quantin différencie bien l’impact qu’a eu le développement de la logique écosystème de son entreprise sur ses deux métiers. Il revient sur les changements survenus dans son quotidien.
Alliancy. Votre métier de directeur de l’innovation vous pousse-t-il à réfléchir en termes d’écosystèmes ?
David Quantin. Le terme écosystème me parle à la fois en tant que directeur de l’innovation et en tant que directeur des systèmes d’information. En effet, on parle enfin de systèmes d’information orientés « écosystème », après qu’ils ont été pendant des années orientés « produit » puis « client ». Cela se traduit par une ouverture de plus en plus grande des SI, mais il est important de comprendre qu’ils le deviennent justement parce que les entreprises elles-mêmes sont de plus en plus ouvertes et interdépendantes.
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Les directeurs de l’innovation ont depuis des années l’habitude de parler d’entreprise étendue. Le terme est né pour montrer qu’il était important d’étendre sa chaine de valeur. Aujourd’hui, avec leur écosystème, les entreprises ont une approche légèrement différente : elles vont jusqu’à réinterroger cette chaine de valeur et le partage de la valeur qu’elles sont prêtes à faire avec d’autres. A la Matmut, nous voulons nous ouvrir encore plus au marché pour proposer de nouveaux services différents et à valeur ajoutée à nos sociétaires.
Il n’est donc pas seulement question d’alliances avec vos partenaires traditionnels ?
David Quantin. Il existe toujours une place pour les grands partenariats stratégiques mais cela coexiste aussi chez nous avec une approche très volontariste sur les start-ups. Plus globalement, il s’agit de tisser des liens avec de nouveaux entrants, en identifiant comment ils peuvent venir enrichir la chaine de valeur, que ce soit au niveau du socle de l’activité ou sur des petits briques très spécifiques. Il n’est donc pas seulement question de contractualiser un service avec une start-up : nous cherchons de nouveaux partenariats qui vont apporter une différence notable dans ce que nous proposons à nos sociétaires.
Est-ce que vous abordez ces nouveaux partenariats de la même façon qu’il y a cinq ou dix ans ?
David Quantin. Non, la posture a complètement changé. Même si l’on prend l’exemple particulier des start-ups, nous portons un double regard sur chaque relation, celui pour lequel nous étions déjà très connu d’investisseur pour accompagner la croissance, mais aussi, aujourd’hui, celui d’un partenaire qui s’investit au quotidien pour travailler avec une autre entreprise. Autant en tant que DSI je n’aime pas parler de partenariat, car le mot est très galvaudé et maquille ce qui reste souvent une simple relation client-fournisseur, autant en tant que directeur de l’innovation, cela ne peut pas se résumer à de la communication. Il doit y avoir un gain évident de chaque côté, permettant d’éviter que la plus grande entreprise établisse une volonté hégémonique. Je recherche la co-construction, la nouveauté et la pérennité. Un vrai partenaire participe à des revenus récurrents, à la construction d’un business plan original… ce n’est pas anodin.
Quels sont les résultats ?
David Quantin. Sur la partie start-up, la Matmut a travaillé depuis 5 ans environ sur 19 investissements, mais nous avons également collaboré, comme je l’évoquais, avec des entreprises sans pour autant investir financièrement. C’est le principe de l’open innovation autour d’une vision résolument business, qui ne concerne pas le sujet de R&D technologique que je mène par ailleurs en tant que DSI. On y gagne avant tout une compréhension de tendances sociétales et un baromètre des usages et des nouveaux marchés. Concrètement, cela conduit à de nouvelles offres sur certains de nos segments, les jeunes ou les seniors par exemple, ou sur des secteurs spécifiques. Pour travailler ainsi, une clé de réussite est d’avoir un fonctionnement en équipe resserrée. Cela ne se limite donc pas aux start-ups. Aujourd’hui, nous arrivons à avoir le même genre de fonctionnement avec d’autres grands groupes pour mener ensemble des expérimentations marché directement. Et attention, je ne parle pas de POC ! Par exemple, nous travaillons avec Michelin sur les données de conduite embarquée ; avec Transdev et Renault sur le sujet des véhicules autonomes et nous avons aussi eu l’occasion de coopérer avec des opérateurs sur les problématiques de cybersécurité… En tant qu’assureur, nous pouvons profiter de nombreuses opportunités.
Au-delà de ces partenariats, quels autres exemples de fonctionnement en écosystème pouvez-vous partager ?
David Quantin. Nous nous rattachons aussi à certains écosystèmes d’innovation qui ont fait leur preuve comme le Swave, qui est orienté fintech. Avec SystemX, nous avons aussi travaillé sur les opportunités de la block chain en coopération avec d’autres grands acteurs : banque, constructeur automobile, équipementier… Ces sensibilités différentes donnent des échanges très riches. Je pense que chaque entreprise doit trouver le ou les écosystèmes où elle va pouvoir s’investir vraiment, pour en tirer de la valeur. Il ne faut pas se contenter de rester à la marge.
Et vis-à-vis de vos concurrents, est-ce que la coopétition a changé ?
David Quantin. Notre secteur a la caractéristique d’être très réglementé, mais notre premier écosystème c’est effectivement la FFA (Fédération Française de l’Assurance). Elle réussit à animer certaines logiques collectives, de concertation et d’analyse, même entre concurrents : partage des données statistiques essentielles de la profession, prévention des risques routiers, d’accidents de la vie et de santé, par exemple. Mais il y a également de nouveaux sujets : il y a quelques mois, nous avons ainsi expérimenté une blockchain, dans le cadre de la FFA justement. Une dizaine d’assureurs se sont réunis autour de la table pour travailler ensemble. Nous n’avons pas ressenti le besoin d’aller plus loin à ce stade, mais il n’en reste pas moins que c’est un très bon exemple.
Quel temps passez-vous chaque semaine à animer votre écosystème ?
David Quantin. Ce n’est pas une question facile ! Surtout, je ne veux pas tirer la couverture à moi. La réalité, c’est que j’ai une équipe de trois personnes qui passent 100% de leur temps à animer l’écosystème, à la fois vers l’interne, pour créer une dynamique collective avec nos relais innovation métiers, et vers l’externe, en organisant les rencontres avec le Swave, la FFA ou tout autre acteur intéressant. Ils sont également en lien très régulier avec les start-up, qui en ont besoin car elles vivent à un rythme différent de nous, malgré tout, avec tous les 18 mois une levée de fonds ou un pivot de leur activité ! Cette animation est clé si l’on veut vraiment partir de territoires d’innovation comme on le fait, en s’appuyant sur des responsables opérationnels qui nous lient au réel. On ne peut pas juste compter sur la chance et la bonne rencontre, au bon moment.
Et quand on a confiance dans son équipe, on ne perd pas de temps en contrôle : c’est ce qui me permet de consacrer une part importante de mon propre temps, sans doute 20% environ, au networking, pour nouer des relations directes ou indirectes avec d’autres acteurs, qu’ils soient de notre secteur, d’autres secteurs, start-up ou grand compte, mais aussi auprès d’autres professionnels de l’innovation.
Avec du recul, en quoi les écosystèmes ont-ils le plus changé votre quotidien ?
David Quantin. Je vois deux changements importants. Tout d’abord, l’ouverture a amené un changement de posture pour l’entreprise, ce qui nous a fait sortir du ‘’jeu du chat et de la souris’’, avec les plus petits que nous. Nous ne sommes plus du tout dans le réflexe « on essaye et on jette » qui pouvait parfois prévaloir il y a quelques années. On le voit particulièrement avec les start-up, pour lesquelles il y a maintenant une bien meilleure période de qualification. Et ce gain de maturité permet de gagner beaucoup de temps à moyen terme.
Ensuite, on accorde beaucoup moins d’importance à la « tech » lorsqu’on parle d’innovation aujourd’hui. S’ouvrir aux autres, c’est être sur une réflexion beaucoup plus sérieuse sur la partie business, sur les usages ou encore sur les problématiques sociales. En cela, je pense que 2020 aura été tout sauf une parenthèse. Cette crise est un évènement historique qui va marquer toute la société, les attentes des individus et des organisations et donc notre manière de faire de l’innovation. En cela, je distingue cependant les dispositions qui ont pu être prises en urgence et les orientations de plus long terme. Oui, il y a des réinventions qui se font depuis plusieurs mois, mais ce n’est pas pour cela que L’Oréal va continuer à produire du gel hydroalcoolique dans ses usines ou le Slip Français à faire des masques. Pour autant, les entreprises font partie du corps social et la crise interroge les sujets sur lesquels on veut le plus innover. Dans notre cas, c’est par exemple la façon d’aborder la question de la solidarité avec nos sociétaires et avec nos collaborateurs. Face aux problèmes rencontrés par beaucoup, comme les étudiants par exemple, il est clair que des écosystèmes doivent se mettre en place, pour fédérer de nouveaux moyens et de nouvelles réponses. Il ne faut surtout pas pour l’entreprise et ses partenaires baisser les bras sur l’alternance, les stages, les recrutements de jeunes sur le marché du travail. Il y a des moyens d’agir pour aider… et à plus forte raison, à plusieurs.