[Edito] De l’Elysée jusqu’à Porte de Versailles, se battre sur l’IA pour mériter les vivats

Si l’on ne retient qu’un enseignement de cette folle semaine pour la tech française, c’est qu’il faut se donner les moyens de créer activement de l’enthousiasme et de la confiance dans l’intelligence artificielle. « Le pire des comportements est celui de l’indifférence, de l’absentéisme, de la délégation aux autres. » C’est ainsi que la professeure et chercheuse Laurence Devillers, spécialiste des interactions entre les hommes et les machines, alertait dans son essai « Vague IA à l’Élysée », rédigé « en urgence » pour l’élection présidentielle de 2022, sur ce qui est pour elle un risque majeur. Elle pointait alors au contraire « l’urgence d’ouvrir le débat politique sur le numérique et l’IA ».

En observant la foule réunie le mardi 21 mai sur le sujet, on se dit que la vague IA a bien atteint l’Élysée. Emmanuel Macron a multiplié les annonces lors du « Rassemblement des plus grands talents français de l’IA » organisé sous les ors de la République. Le président a confirmé l’effort important de l’État pour s’assurer que l’IA soit bien traitée comme la priorité stratégique annoncée, notamment en dévoilant 2,5 milliards d’euros d’investissement supplémentaires dans le cadre de France 2030, portant l’enveloppe sur le sujet à 4 milliards.

« C’est un moment de réveil stratégique que nous vivons, qui suppose des choix profonds en termes de recherche, de formation et d’investissement », a mis en avant le président de la République, en interrogeant : « Au fond, la question qui est posée à la France, à l’Europe, c’est : est-ce qu’on décide les investissements, la politique d’accompagnement qui nous permet de revenir complètement dans la compétition internationale ? »

Emmanuel Macron a également fait passer ce message en visioconférence lors du Sommet International de l’IA qui se tenait au même moment en Corée du Sud, avec d’autant plus de conviction que la France organisera son édition en 2025. Mais la mobilisation présidentielle et les montants annoncés ne sont évidemment pas le seul atout de l’Hexagone pour générer de la confiance dans son avenir tech.

L’écosystème français de l’intelligence artificielle est estimé à plus de 13 000 personnes, 600 start-up, 80 laboratoires de recherche… Il attire les investissements étrangers. Mais du point de vue économique et de l’attractivité, la partie ne fait que commencer. La « guerre mondiale de l’IA » va être particulièrement rude pour un pays comme la France, qui reste un micromarché et va devoir construire son influence autrement.

Créer des alternatives, faire émerger des champions enthousiasmants, va être au cœur des enjeux. Cela tombe bien, au-delà du cas Mistral AI, les annonces étatiques ont coïncidé avec la mise en avant de la nouvelle promotion du Next40 et du French Tech 120. Mais aussi avec l’émergence de « H », nouvelle start-up française de l’IA, qui a bouclé un tour de table record de 221 millions d’euros avec le soutien de businessmen hexagonaux comme Xavier Niel et Bernard Arnault, mais aussi internationaux comme l’ex-patron de Google Eric Schmidt, ou encore Samsung et Amazon. Celle qui a failli s’appeler « Holistic AI » promet de permettre des réalisations « que les modèles d’IA actuels ne permettent pas de réaliser ».

Au demeurant, le défi principal pour l’écosystème est d’atteindre et de conserver la masse critique qui lui permettra d’attirer et de faire tourner autour de lui les clés de l’avenir, plutôt que d’être seulement un satellite des poids lourds mondiaux du numérique que sont les États-Unis ou la Chine.

Alors oui, l’État a tout intérêt à agir sur les dispositifs qui renforcent l’écosystème : appel à projets pour « Accélérer l’usage de l’intelligence artificielle générative dans l’économie » ; programme sur l’évaluation des IA avancées ; mise en place du Grand challenge sur l’IA d’usage général ; création d’un centre d’expertise européen en IA générative (ALT-EDIC) ; appel à projet visant le « Renforcement de l’offre de services cloud » pour rapprocher les acteurs de l’IA et du Cloud… Mais cela ne suffira pas.

La « masse critique » viendra aussi de la crédibilité apportée par des événements comme VivaTech, où il n’est cette année presque question que d’IA. Lors de la grande rencontre de l’innovation qui a lieu Porte de Versailles, les entreprises doivent montrer au plus grand nombre ce qu’elles font de l’opportunité technologique qui leur est offerte, à l’image de L’Oréal. Traditionnellement, le dernier jour de l’événement est ouvert au grand public. L’occasion de convaincre, de donner confiance, mais aussi de donner envie dans un futur tech.

Emmanuel Macron a promis d’ajouter 400 millions d’euros pour financer neuf « clusters IA » partout en France, comme autant de pôles d’excellence permettant la formation de spécialistes de l’intelligence artificielle. Avec l’objectif de former 100 000 personnes par an sur le sujet. Pour maintenir ce rythme, il va falloir attirer très tôt, aller chercher des profils différents, se battre pour faire en sorte que les femmes intègrent pleinement l’écosystème technologique et pèsent aussi sur notre futur avec l’IA.

« Comment augmenter la compréhension de ces nouvelles technologies dans la société et éviter une fracture sociale ? Nous avons besoin d’amplifier la médiation, l’éducation à l’école sur le numérique auprès des plus jeunes. Il y a trop peu de projets financés sur la communication, l’expérimentation et la médiation sur le numérique pour toucher un grand nombre de citoyens dans la société », écrivait Laurence Devillers en 2022. On ne peut que lui donner raison et espérer que les vivats actuels et le « show » autour de l’IA en France encouragent à aller se battre aussi sur ces sujets complexes.