La “révolution DeepSeek” en est-elle vraiment une ? C’est la question à laquelle répond le rapport du Centre géopolitique des technologies (IFRI), rassurant sur l’impact de l’IA open-source chinoise considéré/présenté comme modéré.
Comme Huawei en 2018, DeepSeek est devenu le rival numéro un des géants américains, mais surtout, le symbole de leur concurrence technologique avec la Chine. Le cas de DeepSeek dans cette compétition est l’objet du dernier rapport du Centre géopolitique des technologies (IFRI). Désigner ainsi un adversaire est une politique outre-Atlantique fréquente, signale le rapport. Et ce rôle d’antagoniste n’est d’ailleurs pas le seul point commun entre DeepSeek et Huawei : les deux entreprises chinoises ont subi des restrictions, imposées par Donald Trump, sur l’importation de matériaux essentiels. Dans le cas de DeepSeek, il s’agissait des précieuses puces graphiques de Nvidia, les plus puissantes du marché.
Le choc initial
Une mesure qui n’a pas empêché DeepSeek de proposer, le 20 janvier 2025, un modèle en open source, DeepSeek R1, plus performant que les meilleures IA génératives sur le marché. Au-delà de cette supériorité technique, l’IA est moins gourmande en ressources, en énergie… et en argent. DeepSeek affiche des coûts de développement et d’exploitation ridiculement faibles comparés aux constructeurs américains. De quoi remettre complètement en cause leur modèle économique, déjà déficitaire. Malgré un chiffre d’affaires de 3,7 milliards de dollars en 2024, OpenAI a enregistré une perte d’environ 5 milliards de dollars. Cette perte devrait s’élever à 14 milliards de dollars en 2026.
La “remontada” chinoise
Constater ainsi la viabilité d’un autre modèle de développement que le gigantisme américain et ses investissements de plusieurs milliards de dollars a chamboulé Wall Street. Les États-Unis ont été renvoyés à leur hantise du dépassement technologique, d’abord soviétique, puis japonais, et maintenant chinois. Résultat : Nvidia, pourtant chouchoute des investisseurs, a perdu approximativement 600 milliards de dollars de valorisation boursière. Du côté de Pékin, DeepSeek a été “érigée comme symbole d’une remontada” chinoise, explique l’auteur du rapport, le chercheur Benjamin Pajot. Une frénésie patriotique s’est depuis emparée de la Chine. La start-up s’est associée aux plateformes chinoises majeures comme WeChat, Huawei Cloud, Baidu mais aussi à une douzaine de constructeurs automobiles et des grands ports de Chine.
Des améliorations réplicables
La fierté chinoise se base principalement sur l’ingéniosité des équipes de DeepSeek qui ont optimisé les systèmes existants grâce à une nouvelle méthode : l’activation sélective. Plutôt que d’exécuter l’intégralité du modèle pour chaque requête, seul le sous-modèle concerné par le prompt est sollicité. Mais les Américains ont vite relativisé lorsqu’ils ont compris que ses gains d’efficience étaient facilement réplicables. Des chercheurs américains sont d’ailleurs parvenus à publier en open source un modèle de raisonnement aux performances équivalentes, pour moins de 50 dollars ! L’optimisation des ressources de DeepSeek va donc profiter à tout le monde. “C’est moins l’agilité intellectuelle et la taille modeste de l’équipe chinoise (143 personnes) que sa nationalité qui a soulevé les inquiétudes”, renchérit Benjamin Pajot.
Une IA tout de même dangereuse
Si la peur d’avoir été doublé a vite été apaisée, la vigilance est tout de même de rigueur. En effet, DeepSeek, n’est pas si transparent pour un modèle en open-source. L’entreprise garde le mystère sur son algorithme d’ajustement, permettant la spécialisation du modèle pré-entraîné, mais surtout, refuse de communiquer ses données d’entraînement. Ces mêmes données qui la rendent conforme aux attentes de Pékin en matière de propagande. Rappelons que, selon DeepSeek R1, Taïwan appartient à la Chine depuis l’Antiquité.
La chance européenne
Au-delà de véhiculer l’idéologie chinoise, DeepSeek pose aussi la problématique de la confidentialité des données, récupérées via les prompts des utilisateurs. Celles-ci sont stockées en Chine chez le géant ByteDance, la maison mère de TikTok. Problème : les entreprises chinoises ont l’obligation de laisser accéder Pékin à leurs données (loi sur le renseignement de 2017, renforcée en 2023). Voilà pourquoi la Corée du Sud, Taiwan, un État américain et l’Italie ont restreint l’usage de DeepSeek. Le rapport de l’IFRI voit ici une opportunité européenne. Le Vieux Continent, en tant que berceau historique et contributrice majeure de l’open source, “peut et doit faire valoir une autre approche, fondée sur ses valeurs et principes”, soutient Benjamin Pajot.