Dépendances technologiques : de l’agitation aux actes

 

Le bruit autour de la souveraineté numérique suffirait-il à régler la problématique profonde des dépendances technologiques ? En sortant de quatre jours de VivaTech, la semaine dernière, on pouvait en avoir l’impression. Le nombre de références au terme « souveraineté » a proprement explosé cette année dans les allées. Toutes les start-up se retrouvent plus ou moins à sortir l’argument de leurs besaces et la forte représentation de stands d’acteurs institutionnels a également contribué à donner le « la » de cette « chorale souveraine ». Le passage d’Emmanuel Macron, venu mettre en avant le partenariat entre le géant des puces IA Nvidia et la pépite française Mistral, n’a été que le symptôme le plus marqué de cette éruption de communication et de promesses… qui paraissent parfois très incantatoires. D’ailleurs, sur un salon international comme VivaTech, la mise en abîme est visible : la souveraineté numérique n’y est pas l’apanage des acteurs hexagonaux et à force de partenariats ou d’offres ciselées, les entreprises technologiques de toute origine surfent sur la vague. Mais quand tout le monde tente de se cacher derrière un terme quitte à le galvauder, on ne peut que voir le risque de noyer le poisson et de détourner le regard des actions nécessaires à mener sur les dépendances technologiques.

 

Sortir de l’ère du consommateur vassal

 

Il est vrai que le combat pour la souveraineté numérique et la lutte contre les dépendances technologiques connaissent des points de recouvrement importants. Le plus évident d’entre eux est que l’Europe s’est rendue très largement dépendante des technologies et innovations américaines (en particulier sur le software) et chinoises (sur le hardware). La situation géopolitique a par ailleurs exacerbé le sentiment que cette posture de « consommateur » plutôt que de « créateur », très confortable pendant près de trois décennies, était devenue un piège majeur. L’importance critique prise par le numérique dans tous les aspects de nos vies et de nos économies donne en effet à ceux qui dominent la tech une influence démultipliée sur leurs clients… certains diront même « vassaux ».

 

Ne pas rester seul face au défi des dépendances tech

 

Pour autant, par définition, le sujet de la souveraineté numérique renvoie à des attributs régaliens : l’action de l’État et la stratégie de l’Union européenne sont ce qui pèse le plus sur l’avenir. Le sujet devient vite celui des politiques publiques et de la voie réglementaire. Et en la matière, on sait à quel point il faudra du temps pour que les lignes bougent. Les règles que l’Europe s’est fixées depuis longtemps et qui entravent ses capacités à innover, à créer et à protéger ses champions, sont bien connues. Et malheureusement, elles ne changeront pas du jour au lendemain. Or, ce constat factuel ne doit pas pousser à l’attentisme et à l’immobilisme les organisations elles-mêmes, privées ou publiques. À leur niveau, elles ont en effet la possibilité d’agir concrètement, dans les interstices d’une situation globale très contraignante, sur la prise en compte de leurs dépendances technologiques. Mais souvent, le sentiment d’être seules face à ces défis, de ne pas savoir par où commencer ou comment gérer les multiples réalités différentes que peuvent prendre ces situations de dépendances, pousse à la passivité.

 

Independence Tech Day

 

Pourtant, de nombreuses organisations, dont les directeurs des systèmes d’information, notamment, ont pris conscience des enjeux, se sont déjà lancés dans des actions très concrètes. Celles-ci méritent d’être mieux partagées et mutualisées. C’est d’ailleurs tout l’objet du Do-Tank « Dépendances technologiques & libertés d’action » lancé par Alliancy au printemps. En se concentrant sur le passage à l’acte directement sur le terrain, au travers des stratégies d’achats, des gestions contractuelles, de la préparation « d’exit plan » ou encore de l’activation du levier des alternatives technologiques… les organisations participantes veulent reprendre progressivement la maîtrise à leur niveau. Et faciliter le passage à l’action d’autres. Un premier point d’étape de ces travaux sera partagé le 2 juillet prochain lors de l’Independence Tech Day.

 

Nous sommes responsables de nos dépendances

 

En attendant, les actualités n’ont pas manqué de rappeler que le sujet concernait bien tout le monde. La panne mondiale du 12 juin, qu’ont connue certains services grand public comme Spotify ou Google Maps, a mis sur le devant de la scène la problématique de la dépendance, même chez un géant technologique comme Cloudflare. Pointée du doigt, l’entreprise n’a pas tardé à communiquer sur les causes du problème, sans chercher à éluder sa responsabilité : « Nous sommes profondément désolés pour cette panne : il s’agit d’une défaillance de notre part, et bien que la cause immédiate (ou le déclencheur) de cette panne soit une défaillance d’un fournisseur tiers, nous sommes en fin de compte responsables des dépendances que nous avons choisies et de la façon dont nous choisissons « d’architecturer » autour d’elles ». Ce qui pousse à s’interroger : à quel point les dirigeants dans les organisations se sentent-ils aujourd’hui vraiment responsables des dépendances qu’ils ont choisies ?