La difficile sobriété numérique au bureau

Selon la 9e édition du Benchmark Green IT, publiée par le collectif Green IT, les impacts environnementaux liés au système d’information des entreprises continuent d’augmenter. Pour être soutenable, il faudrait pourtant diviser d’un facteur 4 à 10 le poids du SI.

Pour la 9e année consécutive, le collectif Green IT publie les résultats de son Benchmark Green IT. L’étude repose sur l’analyse des systèmes d’information de plus de 30 organisations dans des secteurs d’activités variés : organisations publiques, banques et assurances, retail et luxe, industrie, etc. Ces entreprises et organisations totalisent 154 537 utilisateurs, 12 398 collaborateurs et collaboratrices de la DSI et environ 756 000 équipements.

Le Benchmark Green IT se base sur la quantification des impacts environnementaux des systèmes d’information des organisations participantes et identifie des solutions pour les rendre plus sobres. L’évaluation des impacts repose sur les standards internationaux d’Analyse du Cycle de Vie (ISO 14040 et ISO 14044) recommandés par la Commission européenne dans le cadre de la méthodologie Product Environmental Footprint (PEF) et précisés par l’Ademe en France. Conformément à ces standards et recommandations de la Commission européenne et de l’État français, 16 impacts environnementaux et sanitaires sont étudiés, allant de l’épuisement des ressources à l’écotoxicité pour les milieux aquatiques en passant par le changement climatique.

La part du numérique dans le budget annuel soutenable d’un salarié augmente chaque année

« Le point clé à retenir est l’augmentation très nette des impacts environnementaux d’année en année. Si on les rapporte aux limites planétaires, c’est-à-dire aux quantités d’impacts environnementaux que chaque utilisateur peut ‘dépenser’ pendant un an, sans déstabiliser les équilibres fondamentaux de la planète, la part du numérique dans le budget annuel soutenable d’un salarié est ainsi passée de 40 % en 2022 à 60 % en 2024. Nous devons donc collectivement faire plus d’efforts et intégrer deux leviers essentiels : le réemploi et l’écoconception », analyse Frédéric Bordage, co-auteur de l’étude au sein du collectif Green IT.

« Le réemploi commence à être systématisé et industrialisé, mais il est encore loin d’être déployé partout. Pourtant, il est simple à mettre en œuvre et permet de faire des économies. D’énormes gains peuvent donc encore être obtenus grâce à lui. Quant à l’écoconception de services numériques, elle est incontournable pour diminuer les impacts, mais les entreprises sont vraiment perdues, il y a tout à faire », complète Frédéric Bordage.

Si l’on rentre dans le détail des résultats du Benchmark Green IT, le numérique au bureau contribue principalement à cinq crises environnementales et sanitaires qui représentent plus de 80 % des impacts :

1 - Contribution indicateurs

Ces impacts associés aux usages numériques d’un utilisateur pendant un an dans un cadre professionnel sont conséquents :

  • Épuisement des ressources “matières” (ADPe) : 19,1 g équivalent antimoine (SB), soit 92 tonnes de terre excavée ;
  • Épuisement des ressources fossiles (ADPf) : 19 500 mégajoules (MJ) d’énergie primaire (EP) ;
  • Radiations ionisantes : 818 kBq équivalent U235, soit 20 450 radiographies des poumons ;
  • Réchauffement global : 431 kg équivalent CO2, soit 2500 km en voiture thermique ;
  • Écotoxicité pour l’eau douce (Ecotox) : 6246 CTUe (comparative toxic units) ;
  • Particules fines (PM) : 0,000017 occurrence des maladies liées ;
  • Utilisation de l’eau douce : 356 m3, soit 5 940 douches.

Les centres informatiques, principale source d’impacts

Pour la première fois depuis 10 ans, les centres informatiques sont la principale source d’impacts (28 %), juste devant l’environnement de travail des utilisateurs (ordinateur, écrans, etc.) et la DSI (déplacements des informaticiens et m2 de bureau alloués) qui arrivent ex-æquo (22 %). Les réseaux arrivent en quatrième position, concentrant 18 % des impacts.

Contribution domaines

« Une meilleure prise en compte de la localisation des serveurs “cloud” dans cette édition et quelques participants basés au Luxembourg et en Belgique augmentent certains indicateurs liés à la production de l’électricité qui, en Asie, au Luxembourg et aux Etats-Unis, engendre plus d’impacts environnementaux qu’en France. Cela explique en partie que les centres informatiques ressortent aussi fort dans cette 9ème édition de l’étude », commente Frédéric Bordage.

D’autres facteurs sont également importants à considérer comme l’allongement continu de la durée de vie des équipements utilisateurs (ordinateurs, écrans, etc.), ce qui diminue proportionnellement la part de l’environnement de travail des utilisateurs par rapport aux centres informatiques. Enfin, depuis plusieurs années, le nombre de serveurs par utilisateur augmente de façon continue, car de plus en plus de traitements sont dématérialisés sous la forme d’applications SaaS (Software-as-a-Service) plutôt que de logiciels installés directement sur les ordinateurs des salariés.

Plus d’impacts lors de l’utilisation que lors de la fabrication

Deux étapes du cycle de vie contribuent majoritairement aux impacts : la fabrication des équipements et leur utilisation (notamment la production de l’électricité consommée par le système d’information). Sauf pour l’épuisement des ressources abiotiques (métaux et minéraux et ressources fossiles) qui est prédominant lors de la fabrication des équipements, la phase d’utilisation est désormais majoritaire pour la plupart des autres indicateurs d’impacts observés dans le cadre du Benchmark Green IT 2024.

Contribution etapes

Cette évolution est surtout due à l’allongement de la durée de vie des terminaux (ordinateurs, écrans, etc.), au périmètre de l’étude avec des participants basés aux Luxembourg et en Belgique (la production d’électricité a plus d’impacts dans ces pays qu’en France) et à une meilleure prise en compte du cloud basé en Asie et aux États-Unis.

« Dans un contexte professionnel où l’on passe huit heures par jour devant un écran, il est logique que la phase d’utilisation soit prédominante. Cela ne contredit pas les études portant sur les usages grand public du numérique dans lesquelles la phase de fabrication est la plus importante. En effet, heureusement, nous ne passons pas 8 heures supplémentaires par jour devant l’écran de notre ordinateur personnel à la maison (en plus des 8 heures au bureau) ! », note Frédéric Bordage.

Pour être soutenable, il est nécessaire de diviser entre 4 et 10 fois le poids du SI

« Selon l’indicateur observé, les entreprises privées et publiques doivent diviser par un facteur 4 à 10 les impacts de leur système d’information pour que leur activité soit soutenable », met en perspective Frédéric Bordage. Ces objectifs de réduction sont atteignables à moyen terme dès lors que les entreprises déploient une démarche proactive de réduction.

« Il est par exemple assez facile de doubler la durée de vie des postes de travail en systématisant leur réemploi. Si, en parallèle, on évite de multiplier les écrans externes LED / OLED et que l’on allonge leur durée de vie, on divise par quatre les impacts par rapport à une entreprise qui n’agit pas », ajoute Anne Rabot, autrice principale du rapport et Responsable des études chez Resilio, une des entreprises membres du collectif Green IT.

En croisant ces informations, on peut identifier des pistes d’actions prioritaires pour les principaux domaines concernés :

  • La fabrication des équipements des utilisateurs contribue majoritairement à l’épuisement des ressources abiotiques. Il faut donc continuer à réduire le taux d’équipement et allonger leur durée de vie ;
  • La consommation d’électricité de l’infrastructure (centres informatiques, cloud et réseaux) représente 81 % de la dépense énergétique globale (en énergie primaire). Elle induit des impacts tels que les radiations ionisantes, l’épuisement des ressources fossiles et l’émission de particules fines (surtout en dehors de la France). Il faut donc réduire la consommation électrique de l’infrastructure (et donc écoconcevoir les services numériques pour utiliser moins de serveurs et de réseaux) ;
  • La téléphonie et les impressions sont des domaines à faible impacts environnementaux (comparé aux autres domaines). Mais il est facile d’agir, par exemple en améliorant la qualité du papier consommé (recyclé FSC et / ou Blue Angel).

Au final, la compilation de tous les plans d’actions individuels des organisations qui ont participé à cette 9ème édition du Benchmark Green IT fait ressortir quatre actions prioritaires :

  1. Réduire le taux d’équipement par utilisateur et notamment éviter le deuxième écran, surtout s’il est de technologie LED/OLED ;
  2. Allonger la durée de vie de tous les équipements (sans oublier l’infrastructure) en systématisant le réemploi plutôt que le recyclage des équipements fonctionnels ;
  3. Réduire les kilomètres des collaborateurs de la DSI et des prestataires en favorisant le télétravail et en mettant en place un Plan de Mobilité (PDM) ;
  4. Écoconcevoir les services numériques pour diminuer les impacts associés à l’utilisation en réduisant le nombre de serveurs et la quantité de « réseaux » nécessaires.