Expleo (ex. Assystem Technologies) est une société spécialisée en ingénierie, qualité et conseil stratégique pour la transformation digitale. Présent dans une trentaine de pays, le groupe intervient dans plusieurs secteurs industriels directement impactés par les nouvelles technologies. Entretien avec Dimitri Bettebghor, Chief Data Scientist chez Expleo, pour identifier les pistes d’avenir pour l’industrie française.
Alliancy : L’avenir de l’industrie réside-t-il dans la donnée ?
Dimitri Bettebghor. Chez Expleo, nous adressons tous les secteurs de l’industrie, sur l’ensemble de la chaîne de valeur (conception, production, services, logistique, suivi qualité et après-vente, maintenance…). Nous accompagnons les projets de transformation digitale et les acteurs qui expriment une volonté de mieux exploiter leurs données. Les acteurs industriels n’ont pas toujours idée du potentiel de création de services qu’offre cette donnée. Les grands constructeurs automobiles comme Renault ou PSA se sont posé la question de la valorisation des données notamment afin d’améliorer les process classiques. Cette démarche sera l’une des caractéristiques fortes de l’industrie du futur et c’est ce qui pousse de plus en plus d’acteurs du domaine à se plateformiser.
Donc la plateformisation est un passage nécessaire pour l’industrie française ?
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Pouvez-vous nous citer quelques cas d’usage dont peut bénéficier l’industrie en valorisant ses données ?
Dimitri Bettebghor. Il y a d’abord le secteur des transports où la tendance est à l’augmentation de la sécurité et à l’autonomisation. Chez Expleo, nous travaillons avec les constructeurs automobiles pour valider les systèmes avancés d’aide à la conduite (ADAS), tels que les systèmes de détection automatique de piéton. Ces systèmes sont de plus en plus sophistiqués et offrent de nouvelles fonctionnalités. Outre le contrôle de la trajectoire du véhicule par exemple, ils permettent de détecter l’environnement – voire d’anticiper certains éléments comme les feux de signalisation. Ils reposent sur une masse de données récoltée par des capteurs (caméra, radar, lidar…) qui, couplée à l’IA et au Deep Learning, permet d’enrichir l’expérience du conducteur et de l’assister sans pour autant le remplacer.
Ensuite, l’IA est utilisée pour de la maintenance prédictive. Le nombre de déplacements des techniciens de maintenance est réduit car des IA embarquées dans des caméras servent directement à détecter les défauts à distance et à monitorer par exemple un taux de qualité. Si elle veut réduire les coûts de maintenance et de production, l’industrie du futur devra amplifier la mise en place de ces systèmes de détection de pannes et de défaillances, ainsi que celle des capteurs et traitements associés.
L’IA en industrie est-elle LA solution ?
Dimitri Bettebghor. Pas exactement ! Il y a des secteurs dans lesquels l’application de l’IA n’est pas forcément envisageable. L’usine a tout à gagner à recourir à l’IA, mais il y a tout un système complexe à mettre en place en amont et cela nécessite des connaissances expertes (acquisition et cartographie des données, alignement, labellisation, preuve de principe, industrialisation, monitoring et mesure de l’impact). Sur le web, l’utilisation de l’IA est plutôt accessible mais dans l’industrie, c’est plus difficile car les données sont souvent moins volumineuses et directement exploitables. Le secteur de la banque-assurance, par exemple, est plutôt en avance car il traite naturellement les données de ces clients depuis des décennies. Dans l’industrie, le fait de mettre en place un centre de collecte des données est relativement nouveau, car éloigné de son activité d’origine (conception et production de véhicules, par exemple). Ou plutôt, toutes les industries ne sont pas au même niveau de maturité en matière de recueil des données.
Nous conseillons donc aux industriels qui souhaitent se lancer d’investir dans des projets à forte valeur ajoutée ou répondant directement à un enjeu de sécurité. Il y a cette balance économique à garder en tête car toutes les technologies d’IA sont, par ailleurs, extrêmement coûteuses en énergie ou en ressources informatiques (l’apprentissage profond notamment). Ces entreprises doivent également se poser des questions qui ne sont pas que techniques comme : où se trouvent les données de l’entreprise et sont-elles aisément disponibles ? Quels experts faut-il mobiliser pour en tirer parti ? Pour quel(s) cas d’usage ? A qui appartiennent-elles ? Quelle gouvernance des données mettre en place ? Quels sont le coût et la plus-value de l’acquisition de nouvelles données plus fines ? Se pose aussi à l’échelle de la filière une question de recrutement et de formation car les profils spécialisés en IA et data science s’orientent souvent plus vers le milieu des start-up que vers l’industrie traditionnelle. Nous avons donc un vrai enjeu d’attractivité des talents à résoudre si nous voulons réussir le défi de l’intégration de l’IA dans l’industrie.