Sylvain Fievet, directeur de la publication d’Alliancy le Mag, a réuni huit représentants des DSI de grandes entreprises, autour de Cloudwatt sponsor de cette soirée, pour échanger, le temps d’un dîner, de la maturité des offres cloud, des facteurs clés d’adoption ou de blocage et plus généralement de la transformation digitale des entreprises. Entre intérêt des métiers et défis pour la DSI, le cloud a déjà bouleversé les usages. La sécurité ? « Un faux problème ». La réversibilité ? « Rien d’insurmontable.» Avec désormais un certain recul sur la question, les DSI l’affirment, aujourd’hui, le cloud est moins un sujet technologique que de management. Ils ont dressé le tableau de l’écosystème français et international et évoqué l’avenir. Quelle architecture d’entreprise construire pour gérer les flux internes/externes et avec quelles ressources humaines ? Comment accompagner la montée en puissance du SaaS sans tomber dans le BYOC (Bring Your Own Cloud) ? Comment mettre le cloud au service de la transition digitale ? Quel rôle pour les opérateurs, simple producteur d’énergie ou partenaire de cette transformation numérique ?
Quelle est votre vision sur l’organisation du marché et l’écosystème Cloud ?
« En 1995, quand j’étais chez IBM, notre CEO, Louis V. Gerstener Jr, avait dit :« l’avenir, c’est le on-demand ». Il a fallu attendre quelques années, mais c’est aujourd’hui une réalité. Ceci dit, l’adoption reste très lente, pas uniquement en France, en Europe continentale plus généralement. C’est intéressant de comprendre les raisons. Le IaaS public en France c’est autour de 150 millions d’euros cette année, dont presque les 3/4 pour les grands, Amazon surtout, et puis Azure. Les autres acteurs existent peu. Donc c’est important pour nous de rencontrer nos clients finaux pour comprendre leurs enjeux. » Didier RENARD, Cloudwatt, Président directeur général
« C’est vrai qu’il y a un siècle, les entreprises produisaient encore leur propre électricité avec des générateurs. Aujourd’hui plus personne n’aurait cette idée. Je pense que le cloud est un allié précieux de la transformation numérique. Pas seulement en apportant de la souplesse, de la rapidité, mais surtout sur la capacité de générer des économies récurrentes. Le coût n’est pas forcement prohibitif et c’est une opportunité de pouvoir investir sur des activités à plus grande valeur ajouté. » Christophe HUERRE, Rexel, Vice-Président Group & DSI Rexel, membre du CIGREF
« Pour imager mon propos : le cloud c’est une Smart pour aller à Paris au boulot et une Espace pour partir avec ses enfants en vacances. Si on ne pense le cloud qu’au travers d’une économie de coût, c’est trop réducteur. Il faut le prendre sous l’angle de la flexibilité et se poser les bonnes questions sur ce qui est flexible, ce qui va nous permettre de gagner du business etc. » Philippe RIVIERE, Cloudwatt, Directeur commercial et marketing
« Au sein du CRIP, nous avons partagé le constat que la plupart des grands groupes ont initié des projets de cloud privé, mais sont plus prudents sur le cloud public, même si beaucoup y ont aussi mis un pied, notamment pour le développement. Une bonne moitié des entreprises avec lesquelles j’ai échangé ont déjà une belle maturité sur leur cloud privé. Avec une première approche qui est en général relativement simple (par exemple des machines virtuelles, c’est à dire du IaaS), puis vous montez progressivement dans les couches logicielles (donc du PaaS) pour votre catalogue de services. En ce moment, beaucoup regardent ce qui se fait à l’extérieur et lancent des réflexions sur les cloud brokers, qui pourraient les aider à mixer les offres externes et les offres internes. » Stéphane LAFON, Sanofi, Domain Leader Application cloud Services, Pilote du groupe cloud au CRIP
« Les premières normes sur le vocabulaire du cloud sont parues le mois dernier. Elle définissent les rôles tels que fournisseur, client ou intermédiaire, les types de déploiement tels que que public, privé et hybride et l’Architecture de référence du modèle cloud, en vue utilisateur et en vue fonctionnelle. Elles ont été validées par un ensemble de 35 pays. Autour de la table on retrouve toujours les mêmes, des gros opérateurs, les Microsoft, les IBM etc. et plus récemment les acteurs français du cloud tels que Numergy et OVH. C’est dommage, car les entreprises clientes et utilisatrices ont aussi leur mot à dire. Donc je les encourage à participer plus activement. » Olivier TEITGEN, Afnor, Chef de projet et secrétaire de la Commission cloud
Comment le métier de DSI a évolué avec l’essor du Cloud ?
« En tant que DSI aujourd’hui mon vœux le plus cher est de ne plus avoir aucun datacenter sous ma responsabilité pour pouvoir me consacrer à des objectifs business, pour être un acteur de changement. C’est un champ fantastique qui s’ouvre pour les DSI. Après, est-ce qu’on va tout mettre dans le cloud ? Je ne pense pas. C’est prématuré. En tout cas, dès qu’on a une opportunité de se débarrasser d’un serveur physique, on le fait. L’élément déclencheur c’est souvent une application métier à rénover ou à changer et pour laquelle on va systématiquement saisir l’opportunité de l’avoir en SaaS. Mais cela dépend des types d’activités. Dans la banque ou l’assurance, la valeur ajouté elle est créé par l’application, donc si vous êtes une banque vous n’allez pas acheter du banking en SaaS. Ça n’a pas de sens. Mais par contre, tout ce qui n’est pas votre cœur de métier, pourquoi pas. » Christophe HUERRE, Rexel, Vice-Président Group & DSI Rexel, membre du CIGREF
« La majorité des projets cloud sont en mode SaaS chez Sanofi. Le plus souvent, ce sont des besoins apportés par le métier. La difficulté pour la DSI, c’est que les fournisseurs SaaS sont souvent des fournisseurs de niche. Vous avez bien sûr des très gros comme Salesforce, mais souvent aussi des très petits qui sont plus difficiles à évaluer. Donc la meilleure façon de s’adapter c’est d’éduquer nos utilisateurs. L’idée de Sanofi a été de créer des checklists accompagnées de bonnes pratiques. Nous expliquons aux métiers cette notion d’interfaçage qui est clé techniquement parlant, et que c’est quelque chose qu’ils ne peuvent pas faire seuls. Le message c’est de venir voir la DSI, présente pour les accompagner avec des outils et du savoir faire issus des expériences et investissements passés. En général, quand la DSI n’a pas été impliquée ou trop tardivement, cela marche moins bien sur le long terme. » Stéphane LAFON, Sanofi, Domain Leader Application cloud Services, Pilote du groupe cloud au CRIP
Quelle est votre niveau de confiance vis-à-vis des offres Cloud privé vs Cloud public ?
« Le couplage de services Cloud avec l’existant du SI internalisé est un enjeu important. Chez nous, c’est un environnement mixte, nous avons besoin de faire cohabiter les deux écosystèmes. L’enjeu c’est d’éviter de tomber dans le « BYOC, le Bring Your Own Cloud » sans vision globale et sans projection. Il convient de garder une approche d’architecture d’entreprise. C’est le chantier qui nous attend, préparer en amont une architecture adaptée pour contrôler ces flux internes/externes. Je pense notamment à des scénarii de duplication de données hors du cloud, surtout pour des informations sensibles. Cela coûte certes plus cher, mais peut être un choix pour mieux garder le contrôle, notamment vis-à-vis d’hypothèses de réversibilité. » Damien Alexandre, Directeur des études dans la bancassurance
« Tant que l’architecture ne sera pas adaptée, il y aura des coûts cachés pour la duplication de la donnée, pour la réversibilité etc. Au final, vous arrivez en tant que DSI avec une facture qui n’a rien à voir, alors que les directions métiers pensent que ça ne coûte pas cher. Et là on se retrouve avec un problème de crédibilité. Le message a du mal à passer, peut-être à cause de la bulle médiatique autour du cloud. » Nicolas Gauthier, Solocal, Digital Chief Officer & Director Business Solution
« Créer une architecture adaptée ouverte sur le cloud, cela demande de faire évoluer les compétences. Aujourd’hui, je pense qu’on a besoin de recentrer les compétences sur le pilotage du niveau de service, et non pas sur l’expertise technique ou l’exécution. Il faut maîtriser le faire-faire, en ayant su faire auparavant. » Damien Alexandre, Directeur des études dans la bancassurance
« Et puis il y a une réticence des développeurs traditionnels qui sont souvent ceux qui ont développé les anciennes applications. Donc au final, c’est effectivement à la faveur d’une rénovation d’un système que, dans ces cas là, nous sommes capables de monter une petite équipe. C’est comme ça que, de proche en proche, par imitation, nous réussissons à former le reste du personnel. Mais c’est pas évident. Mon sentiment c’est qu’en France, il y a peut-être un déficit de formation, un manque de compétences dans ce domaine. ». Nicolas Gauthier, Solocal, Digital Chief Officer & Director Business Solution
Quelles sont vos priorités en termes de sécurité des données ?
« La sécurité, c’est un débat dépassé. Il n’y a pas de difficulté technique, on le voit bien puisque nous avons presque tous un cloud privé. Par contre, ce qui est crucial c’est de sensibiliser les utilisateurs en interne à la sécurité. A nous de les éduquer pour les préparer et leur faire comprendre quand il faut aller dans le cloud ou pas. » Stéphane LAFON, Sanofi, Domain Leader Application cloud Services, Pilote du groupe cloud au CRIP
« Mais il ne faut pas confondre sécurité et territorialité. Le positionnement de la donnée c’est important, pour le légal. Pour les données de santé par exemple, l’hébergeur est obligé de se conformer à certains critères. Pour des données encore plus sensibles, par exemple pour l’Armée, hors de question qu’elles quittent le territoire, même pour aller à 5 km de la frontière en Belgique. L’Armée veut pouvoir protéger physiquement l’accès si besoin. » Benito DIZ, Véolia Eau, Directeur général Véolia Water Information System
« Ce n’est pas que la santé, il faut savoir que tout entreprise cotée qui mettrait ses données sur un territoire où les données ne sont pas protégées par la loi, c’est un risque. C’est pas pour rien si Salesforce, aujourd’hui, est en train de mettre en place un datacenter en Europe. » Nicolas Gauthier, Solocal, Digital Chief Officer & Director Business Solution
« Le cloud souverain est une réponse, mais encore faut-il s’entendre sur sa définition. Il y a le choix du référentiel, celui de l’ANSI par exemple. Il y a bien sûr la territorialité, le stockage physique, mais aussi les tribunaux de compétence etc. Ce qui veut dire que même certains acteurs américains qui ont un cloud en France peuvent répondre à ce critère. Au-delà du geste patriotique, qui peut faire sourire, la donnée étant stratégique il me semble préférable qu’elle soit confiée à des acteurs français.» Didier RENARD, Cloudwatt, Président directeur général
A quel niveau de maturité se situe la direction sur ces sujets ?
« Chez Veolia Eau, nous sommes en restructuration. Le marché évolue, les contrats de concessions sont de plus en plus courts donc le risque est plus grand, il faut donc être plus agile. Veolia Eau réfléchit donc à des solutions d’externalisation de ses processus métier (BPO). Pour le cloud, Nous avons regardé, la différence de coûts varie de 1 à 100 ! Par contre le ticket d’entrée peut être assez cher. J’ai la chance d’avoir une lettre de mission claire. Notre leitmotiv est « disruptif ». Benito DIZ, Véolia Eau, Directeur général Véolia Water Information System
« En fait il y a deux challenges pour les DSI. D’un côté il y a la transformation digitale et son impact sur les business model, et de l’autre côté l’évolution des outils et des moyens, le Cloud, Iaas, SaaS etc. L’IT devient une partie intégrale de l’usine de l’entreprise. On a parlé d’énergie informatique, donc, en plus, il faut que cela marche comme de l’électricité, sans coupure. Avec tout ça le métier de DSI est devenu assez compliqué, d’autant plus que cela ne coûte pas forcement moins cher et qu’il faut donc faire preuve d’originalité pour le justifier vis à vis de la direction. » Mary Dupont-Madinier, Valtus, Associée, Responsabe de l’offre DSI
« Le cloud computing n’est pas une révolution technologique. La révolution c’est l’organisation, les relations fournisseurs, les métiers de la DSI, qu’il induit. C’est là où il y a un changement de paradigme. Parce que ce ne sont pas les mêmes compétences. Au lieu de former des architectes à faire du cloud privé, je vais les former à interfacer leur run qui va être, par exemple, chez Amazon et le backup qui va être chez Cloudwatt. C’est totalement différent ! Donc la question c’est vraiment est-ce que oui ou non je change de paradigme ? » Didier RENARD, Président Directeur Général, Cloudwatt
Quels sont les pistes qui accélèrent la transformation digitale ?
« En tant que DSI, on se trouve parfois démunis sur la capacité d’industrialiser ce changement. Amazon, ils offrent un service brut. C’est un pot de peinture et un rouleau, mais derrière il faut se taper tout le boulot. La capacité à avoir de l’énergie informatique est une chose, mais ce qu’il faut prendre en compte après c’est la notion de service. Il faudrait trouver un business model dans lequel on puisse payer pour avoir une dimension de service plus importante. » Christophe HUERRE, Rexel, Vice-Président Group & DSI Rexel, membre du CIGREF
« Le Cloud entraîne aussi un repositionnement financier : les budgets historiquement sont en grande majorité du Capex à un peu d’Opex. C’est un vrai frein pour beaucoup d’entreprises qui hésitent donc à faire le saut.» Benito DIZ, Véolia Eau, Directeur général Véolia Water Information System
« Pour le moment nous sommes dans un modèle indirect. En tant que fournisseur cloud, nous considérons que nous vendons de l’énergie informatique. Or les clients finaux, eux, ils achètent un service. Donc, il faut forcément un étage intermédiaire. Mais cela dit, un jour ou l’autre, les clients finaux devront acheter directement leur énergie informatique. L’autre constat de ce soir, c’est que la volonté de se lancer dans la transformation digitale est là, la prise de conscience est faite, mais que c’est un processus assez lent. Pour un tas de raisons. Donc notre rôle à nous c’est de vous accompagner dans ce processus. » Didier RENARD, Cloudwatt, Président directeur général
« Je voudrais souligner la maturité des échanges de ce soir. C’est encourageant pour la suite. La deuxième chose c’est que les problématiques que nous avons abordées autour du cloud, nous allons les retrouver bientôt sur d’autres sujets, le big data, les objets connectés etc. C’est donc doublement intéressant. » Stéphane LAFON, Sanofi, Domain Leader Application cloud Services, Pilote du groupe cloud au CRIP
Nous remercions pour leur présence à ce dîner :
- Didier RENARD, Cloudwatt, Président directeur général
- Philippe RIVIERE, Cloudwatt, Directeur commercial et marketing
- Olivier TEITGEN, Afnor, Expert cloud et secrétaire de la Commission cloud
- Pierre Auguste, Publicis, Emea Instrastructure Director, Membre du CRIP
- Christophe HUERRE, Rexel, Vice-Président Group & DSI Rexel, membre du CIGREF
- Stéphane LAFON, Sanofi, Domain Leader Application cloud Services, Pilote du groupe cloud au CRIP
- Nicolas Gauthier, Solocal, Digital Chief Officer & Director Business Solution
- Damien Alexandre, Directeur des études dans la bancassurance
- Benito Diz, Véolia Eau, Directeur général Véolia Water Information System
- Mary Dupont-Madinier, Valtus, Associée, Responsabe de l’offre DSI