Comme pour tous les secteurs d’activité, le volume s’est contracté, mais tout est relatif. Bien qu’il qualifie 2013 de « petite année en termes de recrutements », Geoffrey Burns, directeur du recrutement de Capgemini Applications Services (9 000 collaborateurs), aura tout de même enrôlé 1 200 à 1 300 personnes d’ici à fin 2013, dont 70 % de jeunes diplômés ayant moins de deux ans d’expérience. Chez l’éditeur lyonnais Cegid, le directeur des ressources humaines Pascal Guillemin confirme un coup de mou, mais anticipe déjà une nouvelle accélération en 2014, tablant sur 200 à 250 créations de postes, au lieu des 170 de l’exercice en cours.
Globalement, le rythme des embauches reste soutenu. Du côté des sociétés de services, Steria annonce 1 000 CDI, rien que pour ses activités liées aux systèmes d’information. Tandis que Devoteam prévoit d’accueillir 500 recrues dans l’année. S’il est vrai qu’une partie de ces arrivées viendront compenser le turnover, endémique (couramment 15 à 20 %), cette branche reste largement créatrice d’emplois.
La chasse est ouverte
Dans cette chasse aux compétences, les sociétés de services informatiques rivalisent avec les spécialistes des télécoms qui veulent tous se renforcer dans les technologies émergentes : 4G, fibre optique. Le champion national, Orange, qui s’attend par ailleurs à des départs massifs à la retraite, accueillera 4 000 nouvelles recrues d’ici à 2015. Les filiales françaises d’opérateurs étrangers, tel le belge Telindus, ont également des dizaines de postes à pourvoir. Et ce n’est pas tout.
Les objets devenant de plus en plus intelligents, l’informatique et les télécoms s’immiscent partout. Les professionnels des TIC n’ont jamais été autant sollicités par l’industrie : Thales, Airbus, Safran, Alstom, PSA Peugeot Citroën, Renault, Schneider Electric ou encore DCNS [lire l’interview de Alain Guillou : « Les savoir-faire les plus pointus »] les courtisent. Le champ de leurs interventions ne cesse de s’étendre : modules embarqués, commandes numériques, stockage, pilotage à distance, maintenance, sécurité. À tel point que certains fabricants créent des filiales informatiques à part entière pour répondre à leurs propres besoins, mais aussi, de plus en plus, à des commandes de sociétés tierces. C’est le cas de Thales CIS, business unit spécialisée dans les systèmes d’information critiques. Les deux tiers de ses prestations vont maintenant à des clients extérieurs. Forte de 3 350 collaborateurs, elle embauche entre 500 et 600 personnes par an.
Autre exemple : Cassidian Cybersecurity, filiale du groupe Airbus qui se positionne comme un pure player de la sécurité numérique, avec un effectif de 600 personnes réparties entre la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Sollicitée bien au-delà du groupe, elle voit son marché croître si rapidement qu’elle envisage de doubler ses effectifs d’ici à 2017. Les banques sont elles aussi actives. Tout en sous-traitant une partie de leurs besoins à des ESN (entreprises de services numériques), elles restent de gros recruteurs d’informaticiens : chefs de projet, ingénieurs télécoms, architectes techniques et analystes développeurs, autant de débouchés encore mal connus des postulants.
Citons encore Société Générale dont les équipes IT comptent 10 000 personnes et qui les renforcera, cette année, avec 380 nouveaux venus. Le concurrent, BNP-Paribas (13 000 informaticiens dans le monde), crée de son côté 200 postes d’ici à fin 2013 et prévoit déjà un flux identique pour 2014. Même les loisirs et le sport business sont demandeurs de compétences dans le numérique. Derrière le streaming et la VOD des opérateurs de téléphonie mobile et des chaînes TV se trouvent des programmes et des moyens de stockage, comme ceux de EMC, spécialiste du stockage et du cloud (850 salariés en France et une cinquantaine d’embauches par an). Sans parler du jeu vidéo online et offline. La demande est telle que Guy Mamou-Mani, coprésident du groupe Open et président du Syntec Numérique [lire aussi son interview : « Améliorer notre attractivité »] redoute une possible pénurie de talents. « Nos entreprises ne trouvent pas les compétences dont elles ont besoin. Elles souffrent d’un manque de ressources qualifiées sur le marché et cela freine leur développement », déplore-t-il.
Un constat qui sonne comme une provocation aux oreilles de certains, à l’heure où le chômage atteint un niveau record et n’épargne pas non plus la profession. En juillet, plus de 38 000 informaticiens pointaient à Pôle Emploi.
Le niveau Bac+5 devient la norme
À y regarder de près, le paradoxe n’est qu’apparent. Syntec Numérique est formel : le savoir-faire des professionnels des hautes technologies qui sont « sur le carreau » ne répond que très partiellement aux attentes des entreprises. L’écosystème numérique évoluant à très grande vitesse, l’employabilité devient très volatile. Le niveau de compétence exigé est de plus en plus élevé. Les offres concernant les Bac+2, courantes dans les activités études, développement et dans celles des systèmes et réseaux, se raréfient. Et encore : « Pour se vendre à ce niveau aujourd’hui, il faut justifier d’une bonne expérience », souligne Laurent Kermel, directeur régional chez Expectra.
Le domaine de la sécurité numérique illustre bien le déséquilibre. Son marché, estimé à 5 milliards d’euros en France, croît de 10 % par an. Toutes les entreprises qui s’en sont fait une spécialité cartonnent. Mais elles se heurtent à la même difficulté pour dénicher des experts de haut niveau. A défaut d’en avoir à portée de main, prêts à l’emploi, plusieurs d’entre elles tentent de coproduire des cursus sur mesure, en partenariat avec des écoles d’ingénieurs. Sans pour autant garantir le recrutement de tous les diplômés. C’est la démarche de Cassidian Cybersecurity, qui s’est allié à Telecom Paritech pour créer un master spécialisé, opérationnel depuis deux ans. Dans la même logique, la société Atheos a participé de près au lancement de la licence professionnelle ethical hacking, unique en son genre, au sein de l’IUT de Maubeuge. Le P.-D.G., Michel Van Den Berghe, espère maintenant faire évoluer cette formation bac+3 vers un master.
Les leaders croulent sous les candidatures
Mais même pour les technologies considérées comme matures, les entreprises veulent s’assurer un volant confortable de candidatures pour n’en retenir que les meilleures. Pas facile d’y parvenir sur un marché tendu. Entre les candidats au know-how émoussé, voire obsolète, les cadres en poste qui hésitent à bouger et les jeunes diplômés qui rêvent d’un golden job, les DRH ont fort à faire. Ils ne disposent pas non plus des mêmes armes, l’attractivité restant proportionnelle à la notoriété. « C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les jeunes diplômés. Ils se fient plus à l’image de l’entreprise qu’à la réalité du poste », indique Christophe Girard, consultant chez Arthur Damonn [lire : Palmarès IT – Dassault Systèmes : 1er employeur français préféré des étudiants de grandes écoles] Et cela même à côté de PME qui proposent des packages de rémunération comparables aux offres des majors.
Un casse-tête pour les secteurs dont la structure est très éclatée, comme le jeu vidéo qui représente 5 000 emplois en France dans 250 entreprises créatrices d’emplois. La moitié d’entre elles n’ayant même pas 10 salariés, elles restent inconnues des demandeurs d’emploi. Le problème se pose aussi pour les nombreuses ESN de petite taille, dont certaines excellent dans leur niche, parfois au niveau international. Réunies au sein de leurs fédérations (syndicat national du jeu vidéo et Cinov-IT, notamment), ces entreprises en manque d’attractivité cherchent encore « une solution collective », comme le résume Marie Prat, vice-présidente de Cinov-IT.
Pendant ce temps, les majors croulent sous les candidatures. La filiale française de Google n’a aucune peine à pourvoir la cinquantaine de postes qu’elle propose. Le seul nom de la firme fait fantasmer tous les geeks de la planète. Toutes les heures, 200 candidatures spontanées atterrissent au siège mondial de Mountain View. Chez Microsoft France, qui recrute bon an mal an 250 happy few, dont moins d’une cinquantaine de jeunes diplômés, toutes fonctions confondues, c’est une avalanche de plus de 10 000 CV que la direction des ressources humaines voit déferler. Et loin de la contenir, l’éditeur de Windows entretient des relations suivies avec160 écoles et universités françaises. Dans la catégorie des entreprises de réputation mondiale, Accenture, qui recrute 800 à 1 000 personnes par an, dont un tiers d’emplois IT, capitalise elle aussi sur sa marque employeur, soigneusement entretenue par son omniprésence sur les réseaux sociaux, l’action de ses « ambassadeurs » dans les écoles et l’influence de son « alumni », le réseau des anciens collaborateurs. « En nous rejoignant, les postulants savent qu’ils seront formés aux meilleures technologies et resteront employables », se flatte Anissa Deal, directrice du recrutement pour la France.
La sélection à l’entrée de ces multinationales de l’édition et du conseil est ainsi d’autant plus sévère, incluant entretiens, assessment et business games. Chez Google, le parcours du combattant peut comporter jusqu’à dix entretiens. Amazon vient même d’introduire le détecteur de mensonge dans sa panoplie, aux États-Unis.
Cooptation et promotions internes
Entre les petites et les majors, les entreprises de taille intermédiaire (ETI) apprennent à mieux valoriser leurs atouts. Au besoin en mettant à contribution leurs propres collaborateurs, appelés à coopter leurs relations, dès lors qu’elles se situent dans la cible visée. Michel Poinant, DRH d’EMC France (850 salariés), s’en est fait une spécialité : près de la moitié des 150 personnes qu’il a recrutées ces trois dernières années lui ont été recommandées par des salariés de l’entreprise. « C’est le premier levier, avant les réseaux sociaux », précise-t-il.
Sans atteindre le même score, ses homologues Caroline Besselièvre, de Devoteam, et Pascal Guillemin, de Cegid, jouent la même carte, tout en insistant sur les possibilités de promotion internes. Chez Telindus France, qui recrute bon an mal an une centaine de personnes, la DRH, Claire Sillam, rompue aux méthodes américaines (elle a été DRH de Coca-Cola, Bain & Compagnie et Accenture), vante la qualité de vie au travail.
RTT, congés supplémentaires et équipements sportifs sur le lieu de travail sont présentés comme autant de signes distinctifs. « Nous recevons plus de 3 000 CV par an et notre turnover se limite à 6 % », assure-t-elle. Longtemps apanage des grands groupes (Thales University est une référence, comme l’université Capgemini qui dispense 2 millions d’heures de formation par an), les écoles internes se « démocratisent ».
Cegid et Devoteam ont les leurs, complétées par des réseaux sociaux internes dédiés au partage de savoir-faire. Elles font tout comme les grands du secteur, d’autant plus que la rémunération n’est plus un critère discriminant. La pratique du benchmarking s’étant généralisée, la grille salariale du marché s’impose à tous. Au final, les candidats restent arbitres.