La stratégie informatique de Safran est de considérer son SI comme un moyen de fédérer, de donner de l’agilité dans l’accompagnement de la croissance de ses sociétés. Explications de Daniel Dubreuil.
Alliancy, le mag. Pouvez-vous décrire le système d’information de Safran, tel qu’il était lors de votre prise de fonction, mi-2011 ?
Daniel Dubreuil. Safran est constitué d’une dizaine de sociétés de rang 1, leaders mondiaux dans les domaines de l’aéronautique, du spatial, de la défense et de la sécurité. Lors de la création du groupe en 2005, chaque société avait développé son propre système d’information pour répondre aux besoins de son activité et de son propre développement. Le virage pris en 2011 est né de la volonté d’accompagner la stratégie globale de croissance du groupe.
Quelle était cette stratégie ?
Jean-Paul Herteman, PDG de Safran, souhaitait opérer cette croissance en s’appuyant sur un groupe fort, accompagnant la croissance de ses sociétés, et non plus une simple holding. Le système d’information a alors été perçu comme un moyen de fédérer, de donner de l’agilité à l’ensemble du groupe. Il était important de mener cette transformation via le système d’information tout en conduisant celle du système d’information lui-même. Ce fut véritablement le passage à une nouvelle ère informatique pour Safran.
Quels ont été les premiers grands chantiers de cette transformation numérique ?
Nous avions trois chantiers principaux : la consolidation de nos datacenters, la création d’un service desk unique pour toutes les sociétés du groupe, et la mise en place d’une tierce maintenance applicative (TMA) unique pour SAP. A l’époque, seules quelques solutions étaient pilotées directement en central. Nous fonctionnions comme un prestataire de services pour les différentes filiales qui, d’ailleurs, pouvaient préférer se tourner vers une entreprise de services du numérique (ESN) pour gérer leurs projets. Cette approche n’était pas vertueuse. Nous avons donc construit ce projet de services partagés consolidant les datacenters, un service desk unique et une seule entreprise pour assurer notre TMA de SAP. Cela peut paraître simple, mais certaines sociétés avaient déjà choisi d’infogérer leur datacenter et d’autres le géraient en interne. De fait, les outils et les processus d’exploitation n’étaient pas les mêmes. Choisir un prestataire unique pour l’infogérance, cela signifie imposer des méthodes communes. Nous avons alors choisi BMC comme partenaire sur les outils de supervision. Et, nous avons commencé à rationaliser et à rapatrier les applications.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Nous ne sommes pas encore au bout du chemin, mais nous avons mené environ 80 % des migrations concernant les datacenters. Pour le volet service desk, la consolidation est pratiquement achevée. Aujourd’hui, 90 % des salariés font appel au même service desk, alors qu’à mon arrivée, chaque société avait sa propre façon de traiter le sujet. Enfin, sur le volet SAP, beaucoup de sociétés – comme Messier-Bugatti- Dowty qui a migré cette année – ont rejoint notre TMA. Quand on réalise une fusion-acquisition, on déploie un modèle dans l’entreprise, on a les mêmes processus de gestion. Par contre, pour les processus industriels, des différences peuvent exister, du fait des activités au sein de nos sociétés.
Quelles sont les difficultés majeures d’une telle transformation ?
Les cycles entre l’aéronautique et l’informatique sont très différents. L’aéronautique a des cycles très longs alors que ceux de l’informatique sont plutôt courts. Malgré cela, nous avons pu nous adapter car les activités de Safran sont très variées. Si le groupe a des cycles longs sur les moteurs d’avion, il connaît des cycles un peu plus courts sur les trains d’atterrissage par exemple, et des cycles encore plus courts dans ses activités de sécurité. Les technologies de l’information sont tellement innovantes, aujourd’hui, que les entreprises high-tech qui sont positionnées sur des produits à cycles longs ont beaucoup plus de mal à suivre. C’est inéluctable : le cloud, le big data, la mobilité ou, encore, les réseaux collaboratifs vont totalement transformer l’entreprise et sa façon de travailler avec ses clients.
Quelle est la place du cloud dans cette mutation ?
Le cloud, c’est comme la prose de Monsieur Jourdain. On faisait du cloud avant qu’on en parle. L’architecture de notre projet de consolidation de la quinzaine de datacenters que comptait le groupe se compose désormais de deux. L’un est interne, dans nos locaux, alors que le second est hébergé à l’extérieur. Tous les deux sont au même niveau technologique. L’infrastructure est maintenant en place et si tout n’est pas encore complètement rationalisé, 80 % de nos applications ont rejoint ces datacenters.
Et concernant la virtualisation ?
Nous n’avons pas encore virtualisé tous nos serveurs. Aujourd’hui, environ 70 % de notre infrastructure est virtualisée et cela n’aurait pas forcément de sens d’aller jusqu’à 100 %. Mais outre le cloud privé, nous faisons aussi appel au cloud public. Il existe sur le marché des solutions de cloud public auxquelles nous pouvons tout à fait faire appel, même si elles alimentent ensuite notre propre SI. Je pense notamment aux commandes par catalogue. Inutile de déployer un système qui fait cela. Ariba le fait très bien dans le cloud, donc pour tout ce qui concerne les achats – suivi des livraisons, comptabilité fournisseurs… – nous n’avons pas de difficultés à choisir entre cloud externe et cloud privé.
Votre partenaire GE a annoncé, cet été, un projet ambitieux de migration de ses 32 datacenters dans le cloud. Est-ce une piste à suivre pour Safran ?
Tout ce qui est lié à la défense est forcément soumis à des classifications très particulières, donc on sait très bien ce que nous sommes en mesure de faire ou pas en matière de cloud public. Aujourd’hui, nous ne sommes pas prêts à tout migrer. Pour la messagerie par exemple, celle-ci est interne. Nous avons signé un partenariat avec Microsoft pour mener une transformation profonde de nos outils de communication avec la messagerie et la visioconférence. Microsoft va nous accompagner dans la mise en place de ces outils, mais cela restera hébergé en interne.