Le dernier CloudIndex, publié par PAC Consultant, est clair : le cloud gagne du terrain dans les entreprises françaises. 77 % des responsables interrogés estiment qu’au moins une de leurs applications SaaS est stratégique pour leur business. Car c’est bien souvent par la location d’applications sur Internet (Software as a Service, ou SaaS), que les entreprises, et tout particulièrement les grandes, ont fait leur premier pas vers le cloud.
Les précurseurs l’ont adopté dès le début des années 2000. A l’époque, il s’agissait des services ASP (Application Service Provider). Parmi les premières solutions à émerger en mode locatif, les marketplaces et portails d’achat, la logistique, les outils collaboratifs, ou encore la gestion de la relation client (CRM)… Dans un premier temps, ces solutions ont été achetées par les directions métiers, qui ont pris de vitesse leur DSI. Un acteur a vite émergé de cette période : l’Américain Salesforce. Avec son offre 100 % Web, le Californien a alors bousculé le marché des solutions de gestion de la relation client, jusqu’alors dominé par Siebel.
Salesforce signe, en 2005, avec Alcatel, son premier client français significatif. L’industriel français voulait, à l’époque, partir à la conquête du marché des PME en dotant sa filiale Alcatel Business Systems d’une plate-forme CRM « moderne ». De nombreux grands groupes français vont suivre l’exemple, comme Pernod-Ricard, Rossignol, Groupe Bel, Schneider Electric, Axa. Dernièrement, Renault est devenu client de Salesforce pour le volet interactions sur les réseaux sociaux. Il peut suivre avec l’outil Radian6 de l’Américain, ses clients sur Facebook et Twitter.
La rapidité de sa mise en place plaide en faveur du modèle SaaS, de même que pour les applications mobiles. Nul besoin d’ouvrir son système d’information aux terminaux mobiles, avec toutes les implications que cela peut avoir en termes de sécurité et de montée en charge, le prestataire de cloud assure le service. Ainsi, si Axa a adopté Salesforce voici plusieurs années pour gérer, au début du projet, les plaintes de ses clients, la plate-forme SaaS lui a permis de basculer dans l’ère de la mobilité.
Le SaaS, la valeur de l’approche cloud
Nicolas Moreau, PDG d’Axa France revenait sur ce choix lors de la dernière édition parisienne de la conférence Dreamforce : « Nous avons commencé avec Salesforce sans que cela soit un énorme projet informa- tique à 20 ou 30 millions d’euros comme c’est souvent le cas dans les grandes entreprises. Nous avons commencé dans une démarche de « test&learn » sur le traitement des réclamations client, puis peu à peu sur de nouvelles applications. Nous avons développé l’application tablette pour notre réseau de salariés. Celle-ci sur iPad leur permet de préparer leurs tournées en gérant leur agenda en ayant des fiches client à jour, mais aussi de faire des démonstrations devant les clients. C’est un outil pratique et un projet que nous avons pu implémenter en moins d’un an –, avec des coûts variables plutôt qu’un empilage de coûts fixes. » Sur le marché des logiciels de CRM, le mode cloud s’est aujourd’hui imposé et les installations « on premise » (à télécharger) sont devenues l’exception. Un mouvement que l’on observe sur d’autres types d’applications. Ainsi, SAP, le leader des progiciels d’entreprise dispose désormais de trois ERP différents dans le cloud et s’est offert plusieurs éditeurs cloud, dont Ariba, Demandware ou SuccessFactors, une solution de gestion des ressources humaines choisie par Keolis. Cet acteur majeur du transport public de voyageurs, qui compte plus de 54 000 personnes dans le monde s’est ainsi tourné vers le cloud pour gérer son plan d’embauche. Une solution qui s’est très naturellement imposée, comme le souligne Sébastien de Tournemire, directeur compensations et bénéfices du groupe : « Le fait que ce soit une application SaaS a été un élément clé dans notre processus de choix. D’autre part, SuccessFactors était facile à déployer au niveau international. Enfin, cet éditeur avait une bonne réputation dans son domaine. C’était la seule solution SaaS qui couvrait l’intégralité du processus RH d’une entreprise. »
Ainsi, même les entreprises réputées très secrètes se sont laissé séduire par les atouts du SaaS. Ce fut le cas de L’Oréal en 2011. Déjà équipé des solutions SAP pour gérer sa supply chain, le leader mondial de la beauté a voulu l’ouvrir à ses partenaires : il a sélectionné la solution logicielle en mode SaaS de l’éditeur américain E2open (lire « La logistique de L’Oréal dans le cloud »). « C’était son premier pas dans le Software as a Service, se sou- vient Richard Markoff, directeur des standards supply chain de L’Oréal. Suite à l’appel d’offres, nous avions reçu d’autres propositions. Mais celles-ci étaient basées sur des approches logicielles plus traditionnelles, avec des coûts additionnels du fait des serveurs et de leur maintenance… Cela a joué en leur défaveur dans la comparaison des offres. » De même, lorsque le groupe a lancé le déploiement de la nouvelle stratégie digitale voulue par Jean-Paul Agon, PDG du groupe depuis 2011, le géant des cosmétiques a fait le choix de la plate-forme e-commerce de Demandware. Un choix réalisé pour ses qualités techniques, mais pas uniquement : « Nous ne sommes plus dans une stratégie de software, mais véritablement de plate-forme au service de chacune de nos marques et dans chaque pays », explique Vincent Stuhlen, directeur monde de l’activité digitale de L’Oréal Luxe. A l’image des grandes plates-formes cloud, Demandware s’est dotée d’un « store » d’applications additionnelles, le Demandware Link Marketplace, où L’Oréal est allé piocher les fonctionnalités qu’il a jugées intéressantes pour ses besoins. « Nous avons sélectionné dix partenaires mondiaux et une dizaine complémentaire aux Etats-Unis », ajoute le responsable, qui a ainsi constitué une plate-forme sur mesure pour ses besoins bien qu’il s’agisse d’une solution cloud : « Demandware nous apporte des best practices dans l’e-commerce. Nous nous en inspirons, mais nous avons recréé notre propre Demandware. Nous l’avons “customisé” pour l’adapter à l’univers de la cosmétique de luxe. » Cette approche permet à l’industriel de viser une évolution très rapide de sa plate-forme, à un rythme qu’il aurait été impossible à tenir avec une plate-forme installée en interne. « Nous allons réaliser plus de six releases (versions) par an, incluant à la fois les innovations apportées par Demandware, mais aussi d’autres issues des pays. Notre but est de passer dans un mode agile. On ne peut plus prendre notre temps à rédiger des spécifications et attendre une grosse release qui mettra un an à arriver », conclut-il.
L’heure des grands déploiements
Les directions métiers ont été bien souvent les premières à faire basculer leur entreprise dans l’ère du cloud computing via ces applications. Mais les DSI leur ont aujourd’hui emboîté le pas en rénovant certains pans entiers de leur système d’information avec des solutions cloud. Ce fut alors le point de départ de déploiements massifs, notamment de solutions de messagerie, de collaboration. Microsoft, avec son offre cloud Office 365 et Google avec les Google Apps se sont affrontés à coup de gros contrats. Ainsi, en France, dès 2008, le groupe Valeo a été l’un des premiers à tester les Google Apps, la plate-forme de collaboration en ligne de Google. L’année suivante, l’équipementier automobile, qui voulait remplacer sa plate-forme de messagerie interne Lotus Notes vieillissante, lançait le déploiement de 24 000 comptes utilisateurs…
Autre grande entreprise à avoir franchi le pas, Chronopost avec 3 000 utilisateurs ou, encore, Essilor qui a basculé 17 000 boîtes aux lettres sur Google Apps en moins de six mois. Comme le soulignait alors Bernard Duverneuil, directeur des systèmes d’information d’Essilor, le projet a non seulement servi à rénover le système de messagerie qui était devenu obsolète, mais il a aussi permis de rallier à la messagerie interne toutes les filiales récemment intégrées, qui ne disposait pas d’un accès aux outils groupe. Enfin, Veolia Environnement a annoncé, en 2013, la migration de 80 000 boîtes aux lettres vers les Google Apps. Pour leur part, Bonduelle, mais surtout Danone, ont renouvelé leur confiance à IBM pour leur messagerie, tout en profitant des avantages du cloud. Tous les deux ont opté pour Smartcloud, la plate-forme Lotus d’IBM. Un avantage pour les utilisateurs déjà habitués aux outils Lotus Notes, cette migration a été transparente. Pour Danone, ce sont 25 000 salariés dont la messagerie a été basculée dans le cloud. Un projet mené dans 18 pays en six mois également.
Avec Office 365, son offre de messagerie cloud, Microsoft n’est pas oublié. Le groupe Accor a fait le choix de basculer à terme ses 170 000 salariés sur la solution cloud de l’Américain. Mais Accor ne se contentait pas d’acheter de la boîte aux lettres, puisque Laurent Idrac était à la recherche d’une solution intégrant un réseau social interne. Microsoft a alors proposé au Français de devenir bêta testeur de SharePoint Online, sa solution de collaboration dans le cloud (lire « 170 000 collaborateurs dialoguent dans le cloud », sur ALLIANCY.FR). Autre grande entreprise à avoir dévoilé son ambition de redéployer son informatique, La Poste et ses 270 000 salariés. Les différents métiers de l’entreprise exploitent déjà de multiples solutions de ce type, que ce soit Salesforce pour sa relation client, ou SuccessFactors pour la gestion des ressources humaines. De son côté, la direction du courrier a entamé la virtualisation de la moitié de ses 1 200 serveurs de production en 2008 sur une plate-forme VMware. Chaque serveur peut exécuter jusqu’à 20 machines virtuelles, si bien que le nombre de datacenters a pu être ramené de 4 à 2. La Poste a choisi le service « Le cloud by Bull » pour héberger ses machines, mais Michel Delattre, DSI du groupe, a récemment annoncé lors des derniers Etats généraux du cloud, vouloir aller beaucoup plus loin. Pour faire face au grand plan stratégique « La Poste 2020 », Michel Delattre a expliqué que le groupe allait faire appel à un service de cloud public pour mettre en place une plate-forme de collaboration pour les salariés. En outre, le SI de la branche distribution va lui aussi basculer dans la virtualisation. Le DSI souhaite créer un cloud privé, qui sera commun à ses différentes directions, avec pour objectif 11 000 machines virtuelles à l’horizon 2020. Mieux, le cloud de La Poste sera, à cet horizon, un cloud hybride, le DSI estimant que c’est via le IaaS et le PaaS qu’une entreprise peut pleinement tirer profit des « gains » du cloud.
Beaucoup d’entreprises du CAC 40 ont lancé de tels projets de virtualisation dans les années 2000. Parmi elles, Total. Sa branche Exploration-Production a commencé par virtualiser l’infrastructure serveur de ses deux principaux datacenters de Paris et Pau, soit 600 machines virtuelles VMware. Néanmoins, en 2012, l’industriel a adopté une véritable démarche de cloud privé pour consolider 600 autres serveurs sur le territoire français et 3 000 autres dans le monde. A la plate-forme VMware, le pétrolier a alors préféré la solution proposée par Econocom-Osiatis, basée sur la technologie de virtualisation Hyper-V de Microsoft. Une solution avantageuse financièrement pour Total, car l’ensemble des logiciels étaient couverts par les licences Microsoft déjà acquises par la DSI. Mais, outre les gains financiers, cette nouvelle architecture orientée apporte à la DSI de Total E&P une souplesse bien supérieure : « Aujourd’hui, il nous suffit d’un jour, contre trois semaines auparavant, pour déployer un serveur pour nos géoscientifiques, se réjouit George Alexander, responsable IT Architecture Quality Methods chez Total. Total peut ainsi avancer le démarrage des forages de plusieurs semaines et accélérer la commercialisation des barils. Grâce à la réactivité de l’infrastructure informa- tique en mode cloud de Microsoft, nous pouvons faire face à l’évolution incessante de notre activité et à l’accélération permanente du secteur pétrolier et gazier. »
Le cloud public pose problème
Néanmoins, vis-à-vis du cloud public, le numéro 1 du CAC 40 se montre toujours prudent : « Le cloud, nous y allons pour des données qui ne sont pas confidentielles. Pour le reste, nous préférons attendre que les problèmes de sécurité des données soient réglés, souligne Patrick Hereng, DSI de Total. Nous avons lancé un programme de trois ans, doté de 80 millions d’euros de sécurisation du système d’information en 2012. Celui-ci inclut un volet sécurisation du cloud public, avec notamment la capacité de crypter les données qui seront stockées dans le cloud. L’étude est en cours. »
Cette prudence correspond à la position de bon nombre de grands comptes français, qui commencent à exploiter les plates-formes de cloud public de type IaaS et PaaS sur des applications non critiques de leur SI. Par exemple, Réseau Ferré de France (RFF) réalise désormais le calcul des itinéraires des trains sur son réseau sur le cloud Amazon. Cette opération étant réalisée seulement quatre fois par an, cela permet à RFF de ne plus mobiliser un serveur informatique à l’année pour l’effectuer. Un choix technique plus efficace aussi puisqu’il fallait quatre jours au serveur de RFF pour mener à bien ses calculs. Sur le cloud Amazon, en mobilisant dix serveurs virtuels EC2, le temps de calcul n’est plus que de 12 heures, pour un coût total de quelques dizaines d’euros seulement. Le cloud public est, par nature, imbattable en termes de coût et de flexibilité pour ces utilisations temporaires.
Parfait pour héberger des sites Web
Toutefois, les grandes entreprises françaises choisissent également de tester ces services pour l’hébergement de leurs sites Web. De par les outils techniques proposés et la couverture géographique des fournisseurs, le cloud public est adapté à cet usage. Lafarge a choisi de porter son principal site Internet et ses 22 déclinaisons nationales sur le cloud Azure de Microsoft. Ce qui permet au cimentier français de créer ou de retirer des machines virtuelles en fonction des besoins de ses sites. En outre, il utilise les mêmes services d’Amazon Web Services pour ses environnements de développement, de test et de préproduction. Ceva Santé Animale, a lui aussi porté ses 130 sites Web sur le cloud de l’Américain. Là encore, le critère numéro 1 était de profiter de l’élasticité du service. Le laboratoire pharmaceutique peut ainsi anticiper le lancement de ses campagnes marketing et préparer les pics de trafic en augmentant la capacité de ses serveurs virtuels, puis l’abaisser lorsque ce n’est plus nécessaire.
Enfin, le spécialiste de l’annuaire d’entreprise est allé beaucoup plus loin dans son adoption du cloud. Kompass International a totalement refondu son système d’information sur Microsoft Azure : « Hébergé par notre actionnaire, il fallait que Kompass retrouve son indépendance en termes d’infrastructures, explique Pierrick Pétain, le nouveau DSI. Nous avons rapidement abandonné l’idée du cloud privé, car nous n’avions pas les compétences internes pour l’administration d’infrastructure. En outre, l’investissement initial et les délais de mise en place n’étaient pas compatibles avec nos contraintes. » Le DSI n’avait en effet qu’une année pour refondre et redéployer l’informatique de l’entreprise. Fin 2012, Pierrick Pétain choisit Microsoft Azure, bien que son SI soit développé en Java et fonctionne sous Linux. « Nous avons fait un mix entre plates-formes IaaS et services PaaS, sachant que la consigne donnée à mon équipe d’architectes était d’utiliser au maximum le PaaS. Nous sommes un petit nombre et je veux consacrer le moins d’effort possible à l’infrastructure pour nous concentrer sur le développement des logiciels. » Si, du fait des contraintes particulières qui ont poussé le DSI à migrer le SI de Kompass International vers le cloud, nul doute que cet exemple préfigure de ce que les entreprises françaises vont devoir réaliser progressivement au cours des prochaines années. Un mouvement rendu nécessaire par le besoin de rester compétitif, et particulièrement agile sur les marchés internationaux.