La Poste, Air Liquide, EDF… Les grands groupes ne se sont jamais donné autant de mal pour s’inscrire dans des dynamiques d’innovation ouverte. Un concept qui va bien au-delà du rapprochement nécessaire avec les start-up.
Auteur : Dorian Marcellin
«Il y a six ans, le sujet était encore perçu comme une lubie de consultants. L’année 2014 est celle de la maturité », résume Martin Duval, PDG de Bluenove, une agence de conseil qui s’est fait une spécialité de l’innovation ouverte et collaborative, depuis sa création en 2008. Preuve que les grands comptes se sont mis en ordre de marche : le Medef vient de créer un comité open innovation au début de l’année. Parmi ses missions, un grand benchmark des pratiques françaises.
« L’innovation ouverte est un concept global, que l’on aborde souvent par les programmes de partenariats entre grandes entreprises et start-up », souligne Jean-François Gallouïn, professeur responsable du pôle entrepreneuriat au département des sciences de l’entreprise de l’Ecole centrale de Paris (ECP). Egalement président de Paris Région Lab, l’entité soutenue par la ville de Paris et la région Ile-de- France qui expérimente autour de ces concepts, il est aussi l’un des fondateurs de l’Institut Open Innovation de l’ECP, ouvert en juin avec l’appui d’Altran, Société générale et Mazars.
Cet institut cumulera une activité de formation et d’incubation, avec une mission d’observation, pour mieux comprendre les succès de certaines collaborations. « Dans un incubateur “corporate”, seules trois start-up sur dix parviennent à transformer, au bout d’un an, qui les accueille… et l’on ne sait toujours pas bien pourquoi », détaille Jean-François Gallouïn. Le fossé culturel, entre des ingénieurs qui ont fait toute leur carrière dans une grande structure et des start-up au fonctionnement entropique, est le défi principal. « Se frotter à la culture start-up le temps d’un hackathon, pour faire percoler ses cadres, c’est une chose. Arriver à une relation contractuelle et sortir un produit dans l’année… c’en est une autre ! », assène le président de l’Institut.
Souvent médiatisés, ces rapprochements entre petits et grands ne sont cependant pas le seul composant de l’innovation ouverte. « La méthode traditionnelle, en “techno-push” linéaire, portée par la R & D, a aujourd’hui un problème de temporalité avec le marché. Le produit ou le service qui en résultera sera dépassé avant même sa commercialisation », estime Eric Seuillet, président de l’association La Fabrique du Futur et vice-président de France Living Labs. Les entreprises se tournent donc vers des méthodes plus itératives, qui s’appuient sur des cycles courts et une meilleure intégration des usagers et des clients. D’où le développement massif, à la fois des FabLabs et des Living Labs, aux côtés des programmes partenaires avec les start-up.
Des Labs partout
Les FabLabs (fabrication laboratory ou laboratoire d’expérimentation) mettent à disposition de leurs visiteurs des machines-outils et des solutions numériques pour réaliser des prototypages rapides et expérimenter les idées des collaborateurs ou des usagers. « Les Living Labs permettent, eux, d’explorer ce qu’il est possible de faire avec ces prototypes », précise Eric Seuillet. Leur objectif ? Réussir l’intégration de l’usager le plus en amont possible dans le processus d’innovation, en mode crowdsourcing. Cette optique diffère des concepts « d’innovation client » à base de sondages, souvent portés par les départements marketing. « Le but est d’avoir un labo vivant pour observer les usages des individus en fonction d’une thématique précise, comme la santé, la mobilité ou encore le tourisme », décrypte Eric Seuillet. Le secret des Living Labs tient à la fois à l’implication de « lead users », naturellement engagés sur ces sujets, et à la diversité des compétences qui vont venir à leur rencontre : sociologues, artistes, designers ou encore ingénieurs… Un Living Labs interne à une entreprise est presque une contradiction.
Ce qui n’empêche pas les groupes de se doter de structures approchantes pour essayer d’anticiper l’évolution des attentes de leurs clients. En France, Orange a été l’un des premiers à se positionner sur le sujet avec son Studio Créatif France Telecom R & D, début 2000. Dans le secteur de l’automobile, Renault et PSA Peugeot Citroën rivalisent de projets pour installer durablement ces nouveaux labs dans leurs démarches d’innovation. Côté immobilier, Unibail Rodamco s’appuie, depuis presque deux ans, sur son UR Lab, pour faire collaborer des participants internes et externes à l’entreprise, et attribuer des moyens suffisants aux idées prometteuses.
Une opportunité pour les PME
On aurait cependant tort de croire que la dynamique d’open innovation n’est que l’apanage des grands groupes. La France est l’un des principaux pays en nombre de Living Labs indépendants, avec lesquels il est possible de s’associer. Les FabLabs, universitaires ou locaux, se multiplient. Par exemple, depuis trois ans, même Biarne, petite commune de 360 habitants dans le Jura, dispose de son propre laboratoire d’expérimentation, équipé des outils adéquats (imprimante 3D…). Cyril Casula, développeur et designer freelance a, quant à lui, lancé son FabLab mobile (dans un camion) sur les routes de France, après une expérience réussie sur le même concept pour le compte de Leroy Merlin. « Les logiques d’innovation ouverte la transformation numérique que connaissent toutes les structures », rappelle Martin Duval. Les plus petits peuvent commencer par des partenariats innovants avec leurs fournisseurs ou des écoles, avant d’en appeler aux usagers. De plus, comme le rappelait récemment Nicolas Blanc, responsable Innovation et Développement durable au groupe Caisse des Dépôts, à Futur en Seine : « Les PME, ancrées dans leurs territoires, peuvent devenir de véritables pilotes de l’écosystème (lire encadré) sur ces sujets. » Enfin, si l’innovation ne se décrète pas, de plus en plus de sociétés expérimentent pour en fournir les conditions au quotidien. Ce management de l’innovation est un sujet de culture d’entreprise : autonomie, créativité et bien-être au travail en sont les meilleurs guides. Ce n’est pas Poult, leader français du biscuit en marque distributeur, qui dira le contraire. Cette PME de 850 salariés a parié sur l’expérimentation individuelle et la polyvalence pour préparer l’avenir. Moins d’échelons hiérarchiques, réaménagements des horaires, responsabilisation des opérateurs… L’industriel a tout changé. Il s’est même doté d’un incubateur et d’un accélérateur en interne, qui accompagnent son « start-up programme ». Les idées innovantes qui en émergeront permettront bientôt d’attaquer un tout nouveau marché clé : l’alimentation-santé.