Pas simple pour les constructeurs automobiles d’ouvrir leurs processus d’innovation auprès de leurs salariés ou de tiers. S’ils avancent pas à pas, l’écart se creuse entre Renault et PSA Peugeot-Citroën.
Auteur : Alain Clapaud
Elon Musk déclenche, le 12 juin dernier, un coup de tonnerre dans le secteur de l’auto- mobile. Le f lamboyant patron américain de Tesla annonce, via un simple billet de blog, que l’intégralité des brevets déposés par le constructeur de voitures électriques depuis sa création peuvent être librement exploités, y compris par ses concurrents. Cela représente 250 brevets rien que pour le dernier-né de la marque, le Model S. « Nous voulons innover assez vite pour rendre caducs nos brevets antérieurs dans les domaines qui comptent vraiment. C’est la rapidité de l’innovation qui compte », écrit-il. En agissant Elon Musk espère attirer les meilleurs ingénieurs que la philosophie open source inspire…
Open source, impression 3D, crowdsourcing, codéveloppement… Les choses commencent à bouger aux Etats-Unis en termes d’innovation, mais également en France. Nos deux constructeurs nationaux ont lancé des initiatives d’innovation ouverte depuis plusieurs années, en suivant des chemins parallèles. Pour l’un comme l’autre, la première forme d’ouverture a consisté à mettre en place des processus collaboratifs avec leurs fournisseurs. Un constructeur automobile moderne, c’est, aujourd’hui, un FEO (fabricant d’équipement d’origine, ou OEM), c’est-à-dire un intégrateur de solutions développées par ses équipementiers. Depuis plusieurs dizaines d’années, ils ont instauré des processus de codéveloppement avec eux. Mais ce mode de fonctionnement ne suffit plus. « Nous pratiquions déjà cette ouverture avec nos principaux partenaires industriels, comme les équipementiers, confie Isabelle Edessa, responsable open innovation chez PSA Peugeot-Citroën. Mais, depuis 2009, nous sommes passés à la vitesse supérieure. La concurrence est plus tendue et les offres produits s’enrichissent de nouveaux services. Le numérique, notamment, a bousculé pas mal de choses. L’innovation ouverte nous permet de relever certains nouveaux défis. » La firme au lion a structuré son effort en direction de quatre grands écosystèmes, depuis les individus – collaborateurs ou clients –, les laboratoires publics de recherche, les start-up et PME et, enfin, les institutions.
La première initiative de crowdsourcing de PSA Peugeot-Citroën a consisté en des challenges lancés auprès de ses 208 000 salariés (127 000 pour Renault). Autant de collaborateurs présents dans de multiples divisions, localisés sur les cinq continents et tous acquis à la cause de l’automobile. PSA Peugeot-Citroën comme Renault se sont tournés vers des plates-formes cloud pour mener leurs premières opérations. « Le premier challenge a été lancé en 2008, se souvient Isabelle Edessa. Nous l’avions appelé La Main Verte, sur le thème de la voiture écologique. » Le succès fut immédiat : 7 000 participants ont soumis des idées ou pris part aux discussions en ligne. Renault est parti un peu plus tard, en 2009, sous l’impulsion d’un membre de la direction générale en charge de la région EuroMéditerranée. La formule choisie est celle du « jam », concept mis au point par IBM en 2001. La direction fixe un sujet et la discussion est lancée sur une durée très courte, trois jours. « Ces jams ont permis de faire émerger un esprit d’équipe global, une capacité à échanger libre- ment, donner des idées, réagir les uns par rapport aux autres, rapporte Damien Martayan, responsable du domaine knowledge management du constructeur au losange. Il y a beaucoup d’aspects positifs d’un point de vue humain, et du point de vue team building. » Chez les deux constructeurs, la même décision est alors prise : mettre en place une plate-forme interne pour pérenniser ces opérations dans le temps. Ironie de l’histoire, les deux vont, chacun de leur côté, initier des solutions techniques très proches. Tous deux vont s’appuyer sur Microsoft SharePoint pour réaliser une plate-forme d’open innovation sur mesure. PSA privilégie la création de sites dédiés à chaque challenge, tandis que Renault fait évoluer sa plate-forme pour en faire un réseau social d’entreprise permanent.
Une main tendue vers la recherche publique
Depuis ce temps-là, les deux constructeurs multiplient les opérations, et pas uniquement sur les thèmes les plus médiatiques, comme la voiture connectée, mais aussi sur les nouveaux matériaux ou, encore, la réduction des coûts de production. « Nous nous sommes rapidement aperçus que des personnes, hors du secteur production, émettent des idées et des propositions pertinentes. Il faut en profiter et ne pas se limiter à la direction de la fabrication », analyse Damien Martayan. Le constructeur a aussi lancé ce type d’initiatives à destination du grand public, notamment en visant les fans de sa marque Citroën : « Nous avons lancé les Citroën Creative Awards voici quelques années déjà, rappelle Isabelle Edessa. Un concours international de design qui a donné lieu à la commercialisation d’une décoration à poser sur le toit de la DS3. Elle porte le nom du gagnant, Flavio. » Outre le crowdsourcing, les constructeurs ouvrent leur recherche et développement en créant des liens avec les laboratoires publics de recherche. En 2010, PSA créait OpenLabs, un réseau de partenariats tissés avec l’Institut des Sciences du Mouvement (ISM) de Marseille et le laboratoire de l’Intégration du Matériau au Système (IMS) de Bordeaux. En parallèle, Sylvain Allano, directeur scientifique et technologies futures chez PSA, créait le StelLab (Science Technologies Exploratory Lean Laboratory) à l’automne 2010. « Situé à Vélizy-Villacoublay, ce lieu favorise les échanges entre nos experts et les scientifiques issus de structures externes, afin d’identifier les technologies de demain, précise Isabelle Edessa. Le StelLab est le pivot du réseau des OpenLabs, notre structure commune de recherche entre PSA et des laboratoires sélectionnés en France, en Europe et à l’international, au nombre d’une quinzaine. » Grâce à ces OpenLabs, PSA a pu mettre au point un détecteur de fatigue avec l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). « Nous avons même été jusqu’à créer une cellule sur place où deux collaborateurs de PSA sont chargés d’identifier les sujets de recherche susceptibles de nous intéresser », ajoute la responsable open innovation de PSA.
Pour sa part, Renault dispose aussi d’un lieu dédié à l’innovation ouverte au Technocentre de Guyancourt, le Creative People Lab Renault. A la différence du StelLab de PSA, celui-ci est ouvert à tous les salariés, dans l’esprit des FabLabs, ces ateliers de fabrication ouverts à tous et inventés au MIT dans les années 1990. Lomig Unger, cocréateur du lieu, docteur en physique, blogger et community manager chez Renault, souligne : « Tous les jeudis, nous animons un atelier où chacun est libre de venir présenter, échanger et triturer ses idées dans un format totalement informel. » Récemment, des imprimantes 3D et divers outillages ont été installés dans ce local, aujourd’hui transformé en véritable FabLab interne. Une nuance qui est loin d’être un détail pour Mickaël Desmoulins, open innovation manager chez Renault : « Avant, l’innovation ouverte était plutôt l’affaire de communautés de penseurs. Depuis que nous disposons d’un espace physique et de moyens de réalisation, nous nous adressons aussi à une autre forme de communauté, les Makers. La rencontre entre ces deux communautés produit des choses intéressantes. » Si ce FabLab trouve son public auprès des salariés, Mickaël Desmoulins veut désormais sortir des murs de l’entreprise pour aller chercher des idées dans d’autres secteurs : « Nous montons une association de FabLabs avec d’autres industriels comme Airbus, Snecma, Bell Labs, Air Liquide… pour pouvoir échanger. Monter un atelier de conception sur le véhicule autonome avec Airbus, par exemple, a une valeur inestimable pour nous. »
Innover avec les start-up
Cette idée de FabLab est encore dans les cartons chez PSA et les deux groupes français divergent aussi sur le plan de leurs relations avec les start-up. PSA a choisi de créer un portail, à destination des petites entreprises qui avaient, jusqu’à présent, bien du mal à se faire référencer par ce géant industriel. « Nous avons ciblé une dizaine de besoins précis comme les systèmes de réalité augmentée directe
portable, les décors d’intérieur d’habitacle en matériaux naturels bruts ou recyclés, etc. », détaille
Isabelle Edessa. Sur ce portail, les PME peuvent faire part de leurs solutions innovantes. Leurs propositions sont ensuite directement envoyées à l’expert concerné, qui en fait une analyse préliminaire. « Nous leur répondons systématiquement dans un délai de quelques semaines. C’est un engagement que nous prenons », révèle-t-elle. De son côté, Renault a créé son propre incubateur. Créé en partenariat avec Paris Région Innovation Lab, l’incubateur Mobilité connectée a ouvert ses portes en 2012, dans les locaux de Paris Innovation Masséna. Cinq start-up ont été sélectionnées pour la première saison, toutes avaient pour mission de développer des applications pour la R-Link, la tablette numérique embarquée dans les voitures au losange. Après cette première expérience jugée positive, quatre nouvelles start-up ont rejoint l’incubateur en 2013. Si PSA accuse un vrai retard sur ce plan, le constructeur devrait faire des annonces cette rentrée. Il devrait bientôt inaugurer son premier FabLab, et pourrait aussi prendre des initiatives pour se rapprocher des start-up. Le numérique pousse de plus en plus les constructeurs automobiles à sortir de leur domaine d’expertise et à revoir leurs processus d’innovation. Ils sont en cela précurseurs d’un mouvement qui va impacter toutes les industries dans les années à venir.