Le succès des voitures 100 % électriques en autopartage, dans l’agglomération parisienne, et bientôt à Lyon et aux États-Unis, se confirme. Pour maximiser son offre, l’analyse de données devient pour Bolloré une question clé.
La différence la plus évidente entre une voiture classique et la Bluecar, disponible via le service Autolib’, est qu’elle ne fait plus « vroum-vroum », mais « bzzzzz ». Pourtant, la véritable innovation de ce véhicule conçu par le groupe Bolloré n’est pas sa motorisation électrique. Equipée d’un moteur thermique, la Bluecar resterait tout aussi « révolutionnaire ».
Le véhicule introduit en fait deux changements majeurs. Le premier tient à la nature même du service Autolib’ : l’autopartage. Le site d’Ile-de- France est devenu – et de loin ! – le plus imposant système de ce type au monde. Lancé en octobre 2011, il met aujourd’hui à disposition quelque 1 800 voitures. Il a servi près de 80 000 abonnés depuis son lancement et compte 35 000 abonnés « Premium », ayant souscrit un abonnement d’un an. Avec ce succès, c’est un tout nouveau mode d’utilisation de la voiture qui se développe en agglomération, où la notion d’usage prend le pas sur celle de propriété. L’entreprise s’enorgueillit ainsi de constater que « de nombreux clients d’Autolib’ ont vendu leur ancienne voiture ».
Le châssis informatique
L’avenir dira quelle place prendra le service d’autopartage dans la ville et dans quelle mesure il se substituera à la possession de son propre véhicule. En attendant, Autolib’ est aussi le symbole d’une autre révolution, moins visible celle-là, celle du véhicule connecté. Et là encore, l’entreprise est aux avant-postes. Autolib’ constitue même un banc d’essais probablement inédit au monde.
Comme l’écrivait 01 Business, « le vrai carburant d’Autolib’, c’est l’informatique ». De fait sans un très puissant système d’information (SI), le service n’existerait pas. Il faut gérer les réservations, les abonnements, les emplacements, suivre les voitures, etc., tout ce qui fait l’originalité d’Autolib’. Un principe développé par deux entités du groupe Bolloré, dont ce nouveau service fait partie, soutenu par Polyconseil pour la partie purement informatique et par IER pour la communication intelligente du véhicule qui assure la liaison (sous Windows Embedded) entre le système embarqué, les bornes d’abonnement et de location, les bornes de charge et le système central de gestion.
La présence de l’informatique se manifeste clairement dès la réservation et la prise du véhicule. Elle est nettement moins flagrante lorsque la Bluecar a quitté son aire de stationnement. Mais sans qu’il n’y paraisse, la voiture est bardée de détecteurs et communique en permanence avec le système d’information de l’entreprise. Plusieurs dizaines de capteurs lui envoient des données en temps réel, via une liaison 3G. Si Autolib’ s’interdit de suivre votre parcours pour des raisons de respect de la vie privée, le service sait, en revanche, à peu près tout de ce qui se passe au niveau de ses véhicules. « Nous suivons en permanence quelque cent cinquante paramètres sur chaque voiture », indique Sylvain Géron, cofondateur de Polyconseil. Certains de ces paramètres « remontent » toutes les minutes, d’autres à une fréquence moindre, toutes les dix minutes ou demi-heure. Certains, enfin, ne sont pris en compte que lorsqu’un événement survient, une sortie de zone ou un choc, par exemple. Ces paramètres sont extrêmement variés et fournissent, naturellement, des informations de localisation via le GPS. Mais aussi des informations techniques comme l’état de la batterie, la présence d’une porte ouverte, l’activation du frein à main, etc.
Cette voiture hyper communicante pourrait bien préfigurer ce qu’un industriel comme General Electric (GE) a appelé l’« Internet industriel »*. Le géant américain attend en effet beaucoup de cette communication généralisée entre un « objet » et un système d’information. Il pense à l’exploitation qui pourrait en être faite dans le cadre des produits qu’il commercialise. L’idée est de les doter de capteurs qui informent en temps réel sur l’état de la machine (un moteur d’avion par exemple) et d’exploiter ces données pour mieux gérer et mieux exploiter le produit concerné. Une telle pratique est, selon GE, une source très importante d’économies et un moyen de les rendre plus efficaces. GE n’en est qu’aux prémices de cet Internet industriel et investit lourdement en R&D pour en faire une réalité.
Décortiquer les données
Autolib’ dispose déjà de l’infrastructure permettant de l’envisager. Pour l’instant, les données émises par la Bluecar servent essentiellement à la gestion du service lui-même. Le plus important est pour l’entreprise de connaître précisément où se situent, à l’instant T, l’ensemble de ses véhicules, ce qui lui permet d’équilibrer au mieux leur présence dans les aires de stationnement. La connaissance de l’historique des trajets des Bluecar constitue ainsi une aide précieuse pour anticiper les besoins et organiser le service.
« Nous avons déjà quelques informations précises sur le schéma d’utilisation des véhicules. Nous constatons par exemple une tendance des utilisateurs à effectuer davantage de trajets de Paris vers la banlieue plutôt que l’inverse », explique Sylvain Géron.
Dans la pratique, l’exemple d’Autolib’ démontre toutefois que l’exploitation des données n’est pas si immédiate qu’on pourrait l’imaginer. Ainsi, audelà de quelques constatations assez élémentaires, il reste encore difficile d’établir des tendances claires à partir des données concernant le déplacement des voitures. Leur cheminement s’apparente davantage à « un mouvement brownien » qu’à un schéma facilement lisible…
Optimiser la recharge des batteries
En revanche, il est clair que le groupe Bolloré dispose d’un formidable outil pour analyser ses voitures. L’entreprise est déjà en mesure de suivre en permanence le fonctionnement des batteries installées dans chacun de ses véhicules. Qui, au monde, dispose d’une telle source d’information ? Cet avantage est d’autant plus appréciable pour Bolloré lorsqu’on sait que la batterie des Bluecar est produite par l’une des entreprises du groupe, Batscap. Une batterie d’une technologie totalement originale que Batscap est seul au monde à développer.
L’exploitation de toutes les données issues du véhicule n’est pas aujourd’hui la priorité d’Autolib’. Sylvain Géron se contente d’indiquer que, dans l’avenir, « elles pourraient effectivement servir à réaliser de la maintenance préventive. » Dans l’immédiat, l’entreprise a d’autres chats à fouetter. Elle se polarise sur ce que le système d’information peut apporter à l’amélioration de son service.
C’est ce système qui, par exemple, propose le paiement de la prestation par Internet. De même, une nouvelle fonctionnalité est venue enrichir le principe d’Autolib’ avec la mise au point d’un outil permettant d’optimiser la recharge des batteries. De retour sur son aire de stationnement, la Bluecar n’est désormais plus remise en charge systématiquement. En fonction de divers paramètres, le véhicule attendra le moment le plus favorable, en termes de coût de l’électricité, pour se recharger.
Inutile d’être devin pour imaginer que gagnant en expérience, l’entreprise mettra au point d’autres services pour en améliorer encore l’usage. Elle dispose déjà de la matière première indispensable : des masses phénoménales de données. Songez-y : en moins de deux ans, les Bluecar ont déjà parcouru près de 20 millions de kilomètres sous surveillance permanente ! Un précieux filon à exploiter.
* Lire le rapport : « Industrial Internet : Pushing the Boundaries of Minds and Machines », de Peter C. Evans et Marco Annunziata (www.gereports.com/meeting-of-minds-and-machines/).