Droits de douane : quand les États-Unis détruisent les fondations qui ont porté leurs champions technologiques au pinacle

 

En une semaine, les tensions géopolitiques provoquées par l’administration Trump ont pris un tour fondamentalement économique, alors que les États-Unis ont mis à exécution leur stratégie de guerre commerciale. La généralisation des droits de douane a été un choc, qui s’est traduit violemment en bourse, les principaux indices américains effaçant peu ou prou leurs gains annuels. On ne s’étendra pas ici sur les accusations de manipulation de marché portées à l’encontre du président américain, celui-ci encourageant ses partisans à acheter des actions sur son réseau Truth Social, quelques heures avant d’annoncer publiquement une suspension de ses inénarrables « tariffs » pour 90 jours… Annonce qui a fait repartir très fortement à la hausse l’ensemble des cours. Tout au plus soulignera-t-on que les grandes valeurs technologiques, « Sept magnifiques » en tête, ont été particulièrement sensibles à cette séquence de montagnes russes. Mais ce chaos boursier est surtout le symptôme éruptif de la fin d’une ère de globalisation. Or, nos chaînes de valeur technologique sont l’incarnation de cette ère globale qui prédomine depuis les années 90. Au-delà des valeurs des actions et indices, il faut donc bien regarder l’impact pour le monde numérique dans son ensemble…

 

« Tempête de catégorie 5 »

 

En la matière, l’analyste américain Dan Ives n’a pas manqué d’attirer l’attention cette semaine. Habituellement défenseur acharné d’un avenir optimiste pour la Tech US, le spécialiste des marchés a dû manger son chapeau pour la première fois. « [Ces droits de douanes] ramèneront l’industrie technologique américaine une décennie en arrière, tandis que la Chine progresse à toute allure », s’est-il ému en comparant la guerre économique en cours à une « tempête de catégorie 5 » pour les ménages américains. Nul doute que l’analyste a dû pousser un soupir de soulagement en entendant Donald Trump suspendre pendant trois mois ses décisions initiales. Mais ce n’est pas pour autant un retour à la normale : pendant cette période, les taux des « tariffs » resteront généralisés à 10 % (sauf pour la Chine, punie, elle, à hauteur de 125 %) et qui sait ce qu’il adviendra par la suite, du fait des lubies économiques du président MAGA ?

 

Une remise en cause des fondations de la Tech américaine

 

Quoi qu’il en soit, le fond de l’analyse de Dan Ives ne s’arrête pas stricto sensu à la question des droits de douane. C’est toute la vision qui en découle et l’illusion d’une supply chain entièrement intégrée aux États-Unis qu’il critique. « Dire que nous pouvons simplement fabriquer ces produits aux États-Unis sous-estime incroyablement la complexité de la chaîne d’approvisionnement en Asie », résume l’analyste. « [Ces supply chains] sont les fondations sur lesquelles est construit le monde technologique américain », explique-t-il, en faisant référence tant aux géants du numérique qu’à l’industrie automobile. En voulant sectionner ces liens très forts, l’administration Trump « fait basculer le bateau à l’envers dans l’océan, sans radeau de sauvetage, et en disant aux entreprises comme Apple, Nvidia, Microsoft, General Motors, AMD et bien d’autres : « Bonne chance » ». Autrement dit, les Etats-Unis, en espérant renforcer leur base industrielle nationale, nient soudainement le fait que leur domination technologique a été bâtie grâce à la coopération avec des pays tiers ; qu’ils mettent désormais sciemment à mal.

 

Une opportunité pour les États-Unis… ou pour l’Europe ?

 

Le reflux de la globalisation n’a d’ailleurs pas attendu des droits de douane exorbitants pour commencer. Quand les pays ne peuvent plus avoir confiance dans leurs alliés, quand les visées impérialistes se multiplient, que les ressources naturelles sont mises sous pression, la tentation du repli sur soi est grande. Mais alors que l’Europe épingle de plus en plus sa dépendance à la tech américaine, il est saisissant de voir que c’est la superpuissance elle-même qui est en train de mettre un coup d’arrêt à cet ordre mondial qui l’avantageait très nettement. Quelle que soit la suite des événements, les signaux ont désormais été envoyés clairement : l’époque ne sera plus la même pour les chaines d’approvisionnement globales. Et la tech’ sera la plus appelée à se remettre en question. L’administration Trump pense que cette réinvention sera à l’avantage des États-Unis. On peut espérer de notre côté que l’Union européenne saisisse l’opportunité pour changer ses propres règles du jeu et regagner en compétitivité et maîtrise, sans s’aliéner dans notre cas les flux économiques mondiaux qui ont fait notre richesse à nous aussi.