Dans des métropoles déjà saturées, l’automatisation devient une réponse au défi du dernier kilomètre. La Poste et d’autres s’essaient aux drones et robots livreurs pour répondre à l’accroissement de l’e-commerce.
La France, premier pays à avoir accepté les drones civils, a ouvert son ciel à une nouvelle première en décembre dernier. Après deux ans de tests, DPDgroup, réseau de livraison de colis de GeoPost (groupe La Poste) a reçu l’autorisation de la Direction générale de l’Aviation civile (DGAC) d’ouvrir une « ligne commerciale régulière » de livraison par drones entre Saint-Maximin (Var) et une pépinière d’entreprises high-tech. C’est une expérimentation de six mois qui rentre dans le cadre du « scénario S4 » de la DGAC : le drone a le droit de voler « hors vue », sur plusieurs kilomètres, mais à des conditions strictes : « Hors zone peuplée ; sur un trajet programmé ; sous contrôle d’un télépilote ; […] ; le drone doit aussi pouvoir revenir seul à son point de départ et ouvrir un parachute si nécessaire. »
La PME Atechsys, qui a conçu cette hexacoptère (6 hélices, 6 moteurs), opère cette ligne pour DPDGroup : « Nous sommes en zone périurbaine, c’est-à-dire que l’on part d’un village, pour tout de suite s’en éloigner. » Le drone survole ensuite la campagne à une vitesse de 30 km/h pendant 15 km coupant à la perpendiculaire une autoroute, puis une nationale, pour rejoindre sa station d’accueil brevetée. « Nous avons obtenu l’accord de la DGAC, car nous cumulons plus de 600 vols de tests sur ce projet », explique Moustafa Kasbari, fondateur d’Atechsys en 2007. La DGAC confirme : « C’était le projet le plus abouti en France. » Et pas de quoi rougir devant Amazon, qui entame également la phase d’expérimentation en zone rurale. Fin décembre, Jeff Bezos le dévoilait dans un tweet : « Amazon a livré, pour la première fois, un client par drone non loin de Cambridge* (Grande-Bretagne). »
Une technologie qui permettra le vol autonome
Les ingénieurs d’Atechsys travaillent sur la livraison à domicile, mais pas avant 2025 ou 2030 et uniquement pour des livraisons à forte valeur ajoutée : « Nous avons aussi imaginé une station d’accueil de drone pour la maison du futur », ajoute-t-il. En attendant, la PME varoise concentre ses efforts sur l’exploitation de lignes régulières ou d’urgence et lance une levée de fonds pour accélérer son développement.
Mythe ou réalité ?
Selon une étude de McKinsey*, le marché de la livraison de colis va doubler en dix ans en Allemagne et aux États-Unis, atteignant un volume de 5 et 25 milliards de colis par an. Or, le coût de livraison du dernier kilomètre, à lui seul, « atteint souvent et dépasse parfois 50 % du coût total », faisant de ce dernier un enjeu majeur. En 2025, McKinsey prédit : « Un monde dans lequel les véhicules autonomes [drones inclus, Ndlr] livreront 80 % des colis » ; des consignes roulantes autonomes livreront une majorité de colis par la route ; les drones étant plus rentables en zones rurales et les coursiers à vélo, en zone urbaine dense, pour la livraison instantanée. Les 20 % restants (principalement du B to B) seront toujours livrés par le modèle traditionnel : entrepôts et tournées de chauffeurs livreurs.
* « Parcel Delivery, The future of the Last Mile » (septembre 2016).
Dans sa dernière étude, McKinsey (lire encadré) estime que la livraison par drone pourrait s’imposer d’ici à 2025 mais à la campagne ! Quant aux véhicules autonomes de livraison, auquel le cabinet prédit un bel avenir, à part un brevet de Google, il existe peu de projets de ce type : la cohabitation sur les routes avec les pilotes humains pose trop de problèmes. En revanche, les robots livreurs frappent déjà à la porte. L’État de Virginie (États- Unis) vient d’autoriser, dès le 1er juillet prochain, la circulation de robots en zones piétonnes. L’Idaho et la Floride devraient suivre.
Derrière cette loi, la start-up Starship Technologies, créée en 2014 par deux des fondateurs de Skype (Ahti Heinla et Janus Friis). Son robot à six roues a déjà parcouru plus de 30 000 km sur les trottoirs de 16 pays et 58 villes, sans provoquer « aucun accident ». Ces tests ont impliqué, depuis l’été dernier, des partenaires variés : Just Eat (actionnaire de Allo Resto en France), pour la livraison de plats à domicile ; Swiss- Post, pour la livraison de colis, etc. Comme Starship ne roule qu’en zones piétonnes, il pose moins de problèmes de sécurité. Son logiciel de navigation et d’évitement lui permet de conduire à 99 % de façon autonome, en adaptant sa vitesse (6 km/h maximum). Plus de 4 millions de personnes auraient ainsi croisé ce drôle de livreur, lui réservant le plus souvent un accueil bienveillant. Il peut livrer en moins de 30 minutes, dans un rayon de 3 km, jusqu’à 10 kg, soit l’équivalent de deux sacs de courses. La sécurité de la marchandise est également assurée : le client reçoit un code par SMS qui lui sert à ouvrir la trappe d’accès. « Nous voulons faire dans la livraison de proximité ce que Skype a fait dans les télécoms », confie Athi Heinla, PDG de Starship Technologies qui estime pouvoir abaisser le coût unitaire de livraison du dernier kilomètre à 1 euro. Pour cela, la start-up, basée à Londres (siège) et en Estonie (ingénierie), mise sur des économies d’échelle : l’utilisation de composants issus des smartphones et la réduction, à terme, du nombre de superviseurs humains à 1 pour 100 robots.
Des systèmes hybrides
Plus innovant encore, Starship Technologies s’est associé à Mercedes-Benz pour créer RoboVan : un Sprinter aménagé en « vaisseau mère » d’une flotte de huit robots livreurs. Objectif : livrer plus de 400 colis en 9 heures ; contre 180 colis livrés par une tournée traditionnelle de chauffeur livreur. Ce partenariat va s’inscrire dans la durée puisque Daimler a participé à la dernière levée de fonds de la start-up, conclut en janvier pour 16,5 millions d’euros. La convergence de ces deux modes de transport crée « la méthode de livraison locale la plus efficace, rentable et pratique au monde », indique Ahti Heinla, PDG de Starship Technologies. Autre signe que les livreurs humains n’ont pas dit leur dernier mot : début mars, Stuart est devenue filiale à 100 % de Geo- Post. Créée en 2015, cette plateforme de livraison instantanée, présente à Paris, Barcelone, Londres, Lyon et Madrid, vise à généraliser le modèle « food delivery » à tout type de commerce. Son algorithme sophistiqué affecte les livraisons, en temps réel, à une flotte de coursiers, indépendants ou professionnels, en fonction de leur localisation et leur mode de déplacement.« Chez Stuart, nous rêvons d’une ville où vélos, vélos-cargo et véhicules électriques remplacent les centaines de milliers de véhicules thermiques qui circulent chaque jour dans nos centres urbains. Et ce chantier, lui, se fera avec l’humain », raconte Nicolas Breuil, directeur marketing de Stuart, dans une récente tribune. « Que ce soit grâce aux algorithmes d’un côté, comme ceux utilisés par Uber ou Stuart, ou à l’automatisation de la livraison de l’autre, nous assistons à la fin de la massification de la chaîne logistique », analyse Moustafa Kasbari. Livraisons en consigne automatisée dans des lieux de passage ou directement dans le coffre des voitures, de bout en bout pour les petits commerçants… « Les marchandises circuleront de façon plus décentralisée à travers un réseau de boucles locales. C’est le début d’un retour vertueux à l’économie locale », conclut-il.
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