Après l’éclatement de l’Assemblée nationale, quel est le paysage politique du numérique ?

Les législatives anticipées n’ont pas fait émerger de nouveaux profils sur les questions numériques. Légèrement affaibli, le camp présidentiel devrait toujours imposer sa doctrine libérale sur le sujet, alors que la gauche cherche encore ses spécialistes.

La dissolution a bouleversé le paysage politique du pays. L’Assemblée nationale est désormais divisée en trois blocs et aucune force politique ne semble capable de former un gouvernement qui pourrait tenir sur la durée sans nouer des alliances. Les élections législatives ont provoqué un séisme. Mais il est un sujet qui n’a pas vraiment été chamboulé : le numérique. Dans ce domaine, les rapports de force au sein de l’hémicycle restent inchangés. Ou presque.

Au sein du camp présidentiel, un petit turn-over pourrait avoir lieu. La coalition composée d’Ensemble pour la République (EPR, ex-Renaissance), Horizons et le Modem est sortie légèrement affaiblie des législatives anticipées, passant de 250 à 166 élus. Conséquence : une perte de terrain notable sur les sujets numériques. Xavier Batut, deuxième vice-président Horizons de la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), n’a pas été réélu. Tout comme Mireille Clapot, première vice-présidente EPR de cette commission. La coalition présidentielle ne compte donc plus que 2 membres sur les 14 députés et sénateurs au sein de la CSNP. Avec la défaite de Mireille Clapot, la elle perd dans le même temps une membre du groupe d’études consacré à l’économie, la sécurité et la souveraineté numériques. Dans ce groupe d’études, 4 autres députés alliés à Emmanuel Macron n’ont pas réussi à se faire réélire : Mounir Belhamiti (EPR), Estelle Folest (Modem), Philippe Pradal (Horizons) et Sarah Tanzilli (EPR).

Au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), le camp macroniste perd deux élus : Huguette Tiegna (EPR) et Philippe Berta (Modem) – le député a laissé sa place à son suppléant qui n’a pas réussi à se faire élire. Par ailleurs, le parti d’Emmanuel Macron perd deux autres membres influents sur les questions numériques, les députés Bruno Studer (EPR), auteur d’une proposition de loi sur le droit à l’image des enfants, et Caroline Janvier (EPR), défenseuse d’un texte sur l’exposition des enfants aux écrans.

La coalition peut compter sur ses piliers

Mais si le camp présidentiel a subi ces pertes, la plupart des piliers de la coalition ont réussi à se maintenir. « Les mêmes têtes compétentes sur le numérique sont toujours présentes », reconnaît Philippe Latombe, député Modem et l’une des pointures sur les sujets de la souveraineté numérique, du cloud et des données personnelles. Concernant Ensemble pour la République, Paul Midy, membre du Conseil national du numérique (CNN), cofondateur du think tank France Digitale, fervent pourfendeur de l’anonymat sur les réseaux sociaux et rapporteur général du projet de loi « sécuriser et réguler l’espace numérique » (Sren) en 2023, a été réélu. C’est aussi le cas pour Eric Bothorel, expert de la cybersécurité qui a travaillé sur les données personnelles dans le cadre du texte Sren, et Céline Calvez, qui a notamment phosphoré sur la transparence des algorithmes dans le cadre de la commission spéciale consacrée à ce même projet de loi. Denis Masséglia, très impliqué sur les jeux vidéos, Béatrice Piron, intéressée par l’inclusion numérique et présente lors des débats autour de la loi sur l’instauration d’une majorité numérique, Stéphane Vojetta, auteur avec le socialiste Arthur Delaporte d’une proposition de loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, et Violette Spillebout, active lors des débats sur la loi Sren, l’information sur internet et la cybersécurité, sont eux aussi réélus.

Du côté de Horizons, le parti d’Edouard Philippe, son président de groupe sera présent pour cette nouvelle législature : Laurent Marcangeli, l’un des porteurs de la loi visant à instaurer une majorité numérique, ne compte pas laisser de côté son domaine de prédilection. Anne Le Hénanff, vice-présidente du groupe d’études sur l’économie, la sécurité et la souveraineté numériques, et Vincent Thiébaut, secrétaire de ce groupe d’études, se sont également fait réélire.

A la recherche du consensuel

Concernant le Modem, la formation de François Bayrou créée en 2007 conserve ses cadres. Philippe Latombe, cité plus haut, Erwan Balanant, qui a ferraillé pour la responsabilisation des plateformes en commission spéciale dédiée à la loi Sren et qui a été rapporteur de la loi sur le harcèlement scolaire en 2022, Géraldine Bannier, rapporteure de la proposition de loi « anti-Amazon » sur l’économie du livre en 2021, et Christophe Blanchet, qui a travaillé sur la responsabilisation des plateformes, ont été réélus. Enfin, les deux derniers membres du gouvernement chargés du numérique sous Elisabeth Borne et Gabriel Attal sont issus du parti centriste. A moins d’une nomination au sein de la première équipe de Michel Barnier, Marina Ferrari et Jean-Noël Barrot, qui a troqué la vice-présidence de la commission des Finances contre la présidence des Affaires étrangères, viendront renforcer le groupe.

En clair, la coalition présidentielle devrait toujours préempter sa doctrine sur le numérique. « Les mêmes visages sont toujours là, la coalition présidentielle pourra imposer sa vision sur les sujets, estime Philippe Latombe. Mais en vérité, le rapport de force a changé après les législatives. EPR, Horizons et le Modem n’auront pas le même poids, pas le même pouvoir. Dans le contexte actuel d’une Assemblée fragmentée, on ne pourrait pas gagner certaines batailles, comme sur la dernière loi sur la sécurisation et la régulation de l’espace numérique. » Le député plaide pour que la nouvelle Assemblée puisse aborder des débats autour de la cybersécurité pour amorcer de nouvelles discussions entre spécialistes du numérique et identifier les élus qui sont capables de travailler ensemble et chercher du consensus. « Vu la composition de l’Assemblée, il faudra faire quelque chose de consensuel, il faudra travailler en cherchant l’efficacité sans y mettre de l’idéologie. Sinon, nous nous retrouverons avec des députés de gauche, d’extrême droite et du centre qui resteraient dans des postures », analyse un député du bloc central.

Néanmoins, le camp présidentiel pourra peut-être compter sur l’appui du groupe La Droite républicaine (LDR) présidé par Laurent Wauquiez pour construire des majorités. A condition que l’alliance avec la droite au sein du gouvernement autour de Michel Barnier se poursuive à l’Assemblée. Mais Les Républicains se sont affaiblis après les législatives : le parti s’est scindé à la suite de l’alliance avec le Rassemblement national (RN) voulue par Eric Ciotti. Le groupe parlementaire de la ligne « historique » de la droite comprend 47 députés, c’est-à-dire 14 membres de moins que la précédente législature. Il perd au passage Victor Habert-Dassault, qui s’est montré actif sur la loi Sren et a tenté de changer le règlement de l’Assemblée pour ajouter une commission permanente du numérique en 2022. Toutefois, un expert s’est fait réélire : Philippe Gosselin, ancien secrétaire de la mission d’information sur la souveraineté numérique nationale et européenne, a déposé un rapport en 2023 sur les enjeux de l’utilisation d’images de sécurité dans le domaine public avec Philippe Latombe. Peut-être que les bases d’une alliance de fond sur le numérique sont déjà là.

Si le Nouveau Front populaire (NFP) est le bloc politique le plus important à l’Assemblée, ce qui a permis à la gauche de faire élire de nouveaux députés, les techniciens du numérique se font plutôt rares. Les socialistes peuvent compter sur Gérard Leseul, vice-président de l’OPECST, Marine Filleul, investie sur l’inclusion numérique, Hervé Saulignac, travaillant sur l’aménagement numérique des territoires, et Arthur Delaporte, cité plus haut pour son travail sur la lutte contre les dérives des influenceurs. André Chassaigne, président du groupe communiste, est engagé contre la fracture numérique. Au sein de La France insoumise (LFI), Antoine Léaument s’activera sur le vaste sujet des réseaux sociaux, Loïc Prud’homme devrait certainement s’engager contre la fracture numérique et Sophia Chikirou, qui a fait quelques interventions lors des débats sur la loi Sren et a publié un rapport en 2023 sur le développement des filières de reconditionnement dans le numérique. Quant aux écologistes, ils ne comptent aucun spécialiste du numérique.

De nouveaux profils à faire émerger

En clair, l’union des gauches dispose de quelques experts. Mais au bout du compte, aucun n’est capable de porter une vision globale de gauche sur l’immense sujet qu’est le numérique. « La gauche n’est vraiment pas prête sur les questions de politique numérique. Nous ne comptons aucun député spécialement consacré au numérique. Nous perdons une bataille culturelle », concède un conseiller du NFP. « Aucun élu n’a pu émerger durablement depuis les deux ans d’existence de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale, considère Alexandre Schon, co-animateur du groupe thématique sur le numérique à LFI. Il va falloir sérieusement s’engager dans un travail de réarmement idéologique pour porter une vision du numérique populaire et inclusive contrant le narratif de la droite et du centre au service des Gafam, et de l’extrême droite qui instrumentalise le numérique pour légitimer un souverainisme par essence raciste et réactionnaire. »

A l’extrême droite, le Rassemblement national compte toujours son technicien : Aurélien Lopez-Liguori, ancien assistant parlementaire de Jean-Lin Lacapelle, eurodéputé et conseiller numérique historique de Marine Le Pen. Le député de l’Hérault est membre de la CSNP et de l’OPECST. Il a été rapporteur pour avis sur les crédits des programmes des communications électroniques et de l’économie numérique du projet de loi de finances pour 2023 et devrait briguer une nouvelle fois la présidence du groupe d’études sur l’économie, la sécurité et la souveraineté numériques qu’il avait obtenu lors de la précédente législature. Mais c’est bien le seul l’expert de son groupe. Néanmoins, il pourrait être soutenu par Alexandre Allegret-Pilot, néo-député qui siège dans le nouveau groupe « À droite ! » d’Eric Ciotti, allié au RN. L’énarque et délégué interministériel adjoint aux restructurations d’entreprises pourrait s’investir sur les sujets numériques et soutenir les positions de Lopez-Liguori. Il faudra néanmoins que la doctrine du groupe s’éclaircisse car Eric Ciotti est connu pour adopter une ligne ultralibérale sur les sujets économiques. Loin du souverainisme revendiqué du parti mariniste, même si Lopez-Liguori s’écarte lui-même de cette ligne puisqu’il souhaite une révision des règles sur la concentration et la concurrence dans l’Union européenne pour que naisse des « Gafam » européens. La greffe entre ces deux groupes pourrait être complexe. En clair, dans cette nouvelle Assemblée, le big bang n’a pas encore eu lieu.