Chez EDF, le dialogue IT-métier à l’épreuve de l’IA et de l’automatisation IT

Florent Verrière, Group Chief Data Officer d’EDF détaille les différences entre les nouveaux projets liés à l’intelligence artificielle cher l’énergéticien, et le mouvement déjà engagé en matière d’automatisation IT. L’occasion de décrire notamment les défis pour les métiers de la finance et des RH, qui sont de plus en plus interrogés par ces dynamiques.

Comment les projets d’automatisation IT et les nouveaux usages de l’intelligence artificielle se sont-ils diffusés au sein d’EDF ces dernières années ?

Florent Verrière Group Chief Data Officer EDFJ’estime qu’il est nécessaire de distinguer les questions liées à l’automatisation en tant que telle, de celles qui renvoient plus largement à l’intelligence artificielle. En effet, l’IA permet d’appréhender différemment de nombreux sujets et pas de façon comparable à une démarche d’automatisation.

Chez EDF, certains métiers se sont orientés très tôt vers l’automatisation des processus, autrement dit en confiant certaines tâches à des robots via l’utilisation d’outils informatiques. Par exemple, sur l’équilibrage de la consommation et de la production d’électricité, des manipulations automatisées ont été mises en œuvre il y a déjà plus de 15 ans. De nombreux « petits » outils se sont multipliés en ce sens depuis, mais l’avancée majeure s’est ressentie avec l’arrivée du RPA (Robotic Process Automation) et du RDA (Robotic Desktop Automation) pour les tâches locales. Depuis trois ans environ, on note une accélération, avec une amélioration de la maturité des métiers et une meilleure compréhension de ce que ces outils peuvent réellement apporter.

Malgré tout, cette dynamique reste très inégale. Certains métiers, comme la comptabilité, comprennent vite l’intérêt d’automatiser certaines tâches et processus de fond. Ils peuvent être tentés de mener également ce que je qualifierai « d’opération coup de poing » avec du RDA, pour traiter à un moment donné de très grands volumes de données sur un sujet au périmètre limité. Mais cela ne veut pas dire que l’appétence se retrouve partout.

Ces approches de l’automatisation, très structurées, coexistent par ailleurs depuis deux ans environ avec l’utilisation d’outils low code ou no code par les métiers. Sans que cela soit complètement comparable, on constate que ces usages poussent parfois les métiers à éviter de passer spécifiquement par le RPA/RDA.

À quel point les métiers de la Finance et des RH sont-ils mobilisés sur ces questions ?

Côté DRH, la notion d’automatisation n’est pas encore très bien définie : ils ne sont pas des « early adopters ». Ils observent cela à partir d’outils qui intègrent des logiques d’automatisation, plutôt que d’avoir une approche plus large et pensée à part entière.

Côté Finance, l’automatisation n’est pas non plus au cœur des préoccupations pour leurs propres tâches de manière générale. En revanche, si l’on regarde la comptabilité spécifiquement, il y a une attente forte sur des outils de RDA.

Pourquoi cette relative difficulté à avancer sur ces sujets ?

Une des difficultés de l’automatisation d’un processus vient de la nécessité qu’il soit décrit de façon numérique. Nous avons d’excellentes définitions de processus dans une entreprise comme EDF, mais tous ne sont pas déclinés dans une version numérique. Ainsi, nous avons des plans d’urbanisme pour le système d’information, mais pas forcément des parcours utilisateurs qui s’inscrivent sur toute la chaîne dans le SI. Or, c’est bien ce qui permettrait d’avoir une approche plus globale et profonde en matière d’automatisation au niveau de chaque métier.

Une autre question qui se pose, c’est notre capacité à employer du process mining pour faire ressortir les besoins. Il est ainsi important de pouvoir identifier de la sorte des boucles inutiles de processus, mais pas seulement. Il faut pouvoir définir comment accélérer certaines étapes du processus, quand il n’est pas possible de les supprimer. Or ces procédés de « process mining » restent encore très embryonnaires ; nous n’avons pas d’outils qui nous faciliteraient le travail. Cela conduit à une situation où, quand on pose la question en interne de qui serait intéressé par l’automatisation, tout le monde répond « oui ». Mais quand il s’agit d’exprimer de façon précise les besoins, la complexité en fait abandonner plus d’un. La promesse de l’automatisation est séduisante, mais elle demande de l’investissement et du temps, et cela peut vite inquiéter les métiers.

À quelle échéance pensez-vous que ces difficultés puissent être dépassées ?

Le mouvement vers l’automatisation commence vraiment à se renforcer ; on voit un intérêt de plus en plus fort et des initiatives pour aller vers des expérimentations avancées malgré les difficultés. Il y a un effet d’entraînement. Au sein du groupe EDF, notre président a lancé quatre grands chantiers d’excellence opérationnelle, dont l’un sur le numérique. Et l’un des piliers de ce chantier numérique est d’identifier et de formaliser les processus métiers pour améliorer la continuité numérique. C’est un travail de fond lancé depuis le deuxième semestre 2023, qui permettra d’avoir un socle solide pour aller plus facilement vers l’automatisation.

Vous distinguez donc ces travaux menés sur l’automatisation de la dynamique autour de l’intelligence artificielle. N’y a-t-il pas cependant des croisements qui se sont opérés dans l’entreprise, notamment du fait de la médiatisation sur le sujet de l’IA générative ?

L’IA et surtout l’IA générative ont effectivement un peu joué le rôle du chien dans un jeu de quilles sur ces questions depuis 18 mois. Soudainement, le sujet a attiré l’attention de toutes les personnes dans l’organisation. Mais l’impact direct de l’IA générative sur l’automatisation au sens strict est assez réduit finalement : elle provoque plutôt l’idée de faire des tâches différemment. L’impact le plus important va surtout se voir dans l’aide à la conception.

En revanche, l’automatisation est venue dans le sillage des sujets liés à la data, qui ont eux aussi été remis sur le devant de la scène par l’IA. Il y a souvent un mélange qui se fait entre les deux. J’essaie d’expliquer que c’est différent : il faut certes de la data pour nourrir l’automatisation, mais ce n’est pas forcément le même sujet. Dans notre grand chantier numérique, la data est ainsi un pilier à part entière… Toutefois, nous pouvons l’utiliser pour tracter le sujet de l’automatisation d’une certaine façon.

Comment construire une architecture data-centric en lien avec le SIRH et le SI FINANCE pour résoudre les problèmes de qualité de données de ces deux filières ?

La question de l’automatisation est très liée au travail de fond du catalogage de la donnée, de la connaissance de son patrimoine… En fait, il faut être capable de mesurer la qualité de la donnée et de se dire : doit-on l’améliorer ? Bien entendu, dans l’absolu, nous rêvons tous d’avoir des données d’excellente qualité. Mais il faut garder en tête que cela demande énormément de moyens et que l’on n’est jamais 100% sûr de ce que cela va réellement apporter à l’entreprise. En effet, la qualité de la donnée est un aspect très contextuel par rapport à l’usage que l’on veut en faire. Ce n’est pas un état objectif permanent. Dans la somme des incertitudes auxquelles est confrontée une entreprise pour mener sa transformation, sait-on quel niveau de précision de données fera la différence ? C’est une question complexe mais nécessaire.

Comment cela se traduit-il pour les métiers ?

À l’échelle du groupe, nous avons lancé un groupe de travail pour tous les métiers sur leurs usages potentiels de l’IA générative, avec la volonté que chacun vienne avec des idées : cela inclut autant la Finance, les RH, que la production… Car on se rend compte qu’ils ont des problématiques qui vont souvent sur un socle commun. Typiquement : la capacité à pouvoir accéder plus facilement à de la connaissance, à des textes afin d’aider des utilisateurs au quotidien. Au-delà de ces idées générales, la difficulté est d’entrer dans le détail. C’est une phase de maturation. Sur la partie RH, ils se sont par exemple saisis de cas d’usages simples, comme la rédaction d’annonces de recrutement… Le cap de l’analyse de candidature et de CV n’est pas encore franchi ! Et d’ailleurs, sur les sujets les plus avancés, il est nécessaire d’attendre : l’IA Act va mettre un peu d’ordre dans de nombreux usages, classés potentiellement comme « IA à haut risque ». Les principes éthiques portés par la réglementation résonnent bien avec notre culture d’entreprise.

Toutefois, il faut reconnaître que l’IA générative tire clairement la réflexion des acteurs RH et Finance sur l’IA. L’intelligence artificielle était auparavant absente des réflexions de transformation de ces métiers. Ces fonctions regardent de plus en plus les modules qui sont intégrés aux outils qu’ils peuvent déjà utiliser. Pour l’instant, il y a de l’expérimentation et de la curiosité, oui. Des convictions ? Moins.

Quel dialogue mènent les équipes IT et Data face aux RH et Finance sur ce sujet ?

Le sujet du dialogue métier/numérique, c’est l’un des enjeux majeurs du chantier numérique du groupe. Ce besoin ne se limite pas à la data, l’IA ou l’automatisation. C’est un besoin global. On a créé des business process data owners, qui sont des acteurs métiers portant des enjeux vers la filière numérique. Ils vont être les alter ego des DSI métiers, côté métier. Jusqu’à présent, on avait des acteurs de la filière numérique avec une certaine connaissance des métiers, mais l’inverse était plus rare. Sur l’IA, c’était un problème très criant car cela gênait le dialogue IT-métiers. Mais en la matière, il reste tout à construire, et c’est une occasion en or de créer une « vitrine » de ce que l’on est capable de faire, en embarquant très tôt les acteurs métiers et en travaillant cette qualité de dialogue.