François Raynaud est le directeur des systèmes d’information et du numérique à la Direction Commerce d’EDF SA. Il détaille comment l’année 2020 a transformé les priorités de l’entreprise en termes de projets et de relation avec ses prestataires.
A quel point la crise sanitaire a-t-elle eu un impact sur vos priorités en tant que DSI ?
François Raynaud. Nous avons vécu plusieurs évolutions successives de trajectoire de transformation depuis le début de l’année 2020. En effet, entre janvier et février, les indicateurs étaient plutôt au vert, et nos projets étaient pensés à l’aune de ces bons résultats. Mais la situation en Chine puis en Italie a fait apparaître à partir du 15 février l’inéluctabilité du confinement ainsi que des ruptures d’approvisionnement matériels et il a fallu modifier certaines priorités. Par exemple, nous avons achevé en 2019 la bascule en « softphonie » de nos centres de relations clients (téléphone intégré en logiciel sur le poste de travail, ndlr) et environ 500 conseillers expérimentaient le télétravail avec prise d’appels à distance. Cette expérimentation devait nous servir à lever les questions organisationnelles, RH, techniques, qui se posaient autour des possibilités de télétravail pour des conseillers en centre d’appels. Or, dès mi-mars, nous avons dû nos projeter sur une généralisation à 100% de cette approche. La priorité absolue a basculé vers le remplacement de tous nos PCs fixes par des PC portables, leur installation dans des bonnes conditions de cybersécurité et le déploiement accéléré des procédures et outils de travail à distance « dans la durée ».
A partir du 15 avril, nous avons pu redonner de la priorité à la vie des projets eux-mêmes, après s’être concentré presque exclusivement sur le « run » au début du confinement. Nous avons quelques chaines « full devsecops » qui ont continué sans mal en mode automatique, mais ce n’était pas la majorité. La priorité est alors devenue de faire évoluer nos modes de travail agile à l’échelle pour prendre en compte le confinement et faire remonter en puissance les projets. Comment fait-on le PI planning de 300 personnes en digital ? Comment réinventer les modes de management en conséquence ? A partir de mai, 90% de l’activité projet était revenue… mais les priorités des métiers avaient également évolué.
Sur quels axes ?
François Raynaud. Les métiers ont mis clairement l’accent sur les enjeux de continuité d’activité et de génération accélérée de valeur pour faciliter la reprise économique de l’entreprise d’ici la fin de l’année. Les évolution à rentabilité immédiate ont été priorisées et les grands projets ou les projets à risques au vu des conditions de travail pendant le confinement ont été partiellement reportés. Tous les sujets d’upgrade et de transformation purement technique ont été mis entre parenthèse, que ce soit pour l’évolution de progiciels ou les montées de version techniques non liées à la sécurité par exemple. Cependant, dans un contexte de tension économique globale, nous nous projetons aussi sur la suite. Nous devons impérativement nous poser la question : que doit-on maintenir et que doit revoir de façon pérenne, au-delà de 2020 ?
Sur ce moyen terme, quelles sont les priorités qui ressortent ?
François Raynaud. Une rupture s’est produite sur le marché de l’énergie, en termes de consommation et de prix de l’énergie, et ses effets vont se ressentir bien au-delà de 2020. Nous nous adaptons donc logiquement à ce nouveau contexte tant au niveau de nos offres, que de l’accompagnement des clients, ou du fonctionnement interne. Cela implique une ingénierie très importante au niveau du SI. En parallèle évidemment, la digitalisation et la dématérialisation sont encouragées tant en interne que vis-à-vis de nos clients pour accélérer et faciliter le traitement de leurs demandes. Nous poursuivons aussi l’automatisation de certaines tâches répétitives sans valeur ajoutée clients/conseillers afin de permettre d’augmenter la valeur produite et de réduire les coûts récurrents.
Qu’en est-il de vos investissements cloud dans ce contexte ?
François Raynaud. Nous étions déjà dans une stratégie « cloud first » pour nos projets, plutôt que « move to cloud » de l’existant, en cherchant à nous appuyer au maximum sur nos capacités DevSecOps et à ne pas être captif d’un seul opérateur de cloud. La crise n’a pas changé profondément la donne, mais nous avons pu mener des études plus précises sur les enjeux de coûts fixes ou échus liés à nos actifs, pour évaluer là où il y avait vraiment des opportunités de gains supplémentaires… Nous sommes aussi montés en compétences en matière de FinOps avec nos collègues de la Direction de l’IT Groupe pour déterminer quels leviers il était réaliste d’activer dorénavant. Nous sommes convaincus par le cloud public et les SI hybrides multi-cloud mais aussi que nous devons être attentifs à ne pas nous recréer des problèmes à moyen terme dans le cloud public faute de maîtrise suffisante des stratégies ou politiques commerciales des grands opérateurs du domaine.
[bctt tweet= »F. Raynaud (EDF) : « Les messages que l’on fait passer aujourd’hui sont liés à l’importance du #multicloud et de la #réversibilité. » » username= »Alliancy_lemag »]Justement, quel regard portez-vous sur l’évolution des relations avec vos principaux fournisseurs en 2020 ?
François Raynaud. Le changement le plus structurant est lié au modèle d’activité de la DSI. A ce jour, nous avons environ 20% de compétences en interne pour maîtriser nos sujets clés. Mais cela signifie qu’en termes de volume de capacité à faire, nous dépendons de nos prestataires qui représentent les 80% restant. Le confinement a prouvé qu’il restait possible de travailler ainsi à distance. Nous nous adaptons donc autour de plusieurs situations opérationnelles : les prestations d’analyse pour lesquels le travail à distance ne pose vraiment pas de problème ; celles comme le monitoring qui demandent de toute façon des installations spécifiques qui ne sont pas reproductibles chez soi ; des cas où il est possible de faire du « flex » selon les phases du projet, ce qui implique de bien reséquencer celles-ci et de conforter la montée en compétence des équipes d’EDF ; et enfin de nombreux sujets sur lesquels il y avait presque des tabous sur le travail à distance, et qu’il faut remettre en question, comme sur l’administration fonctionnelle par exemple. Il va donc y avoir des réorganisations dans les modes de travail avec les prestataires. Notre nouveau plan de télétravail 2021 en tiendra compte.
[bctt tweet= »F. Raynaud (EDF) : « Après cette crise nous devons accélérer la transformation de nos #SI et méthodes pour intégrer l’évolution des modes de travail de l’entreprise et des attentes clients. » » username= »Alliancy_lemag »]Et en matière de relation commerciale ?
François Raynaud. La relation avec nos sociétés de prestations a été globalement bonne et efficace, le focus commun était la continuité de service. Les acteurs ont été dans une logique de responsabilité partagée. Malgré le déconfinement au 11 mai, la situation n’est pas encore revenue « comme avant » et le travail à distance se poursuit très largement. Nous apprenons encore au jour le jour, face à l’incertitude qui prévaut sur de nombreuses questions. En la matière, les messages que l’on fait passer aujourd’hui sont liés à l’importance du multicloud et de la réversibilité/portabilité, par exemple via containers ou microservices. Après cette crise nous sommes encore moins disposés à faire des concessions. Nous cherchons à réaliser des projets rapidement rentables, mais qui ne vont pas générer des coûts secondaires non-productifs. Pour cela, nous voulons motiver nos équipes en accélérant la prise en compte de ces nouvelles architectures et technologies (Cloud, IA…) pour passer un palier supplémentaire de savoir-faire et d’efficacité numérique. Dans une dynamique humaine et sociale, nous voulons monter des projets innovants et performants dont les gens vont être fiers. Cela dépasse les seuls aspects techniques et englobe les nouveaux modes de travail tant en interne qu’avec nos sociétés de prestations qui sont partantes dans cette dynamique.
Faut-il de nouvelles relations avec ses prestataires pour accompagner les nouvelles priorités IT des entreprises ?
Pour assurer une dynamique de reprise “humaine et sociale”, EDF veut mettre l’accent sur des projets innovants et performants qui feront la fierté des équipes. Ce qui implique d’après François Raynaud à la fois des changements technologiques, de nouveaux modes de travail en interne, mais également une adhésion et un engagement marqué des prestataires en la matière.