Mardi 15 novembre, Alliancy organisait en partenariat avec Claranet et AWS un dîner-débat sur « Comment les éditeurs français s’arment face aux Digital Natives ». L’occasion pour plusieurs éditeurs français de logiciels de revenir sur la transformation de leur business et les défis des années à venir.
L’accélération de la transition vers un modèle SaaS chez les éditeurs français de logiciels, – dont on parle depuis 15-20 ans ! – est en constante progression depuis plusieurs années. Le dernier Panorama Top 250 2022 de Numeum le confirme : « Le SaaS est désormais un modèle économique reconnu et largement adopté par les éditeurs de logiciels français puisque 45 % du chiffre d’affaires édition est réalisé par l’activité SaaS, soit une progression de 6 points par rapport à 2019. »
Tous les éditeurs présents à notre dîner le confirment : en période de crise, ce modèle démontre une forte résilience grâce à son mode de contractualisation, généralement par abonnement. Cette notion de « chiffre d’affaires récurrent » est ainsi devenue un indicateur de référence dans le secteur, notamment pour les investisseurs, en particulier en matière d’évaluation des sociétés. « Il permet aussi d’avoir une offre plus claire vis-à-vis de nos clients », indique Gilles Satgé, CEO et fondateur de Lucca, qui a fait ce choix pour son entreprise dès 2007.
Pour autant, « des difficultés persistent », rappelle Antoine Rouillard, directeur général délégué France et directeur commercial de Berger-Levrault. Passé au mode SaaS impose en effet une transformation de son modèle économique, une évolution de ses offres (car toutes ne peuvent pas y passer) et une communication accrue vis-à-vis de ses clients (pour leur montrer tout l’intérêt de cette transformation). « Pour le client, les avantages sont énormes, poursuit-il. Notamment, car nous prenons la responsabilité de ses données. »
« Nous sommes passés assez rapidement au mode SaaS via une acquisition, explique l’un des éditeurs présents. Par contre, cela a pris beaucoup de temps pour persuader notre réseau de basculer. Certains clients ne voulaient pas suivre, car le SaaS est plus cher… ». Pour pallier cette difficulté, Emmanuel Olivier, directeur général d’Esker, a fait lui le choix d’un mode hybride, pour arriver en une décennie à 97 % de son activité en mode SaaS.
Chaque modèle (SaaS, hybride ou on-premise) peut s’imposer, insiste un autre dirigeant, tout dépend des clients que l’on sert et de la nature du produit que l’on développe. Là-dessus, tous s’accordent que chaque client est un cas particulier. « Le modèle SaaS avec les gros clients peut parfois poser problème, précise Anton Bielakoff, directeur général de Lyra Network, car ils veulent souvent du personnalisé. Pour autant, il faut tenir bon car ce mode leur permet de bénéficier de solutions qui viendront des autres. Un modèle qui nous permet aussi benchmarker les clients sur l’usage réel qu’ils font de nos logiciels et de les en informer. On peut voir ainsi les points à améliorer. »
L’investissement dans le Cloud et le SaaS reste donc leur principal défi, suivi de près par une forte progression de la sécurité dans leurs priorités technologiques. Tendance à mettre en relation avec l’accroissement exponentiel du risque cyber face aux attentes des clients. Toutefois, tempère un dirigeant : « Les hyperscalers mettent de très gros moyens sur la sécurité, mais ils sont également beaucoup plus attaqués que nous… Donc, tout est relatif. »
L’international en ligne de mire
Et ce notamment si l’éditeur fait le choix de s’étendre à l’international, ce qui n’est pas encore le point fort du secteur. Le chiffre d’affaires réalisé à l’étranger des éditeurs français s’élève à 58 % en 2021 (contre 59 % dans le panorama 2020), un chiffre relativement stable depuis cinq ans, selon la dernière étude de Numeum.
Pour autant, si l’on veut devenir « global » et international, il faut se reposer sur des plateformes en mode Saas, suffisamment modulaires pour en modifier si besoin certaines briques, reconnaît un éditeur. Reste qu’une fois dans le cloud, comment se faire connaître à l’étranger ?, s’inquiète un autre. « Il faut penser global et non export, lui répond son voisin, en s’appuyant sur des réseaux locaux. Ensuite, seuls certains produits peuvent s’internationaliser. » Le chemin s’avère donc plus difficile pour les non-Digital Natives… qui souffre souvent d’une dette technique vis-à-vis de leurs fournisseurs d’infrastructures.
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La RSE (responsabilité sociétale des entreprises) devient également un sujet prioritaire pour la majorité d’entre eux qui, pour certains, affichent déjà une démarche RSE structurée, avec la mise en place d’actions très concrètes. Plusieurs ont d’ailleurs redéfinit leurs offres commerciales en proposant à leurs clients des solutions contribuant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, dont un autre avantage à ce défi s’avère l’attractivité des talents.
Des talents bien trop rares
Tous souffrent en effet de cette pénurie de profils et toute solution pour aider à les attirer est la bienvenue. « Il faut également pouvoir recruter des talents sur des technologies d’avenir si on veut continuer à innover », rappelle l’un d’eux. La difficulté face aux géants du secteur est donc un réel problème : « Aller vers les géants du cloud fait briller les yeux des développeurs… Mais, une fois formés à leurs solutions, ils partent chez eux pour un salaire multiplié par deux. »
Cette question se pose moins dans le secteur public, qui souhaite en priorité rester sur des solutions françaises. Pour ceux qui s’adressent à des secteurs plus ouverts, le coût d’entrée chez les hyperscalers se veut étonnamment très alléchant, mais les solutions proposées par la suite se veulent souvent très chères. « Il faut plus de clarté sur les coûts et sur le long terme », insistent plusieurs éditeurs, qui peinent tous à répercuter les augmentations à leurs clients, une vraie difficulté selon eux quand on cherche à les fidéliser.
« Nous avons besoin de mieux maîtriser la fluctuation des prix à long terme. Il y a trop de surprises en pagaille. » L’un d’entre eux, éditeur à capitaux familiaux, indique d’ailleurs avoir ré-internalisé l’hébergement par manque de confiance. « On ne veut plus avoir les mains liées », explique-t-il, même si cette option n’est pas toujours possible selon certains du fait de leur « dette technique ». Le Cloud Act est un réel sujet, qui interroge sur la nécessité/volonté de maîtriser ses clés de cryptage. Reste que le climat d’incertitudes dans lequel nous vivons désormais impose de repenser les business modèles et revoir les contrats, en y supprimant certaines clauses. « Un contrat est une chose, la réalité en est une autre, insiste Antoine Rouillard. Nous devons aujourd’hui passer beaucoup plus de temps à vérifier chaque point. Les équipes IT doivent être hybrides pour mieux savoir piloter nos infrastructures. »
Négocier la réversibilité semble être un impératif de choix à faire dès le départ. « Il faut être capable de changer d’hébergeur, car c’est la meilleure arme dont vous disposerez si les coûts dérapent »… La côté d’amour semble être en train de baisser, même si tous reconnaissent que l’on n’est qu’au début du mode SaaS et des offres Cloud. « Les solutions proposées ouvrent un immense champ des possibles pour nous et nos clients, qu’on n’imaginait même pas », conclut toutefois Anton Bielakoff.