Alliancy

[Edito] Cloud et réversibilité : quand Google acte le pouvoir extraterritorial de l’Union européenne

Image edito du 30 septembre 2024 V2

La conférence de presse avait été soigneusement préparée, et des personnalités clés, à l’image du député de Vendée Philippe Latombe, avaient été mises au courant quelques heures avant. Google savait en effet que l’annonce allait faire son petit effet : en déclarant mercredi 25 septembre avoir déposé plainte devant la Commission européenne contre Microsoft, la firme de Mountain View a joué un premier coup ambitieux dans une séquence qui pourrait avoir des conséquences profondes.

Au cœur de l’attaque, « les conditions de licence logicielle de Microsoft [qui] empêchent les organisations européennes de déplacer leurs charges de travail actuelles d’Azure vers des clouds concurrents ». Autrement dit, au nom de la concurrence, Google se fait l’apôtre d’un principe de liberté des choix cloud des organisations. Un parti pris qui ne manquera pas de réjouir les professionnels qui alertent depuis des années sur les risques de dépendance technologique et commerciale des technologies motorisant la transformation des entreprises. Dans un contexte où les questions de « vendor lock-in » ont animé les derniers mois, en particulier sur les questions du futur de la virtualisation, l’offensive tombe à pic.

L’annonce n’aura pas non plus manqué de faire sourire sur le paradoxe de voir Google endosser l’armure du chevalier blanc en Europe, alors que l’entreprise est elle-même sous le coup d’une importante procédure antitrust aux États-Unis. Mais plus globalement, ce choix d’attaquer Microsoft pourrait être un véritable cadeau fait à l’Union européenne.

En effet, au-delà du fond de l’affaire, qui nécessitera d’être tranchée par la suite, la situation a déjà un effet immédiat. Elle peut se résumer ainsi : un géant du numérique américain demande à la Commission européenne de sanctionner un autre géant du numérique américain concurrent, au nom d’un argumentaire profondément européen. De ce fait, Google ne donne rien d’autre à la Commission européenne que la possibilité d’acter son pouvoir extraterritorial avec la bénédiction d’un Gafam.

Si cette tendance commençait à se voir ces dernières années, au milieu des multiples bras de fer entre les champions de la tech et les instances de l’UE, elle est devenue soudainement beaucoup plus évidente la semaine passée. D’autant que la demande d’une sanction se base sur l’idée que Microsoft nuirait à la pratique concurrentielle sur le marché du cloud en empêchant la réversibilité. Dès lors, le principe de réversibilité se retrouve au centre du jeu pour devenir potentiellement le nerf de la guerre des futurs affrontements de la tech. Or, c’est justement ce principe qui est un des points clés de la loi SREN et de l’argumentaire tenu par le député Philippe Latombe, justement, autour de celle-ci. C’est donc bien une loi française qui aura ouvert la porte aux hostilités.

Il pourrait donc sortir quelque chose de positif de la guerre fratricide que se livrent les hyperscalers américains sur l’avenir du cloud. Et c’est une bonne nouvelle à prendre sur le front européen, car le ciel n’est pas au beau fixe en la matière. Des nuages sombres préoccupent en effet les spécialistes. Ainsi, la directive NIS2, qui deviendra opérante le 17 octobre prochain, n’a pas été transposée dans le droit français du fait des aléas politiques de ces derniers mois, ce qui ne permet pas d’en régler les détails et de permettre un travail serein de la CNIL. A la clé, un regain important d’incertitude pour beaucoup d’organisations.

Quant au futur schéma de certification des clouds EUCS, la France ne paraît plus en position de force pour faire accepter l’intégration de critères de souveraineté d’ici la fin de l’année. Or, leur exclusion aurait pour conséquence quasi immédiate de rendre caduc tout le travail et les investissements mené autour de SecNumCloud. A l’automne, les inconnues pour la filière cloud seront donc plus nombreuses que jamais.

Quitter la version mobile