Alliancy

[Edito] Éducation numérique : à la recherche de l’équilibre estonien

edito éducation estoniePISA n’est-il là que pour pointer les « résultats catastrophiques du système éducatif français » et la « dégringolade scolaire », comme on a pu le lire dans la presse nationale cette semaine ? À première vue, la dernière mouture du « Programme international pour le suivi des acquis des élèves » mené par l’OCDE est fort éloignée des sujets de transformations numériques. Il indique en effet une baisse généralisée des notes sur les trois axes de l’enquête : les sciences, l’écrit et les mathématiques (thème majeur de cette édition), alors que tous les pays semblent avoir particulièrement souffert des impacts scolaires de la pandémie.  

La baisse du niveau en maths et en science a de quoi inquiéter les entreprises, qui peuvent y voir un risque d’accroissement futur des pénuries de compétences spécialisées dans le numérique. Mais au-delà de cette vision utilitariste, PISA interroge aussi bel et bien notre capacité à mixer numérique et éducation. Il y a quelques mois, la Suède, membre de l’OCDE, avait d’ailleurs attiré l’attention en décidant d’arrêter l’enseignement via le numérique, alors qu’elle avait été pionnière du « tout écran ». Pourtant, à trois cents kilomètres à peine de Stockholm, un autre pays, l’Estonie, montre que l’on peut à la fois être parmi les leaders mondiaux de la transformation numérique et truster le sommet du classement PISA.  

L’Estonie, pays balte d’environ 1,3 million d’habitants, est le premier représentant européen dans le classement derrière les poids lourds asiatiques (Singapour, Japon, Corée du Sud). À l’âge de 15 ans, la différence entre les élèves estoniens et français dans les trois piliers des épreuves est presque de l’équivalent de deux années scolaires. Dans la revue de géopolitique « Le Grand Continent », Kristina Kallas, ministre estonienne de l’éducation, rappelle que l’histoire de son pays l’a toujours conduit à privilégier l’innovation face à des moyens financiers limités. Mais elle insiste aussi sur ce qui est pour elle un point déterminant pour un croisement vertueux entre numérique et éducation : « Il existe un aspect fondamental qui peut être adopté à l’échelle mondiale : l’autonomisation des écoles et des enseignants, en particulier à l’ère de l’IA et des progrès technologiques ». Selon la ministre, la concentration du pouvoir de décision au sommet est de nature à limiter une utilisation juste des ressources technologiques, en déresponsabilisant les premiers concernés : élèves et enseignants. 

L’OCDE note en effet un besoin d’équilibre dans les approches. L’organisation souligne qu’un tiers des élèves français sont distraits au quotidien par les appareils numériques, tout en pointant que l’interdiction des smartphones augmente aussi le stress des élèves. En fait, le diable est dans les détails : la sous-utilisation du numérique dans l’apprentissage nuit aux résultats… mais c’est également le cas de sa surutilisation ! Ainsi, les élèves qui passent jusqu’à une heure par jour sur des terminaux pour apprendre obtiennent de meilleurs résultats aux épreuves PISA que ceux qui n’en utilisent pas et que ceux dont l’usage dépasse une heure. Dès 2015, l’OCDE alertait d’ailleurs, à partir des résultats du volet numérique de son étude PISA de 2012, qu’il ne fallait pas être cyber-béat. Prenant l’exemple des champions scolaires asiatiques, l’organisation encourageait à une utilisation bien présente, mais parcimonieuse, des atouts numériques. 

Face à l’importance prise par le sujet en quelques années, l’OCDE entend mener prochainement une étude dédiée. L’évaluation PISA 2025 « Apprendre dans un monde numérique » mesurera « la capacité des élèves à s’engager dans un processus itératif de construction de connaissances et de résolution de problèmes à l’aide d’outils informatiques ». Elle mettra notamment en avant « l’apprentissage autorégulé ». Malheureusement, aucun pays n’a intérêt à en attendre les enseignements qui en ressortiront, car ils ne seront disponibles qu’en décembre 2027. Alors que l’enquête 2022 pointe une forte dégradation du rapport de nos sociétés à l’école, le plus sage serait sans doute de s’inspirer directement de l’équilibre trouvé par l’Estonie. Mais le massif modèle français de l’Éducation nationale, centralisé et jacobin, est-il seulement en mesure de s’inspirer de l’exemple vertueux d’un petit pays agile ? 

Cet édito est issu de notre newsletter de la semaine du 04 au 08 décembre 2023, à découvrir dès maintenant : https://alliancy.fr/newsletter/08-12-23

Et pour ne pas rater la prochaine newsletter Alliancy, inscrivez-vous : alliancy.fr/abonnement-newsletter

Quitter la version mobile