Avec près de 200 établissements de santé dans toute la France, Elsan oriente sa transformation vers l’harmonisation des SI et de la donnée. Un point de départ essentiel pour intégrer de nouvelles solutions d’intelligence artificielle que nous décrit Thomas Daubigny, Chief Data & Information Officer du groupe.
Cet entretien est issu de notre série d’interviews « What’s next, CIO ? » qui revient tout au long de l’année sur les priorités et visions d’avenir des CIO stratèges
Le secteur de la santé connaît un retard par rapport à d’autres secteurs concernant la transformation numérique. Comment tentez-vous de le combler ?
En effet, c’est un retard qui doit être rattrapé. Chez Elsan, pour y parvenir, nous avons une stratégie d’accélération avec des nombreuses directions (la direction médicale, la direction développement et partenariats, l’innovation et les RH par exemple) que nous avons bâtie autour de la donnée provenant de nos 200 centres et établissements de santé et d’une volonté de standardisation des processus. Nous voulons également moderniser les interactions avec les patients et les méthodes de travail, nous mettons ainsi en place de nouveaux programmes tout en adoptant une approche hybride qui intègre à la fois l’innovation technologique et l’humain. Notre approche hybride permet de maintenir l’importance de l’humain et des spécificités locales tout en s’appuyant sur des systèmes unifiés.
Par quels moyens passe l’harmonisation des données ?
Côté infrastructure, nous avons mis en place le programme IT’Care, qui vise à rationaliser et harmoniser les systèmes d’information (SI) des établissements de santé en France. Il s’agit de créer des modèles définissant l’état de l’art des SI pour chacun d’entre eux. Cela inclut la rationalisation des systèmes hospitaliers développés de manière empirique et l’amélioration de l’infrastructure technique.
Sur le volet organisationnel, on supporte les établissements en central pour résoudre les problèmes de gestion IT. Une organisation hybride centrale-locale est adoptée pour embarquer les nouvelles cliniques, en garantissant un haut niveau de sécurité et une gestion harmonisée. Étant donné la structure hospitalière en France, composée d’entités de tailles diverses on mutualise les expertises IT pour éviter la nécessité pour les techniciens locaux de maîtriser le sujet de bout en bout. Cela aide à se focaliser sur le local en s’appuyant sur les pôles d’expertise centralisés.
Cette harmonisation est également essentielle pour minimiser les points de faiblesse en termes de sécurité informatique. C’est essentiel car les données de santé et financières sont très prisées sur le dark web ; or les établissements de santé sont malheureusement aujourd’hui des cibles plus faciles comparées aux banques. L’hôpital étant également complètement dépendant du numérique, toute coupure des solutions digitales pourrait limiter la réception des patients, car les dossiers et l’orchestration des blocs opératoires sont informatisés.
Qu’est-ce que cette nouvelle gouvernance de la donnée va vous permettre ?
La donnée joue un rôle essentiel, notamment pour l’amélioration de ce qui est appelé l’expérience patient. Le digital permet d’accompagner le patient de bout en bout, en distillant des informations cruciales à chaque étape, pour aider aux démarches administratives et donner toutes les consignes nécessaires liées à la prise en charge. Tout cela réduit le stress. Le jour de l’intervention, un « boarding pass » limite les interactions avec le personnel administratif, offrant la possibilité au patient de se concentrer sur les aspects importants et les interactions avec le personnel soignant.
En complément, le groupe constitue un entrepôt de données de santé hospitalier d’envergure nationale, déjà autorisé par la CNIL et soutenu par France 2030 qui va agréger toutes les données d’établissements avec l’objectif à terme d’une forte création de valeur pour la recherche et l’amélioration de la qualité des soins.
Une gouvernance dédiée, suivie à haut niveau, a été mise en place pour ces projets car ils manipulent des données sensibles de santé qui nécessitent une attention particulière à la confidentialité mais aussi une haute maîtrise des flux.
Comment cette nouvelle gouvernance de la donnée vous permet-elle l’intégration de technologies d’intelligence artificielle ?
Historiquement, nous avons bien utilisé les données à des fins de performances en les agrégeant et en les nettoyant. Aujourd’hui, nous travaillons à la valorisation des données de santé également à des fins de recherche et pour l’amélioration des prises en charge.
Avec l’IA, nous avons lancé des sujets très innovants notamment en imagerie médicale où nos modèles assistent les urgentistes par exemple dans la détection de fractures.
Nous nous lançons maintenant naturellement dans l’IA générative comme suite logique. Cependant, dans la santé, on a une très faible tolérance à l’erreur. Avec l’IA générative, des erreurs peuvent encore survenir. Il y a des cas d’usage très impactants mais pas toujours encore compatibles avec les risques « d’hallucinations » de ces modèles. On a ainsi mis en place, une gouvernance centrale où on valide les nouveaux projets d’IA générative sur la santé afin de vérifier que tout soit fait dans les règles de l’art. C’est pourquoi nous utilisons cette technologie d’abord pour les fonctions supports comme la communication, le marketing, et l’analyse juridique, rendant certaines tâches plus efficaces. En support informatique, notre portail IA aide à résoudre les tickets en analysant les réponses passées et les manuels.
Concrètement, quels outils utilisez-vous pour ces nouveaux usages d’intelligence artificielle générative ?
Nous utilisons des modèles de fondation comme Mistral et ChatGPT. Pour les données d’entreprise, on utilise des techniques de recherche augmentée (RAG), où les données sont silotées et utilisées pour répondre aux requêtes spécifiques via un modèle d’IA, garantissant une réponse adaptée. L’objectif est d’enrichir les données et de créer des modèles spécifiques. Nous initialisons également sur ce sujet des collaborations avec d’autres centres hospitaliers dans le cadre de projets gouvernementaux sur les entrepôts de données de santé. Ces entrepôts contiennent des données structurées et non structurées, et l’IA peut aider à les extraire pour les mettre à disposition de la recherche.
Avec l’arrivée de ces technologies, comment voyez-vous l’évolution du rôle du DSI dans la santé ?
Le numérique et le digital ont profondément transformé notre organisation. Il est essentiel d’avoir une personne dédiée à la sensibilisation, l’anticipation et l’accompagnement des départements. Le digital, pour paraphraser Maud Bailly, c’est comme un sachet de thé, qui doit se diffuser à travers l’entreprise, en évaluant la faisabilité et les risques. Avec des avancées technologiques de plus en plus rapides, il est crucial que le DSI directeur des systèmes d’information et du digital mette en place des fondations solides de manière transverse avec les directions concernées, comprenne les nouvelles technologies tout en étant un excellent communicant pour embarquer les différents métiers. Le digital est devenu stratégique et occupe une place importante au sein des conseils d’administration, où la valeur ajoutée du DSI et du digital est scrutée. Il faut être en capacité de démontrer l’efficacité des programmes et avancer de manière pragmatique le tout basé sur les données, en suivant de nombreux indicateurs. Ainsi, chaque mois chez Elsan, nous organisons un « digital cockpit » avec le top management et les différentes directions fonctionnelles pour suivre les progrès de chacun et éviter les silos, en montrant clairement les trajectoires et les impacts des initiatives numériques.