E-mails et synthèses, chien-guide robot… l’IA peut-elle accompagner les personnes en situation de handicap ?

15 % des personnes actives reconnues handicapées sont au chômage, soit le double de la moyenne nationale. L’intelligence artificielle porte des promesses d’inclusion originales, mais celles-ci vont-elles vraiment toucher les environnements professionnels ?

Un assistant conversationnel dopé à l’intelligence artificielle qui décrypte le langage des signes en analysant les gestes et les expressions faciales de son utilisateur. Et qui donne la possibilité d’échanger avec un avatar qui répond dans le même langage… En avril 2024, IRIS, une jeune femme à la combinaison siglée est le premier signbot ou assistant conversationnel. IRIS a été développée par l’association de Sopra Steria, IBM et IVèS, le leader européen de l’accessibilité de la surdité. L’avatar en trois dimensions qui comprend et répond en langage des signes est visible dans les locaux d’IBM à Bois-Colombes.  « Au départ, c’est un projet d’innovation interne des collaborateurs de Sopra Steria pour développer l’accessibilité d’une partie de leurs collaborateurs sourds et malentendants, raconte Vincent Perrin, directeur technique IBM Ecosystème, interrogé sur la genèse du projet. « Les collaborateurs de Sopra se sont rapprochés d’IVES qui travaillait sur ces sujets d’accessibilité et ont utilisé la technologie IBM embarquée watsonX ».

6,8 millions de personnes en situation de handicap en France

Une technologie promesse d’inclusion pour les personnes sourdes et malentendantes. Complément utile des guichets physiques et chatbots en ligne, IRIS est aussi une réponse au nombre insuffisant de personnes formées au langage des signes.

Selon les chiffres de la Fondation pour l’audition, environ 7 millions de personnes en France seraient sourdes ou malentendantes et 500 000 seraient atteintes d’une forme profonde ou sévère de surdité. Selon le rapport de la DREES, « le handicap en chiffres », 6,8 millions de personnes déclarent vivre avec une limitation d’une fonction physique cognitive ou sensorielle sévère, et 3,4 millions déclarent une forte restriction d’activité.

Si l’on zoome sur l’environnement de travail, il est plus difficile à une personne en situation de handicap d’effectuer les mêmes activités que les personnes valides. En conséquence, le taux d’inactivité est plus important chez les personnes en situation de handicap. 15 % des personnes actives reconnues handicapées sont au chômage en 2021, contre 8 % dans l’ensemble de la population selon les données de la DREES.  « Pour les personnes en situation de handicap, c’est la double peine. Ils ont un parcours scolaire plus accidenté que les personnes valides, dans un pays très attaché à l’éducation scolaire, et un CV avec beaucoup plus de trous », souligne Farid Marouani, directeur national d’APF Entreprises.

L’ampleur des handicaps en France, qui devrait logiquement croître avec le vieillissement de la population offre un panel d’applications quasi-illimité à ceux qui souhaitent développer des technologies œuvrant à l’inclusivité.

Les applications, boostées à l’IA sont-elles la promesses d’une meilleure inclusion dans l’environnement de travail des personnes en situation de handicap ?

Un vaste champ d’applications

Difficile de dresser un état des lieux exhaustif des solutions disponibles sur le marché, tant la diversité des atteintes donne lieu à un vaste champ d’applications. Sous-titres et traductions en temps réel, reconnaissance faciale, solutions de reconnaissance vocale, lecture à haute voix d’emails et de SMS. Dans le domaine de la formation, les exigences sont aussi renforcées, la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » du 5 septembre 2018 introduisant l’obligation pour tous les organismes de formation de rendre leurs formations accessibles aux personnes en situation de handicap.

Le livre blanc « IA et Inclusion » produit par le collectif Impact AI en partenariat avec l’association EdTech France, référence de nombreux cas d’usages. Au nombre des enjeux : l’accessibilité incluant les difficultés de mobilité, la communication et la formation des collaborateurs en situation de handicap. Pitchboy qui rend les formations accessibles à toutes personne en situation de handicap via des immersions et des interactions vocales, ou Tralalère qui ambitionne de détecter de manière précoce les signes de la dyspraxie sont au nombre des solutions relevées par le livre blanc.

Arthur Ximenes a lancé une marketplace dédiée aux solutions utiles aux personnes en situation de handicap. Il sillonne la planète, les Etats-Unis, l’Argentine, le Brésil pour y dénicher les innovations les plus génératrices d’impact et les proposer à la vente sur son site Hefestoshop.com. Initialement focalisée sur les handicaps physiques, le fondateur ayant lui-même une invalidité, la plateforme a é été élargie à tous les types de handicap. Le fondateur présente ainsi le robot Lysa, destiné aux aveugles et mal voyants : « Lysa est un robot capable de distinguer les obstacles, dont les obstacles en hauteur par un système de caméra et d’une IA de reconnaissance d’objet. Guidé par un logiciel embarqué, le robot est pour l’instant seulement utilisable en environnement fermé. ». Les technologies référencées ambitionnent d’offrir des solutions aux collectivités locales, dans une approche « smart city » accessible à tous les publics.

Universalité des solutions

« L’intelligence artificielle peut intervenir comme moyen de compensation, confirme Cécile Perret, dirigeante d’un cabinet de conseil spécialisé dans l’accompagnement à la diversité, notamment pour l’inclusion des personnes présentant des troubles neurologiques.  « Des solutions de rédaction de mails, synthèse de réunion sont utiles par exemple pour des personnes dyslexiques qui auraient mis en place des stratégies de contournement comme l’évitement ou la triple relecture. »

Mais créer un environnement inclusif se fait en concevant des solutions adaptées au plus grand nombre et non en visant seulement des catégories. « Ce qui est bon pour certains va être valable pour tous. C’est le principe de l’accessibilité universelle, dans le domaine de la formation par exemple il faut faire comprendre aux développeurs que lors de phase de la conception, il faut prévoir en incluant tout le monde dès le départ », défend Cécile Perret. Dans le domaine de l’accessibilité, mieux vaut donc ne pas créer des solutions de niche, mais au contraire réfléchir à des innovations profitables à tous. Cela permet également d’éviter les discriminations de l’outil dans le cas où le traitement des données exclurait certains profils.

La nécessité d’une approche by design

Tous les concepteurs s’accordent sur ce point : mieux vaut privilégier une approche inclusive dès la conception, dite « by design », pour ne pas avoir à corriger une solution qui ne prend pas en compte des besoins spécifiques. Pour une solution de formation par exemple, il est préférable de concevoir une solution immédiatement accessible aux malentendants dès le départ, plutôt que d’essayer d’introduire une traduction des images par la suite.

L’IA offre donc un boulevard d’applications pour les personnes en situation de handicap. Pourquoi cela semble-t-il relever encore du domaine de la démonstration, et non de la généralisation ?

Vers la généralisation

« Il y a beaucoup d’entreprise et de collectivités intéressées par nos produits, mais le problème en général c’est le prix », souligne Arthur Ximenes. « On essaie de travailler à des solutions intégrées avec des banques pour rendre les produits abordables, sous forme de système de location par exemple ». L’IA peut être source d’inclusion, à condition que les entreprises aient envie de développer une telle solution car ça ne rapporte pas vraiment d’argent. Il faut que les géants de la tech adoptent une éthique qui réserve un certain nombre de projets aux personnes en situation de handicap », soulève Farid Marouani.

Enfin, sensibiliser aux problématiques des personnes en situation de handicap est un prérequis. « Les supports de formation sont rarement adaptés, y compris pour les formations en présentiel, car les pédagogues en charge de leur réalisation sont peu sensibilisés et formés aux problématiques des personnes ayant un handicap visuel », souligne le livre blanc IA et Inclusion.

Farid Marouani relève également la question de la formation qui va de pair avec l’utilisation de telles solutions : « L’IA se transforme en opportunité, à condition d’investir massivement dans la formation à l’IA pour que ce ne soit pas l’élite qui en reste l’unique bénéficiaire. Notre objectif, c’est une société vraiment « inclusiverselle » ».