Patron de la Camif-Matelsom, Emery Jacquillat, qui avait repris à la fois la marque et sa base client en 2008, revient pour Alliancy et le Cercle des Transformateurs, sur le challenge qu’il a mené ses dernières années pour « sauver et relancer » l’entreprise niortaise.
Pour créer un acteur français du e-commerce dans l’ameublement, rentable depuis plusieurs années, dans le sillage d’un vépéciste créé après-guerre, exsangue et laissant sur le carreau plus de 550 salariés… Emery Jacquillat a (ré)inventé toute l’organisation et le modèle économique de l’entreprise à l’heure du e-commerce, se focalisant sur la sélection de l’offre produits et le web marketing. « Un choix radical, mais indispensable », reconnaît-il d’entrée.
Pour autant, rien n’est achevé ! « Il y a dix ans il n’y avait pas de smartphone. Ce qui veut dire qu’il faut encore tout revoir ! » Et de citer la montée en force de l’intelligence artificielle qu’on ne pourra plus arrêter. « Cela nous échappe déjà et c’est passionnant pour un entrepreneur comme moi, à condition de l’utiliser intelligemment. » Mais, revenons un peu en arrière…
Dès 2009, lors du rachat, le nouveau dirigeant s’installe avec sa famille à Niort (Deux-Sèvres), et confie très rapidement toute l’informatique de l’entreprise à un prestataire spécialisé dans les plateformes Open Source à Nantes, avant d’implanter dans la foulée un centre d’appel et une plateforme logistique localement. Deux investissements majeurs, menés avec des partenaires extérieurs, pour lesquels ils obtiendront l’appui financier de la région. « Un de nos enjeux était aussi de recréer des emplois sur le bassin », rappelle-t-il.
Valoriser le « made in France »
Aujourd’hui, l’intégralité des ventes de la Camif se fait sur internet, « en misant sur la qualité des produits, une valeur reconnue de la marque, et le made in France. » La difficulté d’alors fût de « redonner confiance » aux fournisseurs, aux salariés et au territoire… « Nous avons inscrits au cœur de notre projet une étude d’impact sur nos clients, nos actionnaires, nos fournisseurs et fabricants français ».
Sur le site, les internautes – souvent des enseignants très attachés à leur pays, sa culture et sa langue – peuvent localiser les fournisseurs de l’enseigne sur une carte de France et faire le choix de l’achat écoresponsable… « Quand on donne cette information au client, il est en capacité de changer sa façon de consommer. Un service de conso’localisation qui a d’ailleurs été primé par l’Ademe en 2013, année de son lancement ».
« Quelles qualités doit avoir un bon manager ? L’ouverture me semble indispensable. Il faut également être au service de ses équipes et, après, il faut beaucoup d’audace. »
Emery Jacquillat, PDG de la Camif
Pour autant, persuadé qu’on ne va plus pouvoir continuer à consommer, ni produire de la même manière encore longtemps, le dirigeant veut aller plus loin en s’interrogeant sur le « comment on invente les nouveaux modes et produits de consommation dont le monde a vraiment besoin. »
En 2014, il lance un processus d’innovation ouverte dans lequel neuf volontaires de l’entreprise s’engagent régulièrement autour d’un budget collaboratif, menant une large réflexion sur l’entreprise ½ journée par semaine pendant trois mois. « Ils deviennent acteurs de ce que l’on va faire », insiste-t-il. Ainsi, a été initié récemment l’un des plus gros projets en cours à la Camif : la refonte totale du site internet. « L’idée est de transformer notre modèle, en passant d’un site de e-commerce classique à une plateforme collaborative au service de la consommation responsable. Demain, on pourra trouver autour de chez soi des réparateurs de produits, comme un client qui veut vendre ou acheter tel ou tel produit… », explique le dirigeant.
Le besoin de créer du lien
Un choix utopiste ? « On ne peut pas plaquer un modèle de management d’une entreprise à l’autre. Par contre, chaque entreprise doit trouver sa voie, et il est indispensable de rendre ses salariés acteurs de son entreprise, explique celui qui reconnait avoir eu à gérer quelques réticences au changement. C’est pourquoi un an après avoir tout chamboulé, en 2010, il a accueilli en résidence pendant trois mois dans ses locaux, Anne-Laure Maison, une artiste contemporaine. « Il s’agissait de vivre ensemble une expérience complètement originale pour construire une nouvelle culture d’entreprise. »
Les sols des bureaux se sont alors peu à peu couverts de bandes roses qui s’entrecroisaient, symbolisant les communications physiques entre les différents postes de travail… Elle jouera également avec les lettres du néon « Service après-vente » pour en faire ressortir le mot « rêve »… « La vraie richesse de l’entreprise est sa capacité à créer du lien, entre ses collaborateurs, avec ses clients et ses fournisseurs [au nombre de 150 en France, NDLR]… C’est la seule solution pour s’en sortir en cas de crise ! » A tel point que, depuis 2014, avec ses clients et salariés, le patron fait régulièrement et pendant cinq semaines, un « Tour de France » de ses fournisseurs… Des vidéos à découvrir en ligne dans la rubrique « Les coulisses de la fabrication française ».
L’originalité ? Ensemble, lors de ces déplacements, ils travaillent sur les produits de demain. C’est ainsi qu’est né le « Cinlou », le 1er bureau connecté fabriqué en France, devenu le best-seller du rayon Bureau de la Camif. « La bienveillance et l’exigence, deux valeurs de l’entreprise, peuvent paraître contradictoires, mais en fait elles sont essentielles. Quand on est les deux, c’est génial. »
Le numérique au service de l’humain
Reste que le numérique est au cœur de cette transformation, comme l’explique Emery Jacquillat. « Le numérique à la Camif doit être au service de l’humain, insiste-t-il. Il doit nous permettre de créer du lien, entre les salariés, avec les clients et les fournisseurs. La conso’localisation dont je parlais précédemment, c’est sur le web que tout le monde en profite. Il en est de même pour la Camif près de chez vous, un de nos services en ligne qui met en relation les clients entre eux. Vous voulez tester le canapé de votre voisin acheté à la Camif ? Cette expérience d’achat est unique et rendue possible uniquement grâce au numérique » Et ça marche ! Aujourd’hui, ils sont 300 000 clients actifs sur le site, y compris des seniors.
En parallèle, la Camif-Matelsom a opté en 2015 pour le statut B Corps, une certification destinée aux entreprises qui mettent « l’efficacité de l’entreprise privée au service de la résolution d’enjeux sociétaux ». Emery Jacquillat compte d’ailleurs cette année inscrire dans les statuts de l’entreprise « l’objet social étendu », qui concernera notamment la consommation plus responsable et la production locale. Son idée ? Que le consommateur devienne acteur en changeant le monde de l’intérieur, comme l’entreprise aussi peut être un puissant levier de transformation de la société.
Son dernier combat va dans ce sens, avec le lancement d’une pétition en ligne pour interpeller les pouvoirs publics sur l’instauration d’une TVA réduite sur les produits durables et made in France. Elle a déjà recueilli plus de 6 000 signatures. « Favoriser les produits durables éviterait le coût du recyclage, du traitement des déchets », estime ce patron pour qui tout ceci n’est qu’une question de choix politique. « On pourrait imaginer un taux à 10 % pour les produits à vertu sociale ou environnementale ; et un autre à 5,5 % pour les produits qui cumuleraient les deux… Pour faire changer les choses, il faut réduire l’écart de prix entre les produits fabriqués localement dans le respect de la planète et des hommes ; et les produits qui parfois viennent de très loin dans des conditions moyennes. En Suède, par exemple, le gouvernement a divisé par deux le taux de TVA sur la réparation. »
Cette mise en avant de ses valeurs est une façon de se différencier face à des géants comme Ikea ou Amazon… « Face à eux, on ne gagnera qu’en travaillant sur la valeur, la différenciation et notre raison d’être, qui est de développer une consommation responsable. Nous devons aussi nous mettre face aux enjeux de société ». Emery Jacquillat s’est donné encore quelques années pour contrer le premier.
Chiffres Clés
Effectif : 60 salariés
Chiffre d’affaires 2016 : 50 millions d’euros
73 % des ventes « Made in France »
2/3 de « nouveaux clients » sur la plateforme aujourd’hui.
À lire aussi sur Alliancy :
- Dossier : Industrie : En route vers le futur