La Smart Buildings Alliance (SBA), l’association regroupant des acteurs du bâtiment visant à développer le smart building de manière transverse, lance un cadre de référence à destination des maîtres d’ouvrage. Objectif : leur donner une base dans l’élaboration du cahier des charges techniques d’un bâtiment connecté. La SBA veut surtout sensibiliser ses interlocuteurs à la notion d’espaces multi-usages. Explications par son président, Emmanuel François.
Comment a émergé le concept de « bâtiment intelligent » ?
Emmanuel François. D’une manière générale, ce concept est arrivé avec Internet. L’économie a migré vers le service, conduisant à une évolution des usages. Par exemple, les constructeurs automobiles ne parlent plus de « voiture » mais de « mobilité ». Nous nous dirigeons vers une utilisation à la demande. De même, il ne sera bientôt plus question de bâtiment, mais de plateforme de services. C’est un véritable changement que nous devons opérer de manière technique, culturelle et législative.
Comment imaginez-vous ces nouveaux espaces multi-usages ?
Emmanuel François. Nous avons trop tendance à avoir une approche cloisonnée du bâtiment. Aujourd’hui, quand une école est fermée après les cours, il n’y a plus personne à l’intérieur. On pourrait imaginer que demain, l’immeuble soit dédié à l’école de 8h00 à 18h00, puis devienne autre chose, comme un espace d’exposition de 18h00 à 23h00 ou un autre lieu de formation professionnelle… Il faut imaginer une mixité des usages. Un immeuble devrait regrouper des résidences, des commerces mais aussi du tertiaire.
Qui peut être le moteur de tels changements dans l’approche ?
Emmanuel François. Certains acteurs doivent devenir moteurs de ce changement, comme les agences bancaires par exemple, qui cherchent à se convertir car elles ne sont plus adaptées aux besoins actuels. L’objectif est d’optimiser et de mutualiser les équipements comme les infrastructures. Nous passerions ainsi d’un bâtiment « centre de coût » à un lieu « centre de profit ». La combinaison du numérique et des nouvelles technologies permet cela.
L’Internet des objets joue-t-il un rôle en ce sens ?
Emmanuel François. Le bâtiment ne peut être intelligent que s’il est connecté et que ses équipements communiquent. L’Alliance EnOcean que j’anime également, rassemble des acteurs autour d’un protocole radio qui permet d’avoir des capteurs sans pile, ni fil, mettant de l’intelligence autour de chaque équipement, que ça soit une chaise ou une fenêtre. Ces éléments passifs sont ainsi rendus actifs. Nous attendons de l’IoT qu’il soit sur des standards de communication, simple à intégrer, et que le design des objets soit travaillé. L’esthétique, l’ergonomie et design fonctionnel sont des critères essentiels de différentiation !
Plus largement, comment ce « bâtiment intelligent » s’inscrit-il dans le concept de « smart city » ?
Emmanuel François. On ne peut pas penser la ville intelligente sans penser au bâtiment. Il est nécessaire d’avoir une continuité de services entre les deux. L’habitant, qui possède un smartphone ou une montre connectée, ne doit pas avoir de rupture en termes d’applications. Les opérateurs de services comme Orange doivent réfléchir à ce point. Les habitations doivent s’intégrer dans leur écosystème et répondre aux critères d’ouverture, d’interopérabilité et d’accessibilité.
La maison est, par ailleurs, le lieu où l’on vit, on passe 75 % de notre temps à l’intérieur d’un immeuble. La ville intelligente n’est que le prolongement d’un bâtiment intelligent, avec au cœur l’usager qui devient un consomm’acteur, car il est responsabilisé en raison d’une meilleure information sur l’environnement, sur l’impact de ses actions et sur son milieu quotidien, notamment sur la qualité de l’air. Si une personne est fatiguée, cela peut être en raison d’une mauvaise aération ou d’un éclairage mal adapté. Cette prise de conscience induit une évolution majeure pour le secteur : le bien-être n’est pas une valeur marchande, mais il contribue néanmoins à valoriser le bâti. Un autre trait d’union entre les deux est la mobilité.
C’est-à-dire ?
Emmanuel François. Quand on pense à la mobilité telle qu’elle est en train d’évoluer, c’est-à-dire une mobilité partagée, électrique, autonome, on s’aperçoit que ce secteur est vecteur de smart grid car l’on peut utiliser les batteries des véhicules comme des organes de stockage de l’énergie. En fonction des aléas de consommation énergétique et de la tarification, on pourra utiliser le réseau électrique standard, les énergies alternatives comme le photovoltaïque ou l’énergie stockée dans les batteries pour alimenter le bâtiment. Cette mutation ne peut se produire que s’il y a une couche de numérique intégrée.
La ville va également changer de rôle en France sous l’impact de la mobilité. Les capitales veulent supprimer la voiture de leur centre, dans 20 ans – voire moins – on aura un tout autre paysage. On ne se déplacera plus pour un oui ou un non, mais on ira vers des espaces de vie où les services se rapprocheront de l’usager. Cela va conduire à un rééquilibrage dans l’organisation des territoires entre le rural, le périurbain et l’urbain.
Qu’est-ce qui freine actuellement le développement des bâtiments que vous décrivez ?
Emmanuel François. Toutes les technologies nécessaires existent. Ce qu’il faut, c’est une prise de conscience et un encouragement politique pour accélérer cette transition. Cela ne veut pas dire une incitation financière mais une incitation législative. Car actuellement, les contraintes sont plus réglementaires que techniques.
Pour accompagner cette mutation, nous avons élaboré de manière multi filière Ready2Services, un cadre de références destiné à devenir un label en fin d’année. L’objectif est de certifier des produits respectant des critères – comme la sécurité, l’interopérabilité et l’ouverture – afin d’assurer aux utilisateurs que leur investissement ne sera pas caduque dans trois ans. Nous ne sommes pas là pour promouvoir un produit, mais une méthodologie. Nous travaillons également sur Ready2Grids, en faveur de l’intégration des buildings dans les smart grid pour une énergie intelligente.
Quelle position occupe la France dans ces domaines ?
Emmanuel François. Aujourd’hui, on parle beaucoup de « smart city », mais il faut savoir par où commencer. En général, l’énergie est le premier secteur choisi car 45 % de la consommation énergétique globale est due aux bâtiments. Nous sommes dans une phase où des démonstrateurs sont mis en place, sans vision globale. C’est pourtant un enjeu majeur. Si on ne le fait pas, ce sont des acteurs comme les Gafa qui s’empareront de la question et, pour eux, investir 100 millions d’euros dans une ville, ce n’est rien ! L’actualité le prouve : Toronto est devenu le terrain de jeu de Google*.
* : Google se lance dans la création d’un éco-quartier connecté à Toronto, sur les bords du lac Ontario. Le projet s’inscrit dans la requalification d’une friche industrielle. Il a été confié à la filiale Sidewalk Labs, qui fera de Quayside un quartier géré par la donnée. Le fondateur de Microsoft, Bill Gates, projette également de construire une ville intelligente dans le désert de l’Arizona. Cette nouvelle ville, Belmont, serait implantée à proximité de l’autoroute en construction, reliant le Nevada à Mexico.
Le gouvernement engagé pour la rénovation énergétique des bâtiments
Le ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard, et son homologue de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, ont annoncé vendredi 24 novembre un plan de rénovation énergétique des bâtiments dans l’objectif d’agir en faveur de la transition énergétique. Le rapport rappelle qu’au niveau national, le secteur du bâtiment représente près de 45 % de la consommation d’énergie et 25 % des émissions de gaz à effet de serre. Parmi les mesures annoncées figurent la rénovation de 500 000 logements par an sur cinq ans ou le renouvellement du diagnostic de performance énergétique (DPE) à la fin de 2018 pour le rendre plus fiable. L’État compte également rénover un quart de son parc immobilier pour « faire des bâtiments publics des bâtiments exemplaires ». Le financement de ces projets s’appuiera entre autres sur le Grand Plan d’investissement (à hauteur de 14 milliards d’euros), sur des prêts de la Caisse des dépôts (de 3 milliards d’euros) et sur des dispositifs incitatifs.
>> Cet article fait partie du dossier » Smart Building / Smart Home : le tout-connecté en toute sécurité «