Un article de la série « Ecosystèmes & Plateformes : Quelles stratégies d’APIsation ? » réalisé en partenariat avec .
Emmanuel Méthivier est innovation & digital transformation Catalyst pour la France au sein d’Axway. Fort de sa longue expérience dans le secteur bancaire, il partage son analyse des défis actuels des entreprises françaises en termes d’ouverture à leurs écosystèmes. Son analyse est claire : l’APIsation en tant que telle n’amène pas une transformation business pour les entreprises, contrairement à l’open APIsation, qui implique cependant de sortir du seul monde de la DSI.
Quelle maturité percevez-vous dans les entreprises françaises vis-à-vis d’éventuelles stratégies de plateformisation et d’ouverture ?
Emmanuel Méthivier. La maturité est très contrastée. D’un côté, le discours sur le changement de modèle global des entreprises est très présent dans le microcosme de la « tech ». Cela est porté par une poignée de spécialistes, des « gourous de la transformation » qui maitrisent bien des sujets comme la plateformisation, l’IA ou encore la blockchain et leurs conséquences sur notre économie. De l’autre côté, les directions générales françaises ont clairement moins cette appétence. Leur background est généralement beaucoup moins digital et technologique. Or, il ne faut pas oublier que ce ne sont pas les gourous qui tiennent les rênes pour embarquer l’entreprise dans la transformation.
Est-ce que cela vous parait être une spécificité française par rapport à d’autres pays ?
Emmanuel Méthivier. Moins que géographique, la dichotomie est sociétale, avec des types de dirigeants qui ne voient pas l’avenir du monde de la même manière. Ainsi, beaucoup de décideurs ont encore une vision très conservatrice de l’activité des entreprises et voient le client comme un bien qu’il faut capter et protéger contre toute influence extérieure, de bout en bout dans un parcours très fermé. Parler d’ouverture, de partage de la donnée et de services en écosystème va à l’encontre de cette vision. En face, on a vu apparaître de plus en plus de « hackers » des business models traditionnels, poussés par une vision de transformation fondamentale… Avec des modèles d’entreprises qui se permettent de perdre beaucoup d’argent à l’origine, pour des promesses de rentabilité et de domination, des années plus tard, comme l’a montré Amazon.
Quelle place prend l’APIsation du système d’information dans ces orientations stratégiques ?
Les DSI, CTO et leurs homologues métiers parviennent-ils aujourd’hui à vraiment dialoguer autour du sujet ?
Emmanuel Méthivier. La situation est encore compliquée. On voit trop souvent les DSI seuls à la manœuvre… Leur engagement sur le sujet est une condition nécessaire mais pas suffisante. Leur vision amène l’entreprise au milieu du gué, et il est souvent très compliqué de raccrocher les wagons avec les métiers une fois que la DSI s’est lancée et a avancé seule, souvent sur l’APIsation et non pas sur l’Open-APIsation. Les opportunités de cette dernière n’apparaissent que pour des organisations qui mobilisent tout le monde : lignes métiers, marketing, commerciaux, DSI…
« Les opportunités de l’open APIsation ne sont prises en main que par des organisations qui mobilisent tout le monde : lignes métiers, marketing, commerciaux, DSI… »
Quels vous semblent être les principaux facteurs bloquants à dépasser ?
Emmanuel Méthivier. Quand on observe la réussite industrielle des GAFA, on se rend compte que le point de départ est une vision globale de l’entreprise « en rupture » avec les partis-pris et les indicateurs traditionnels. Ces entreprises ont donné les manettes à des véritables « hackers », qu’ils s’appellent Jeff Bezos, Elon Musk, Sergey Brin ou Larry Page. En France, nous avons encore trop souvent de purs gestionnaires à la tête des organisations. Ils ne peuvent provoquer le changement. Dans de nombreux plans stratégiques, des mots comme « open » ou « plateformisation » n’apparaissent encore pas de tout. Nous avons pourtant quelques exemples inspirants : Xavier Niel avec Free, Fred Potter quand il a lancé Netatmo… Et dans un tout autre genre, Carlos Tavarès, qui a véritablement « hacké » Renault avec sa vision autour de concepts comme l’Alpine, avant même de prendre la tête de PSA.
A lire aussi : Les stratégies d’ouverture d’entreprise décryptées lors d’un dîner-débat
À quels changements peut-on s’attendre en 2020 ?
Emmanuel Méthivier. D’un point de vue technologique, deux sujets seront à regarder de près : la blockchain dépasse une période de désillusion avec l’arrivée de projets bien pensés qui se multiplient. Ils formalisent enfin le déport du rôle du tiers de confiance dans le digital. À l’inverse, l’intelligence artificielle retourne une nouvelle fois dans cette période de désillusion, car trop souvent les entreprises ont misé sur des projets simplistes, qui n’apportent pas beaucoup de valeur. Depuis deux ans, « l’IA washing » a fait beaucoup de mal… et des résultats comme les robot-advisors actuels sont loin de ce que les entreprises pouvaient espérer au départ. Tous ces facteurs font que 2020 va être une année de transition plutôt que de bouleversement. Il y a des signes qui vont dans le bon sens, comme la volonté de l’Etat français d’être sur un modèle de government as a platform qui dépasse l’open data pour aller vers l’open API. Mais cela va prendre du temps. Les meilleurs exemples de réussites seront sans doute à aller chercher dans le monde de la logistique, pour lequel les opportunités se multiplient. À l’opposé, le secteur bancaire va devoir se débloquer après être passé à côté d’un véritable open banking, avec la DSP2. On verra toutefois des opportunités de concentration d’entreprises naître autour de grandes plateformes de banking, mais celles-ci seront-elles françaises ? Encore une fois, ce seront sans doute les acteurs les moins traditionnels qui feront bouger les lignes !
Le rôle d’un éditeur de logiciel dans la transformation
Les enjeux de l’Open-APIsation dépassent de loin les seules considérations techniques. Cette considération stratégique interroge naturellement la posture des « partenaires du numérique » qui accompagnent les entreprises dans leurs transformations, et en particulier celle d’un éditeur de logiciel français comme Axway, spécialiste des API. « L’open APIsation est vraiment le cœur du réacteur des transformations en cours, mais elle nécessite d’ouvrir des systèmes legacy et surtout de préparer les solutions de gouvernance qui permettront de tenir compte de cette évolution. Il y a quelques années, ces enjeux de gouvernance étaient beaucoup moins présents… Aujourd’hui, nous avons dû prendre le sujet en main et se positionner plus clairement dans cet accompagnement stratégique et cette démarche de conseil multifactorielle… On sort alors de l’édition de logiciels au sens strict » explique Emmanuel Méthivier. Bien sûr, des spécificités techniques, notamment en termes de sécurité, différencient encore les offres entre les acteurs, mais pour le Catalyst d’Axway, ce n’est plus suffisant : « Au-delà de la qualité des produits, nous devons accompagner les entreprises à se forger une vision du monde différente, à travers leur ouverture sur leurs écosystèmes ».
Un article de la série « Ecosystèmes & Plateformes : Quelles stratégies d’APIsation ? » réalisé en partenariat avec .