Notre chroniqueur Imed Boughzala poursuit son analyse globale de ce que représente « l’intelligence digitale » moderne, en se concentrant sur une grande oubliée : la notion d’empathie, vue comme une compétence à part entière pour l’avenir.
L’empathie digitale fait partie des 24 compétences de l’intelligence digitale. Elle se situe à la croisée de la cinquième dimension (parmi les 8) de l’intelligence émotionnelle digitale et du premier objectif sociétal de la citoyenneté numérique selon le standard IEEE Std 3527.1™-2020[1] :
L’empathie numérique ou digitale (i.e. Digital empathy en anglais) est l’application des principes fondamentaux de l’empathie, compassion, cognition et émotion dans les conceptions techniques visant à améliorer l’expérience utilisateur (entre l’humain et la machine). Selon Friesem (2016), l’empathie numérique est la capacité cognitive et émotionnelle d’être réfléchi et socialement responsable tout en utilisant stratégiquement les médias numériques.
L’empathie numérique trouve ses racines dans l’empathie, un comportement humain expliqué par les neuroscientifiques cognitifs et comportementaux comme « une construction à multiples facettes utilisée pour rendre compte de la capacité de partager et de comprendre les pensées et les sentiments des autres ».
Empathie et communication sont donc liées. L’utilisation de la technologie a transformé les interactions humaines en conversations numériques où les personnes ont maintenant la possibilité de partager instantanément des pensées/idées, des sentiments et des comportements via des canaux numériques en quelques secondes. La recherche a montré que l’abandon de la communication directe (en personne) a entraîné un déclin des compétences socio-émotionnelles des jeunes et suggère que les générations élevées avec les technologies (internet, mobile…) deviennent moins empathiques.
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Dans le manuel de recherche sur l’éducation aux médias à l’ère numérique, Friesem (2016) développe davantage ce concept en déclarant que « l’empathie numérique explore la capacité d’analyser et d’évaluer l’état interne d’autrui (précision de l’empathie), d’avoir un sentiment d’identité et d’agentivité (auto-empathie), de reconnaître, de comprendre et de prédire les pensées et les émotions des autres (empathie cognitive), de ressentir ce que les autres ressentent (empathie affective), jouer des rôles (empathie imaginative) et faire preuve de compassion envers les autres (préoccupation empathique) via les médias numériques. Cette empathie devrait s’étendre à l’avenir à la relation humain-machine avec l’introduction des robots dans la vie quotidienne dans les situations de coévolution (assistance des robots aux humains dans les tâches ménagères ou le transport … et participation professionnelle des robots aux métiers et aux chaines des valeurs) pour dépasser les sentiments d’appréhension, de méfiance, de panique, de peur, etc.
L’Empathie numérique dans le secteur de la santé
Les nouvelles technologies de communication en santé et la télésanté montrent la nécessité pour les médecins de reconnaître et de s’adapter à la désinhibition en ligne et à l’absence d’indices non verbaux. Le laboratoire d’expérience de l’Université des Highlands et des Îles a réalisé une étude sur l’empathie dans les consultations par vidéoconférence avec des patients diabétiques. Il a constaté que de nombreux facteurs influent sur le niveau d’empathie perçue dans une consultation par vidéoconférence, y compris la clarté de la communication verbale, le choix des voies de soins, ainsi que la préparation et l’accès à l’information avant la consultation. Terry et Cain[2] suggèrent que, pour que les médecins puissent communiquer efficacement l’empathie par le biais d’interactions à médiation numérique, il faut leur enseigner l’empathie traditionnelle de manière plus générale.
Enseigner par et pour l’empathie
Dans le domaine de l’éducation, les chercheurs se préoccupent souvent de la façon d’utiliser les technologies numériques pour apprendre l’empathie et l’enseigner aux élèves lorsqu’ils utilisent des plateformes numériques. Dans « Empathy for the Digital Age », Friesem (2016) a constaté que l’empathie peut être inculquée aux jeunes grâce à la production vidéo. La majorité des étudiants ont développé des niveaux plus élevés d’empathie après avoir écrit, produit, créé et projeté leurs vidéos dans un projet conçu pour favoriser l’empathie. Dans leurs recherches, Friesem et Greene (2020)[3] ont utilisé l’empathie numérique pour promouvoir les compétences en éducation numérique et médiatique des jeunes en famille d’accueil. La pratique de l’empathie cognitive, émotionnelle et sociale par le biais des médias numériques a été efficace pour soutenir non seulement les compétences académiques des jeunes en famille d’accueil, mais aussi leur bien-être, leur sentiment d’appartenance et leurs compétences en éducation aux médias. En tant que pratique importante de l’acculturation numérique (digital literacy) et de l’éducation aux médias, l’empathie numérique est une expérience inclusive et collaborative à mesure que les élèves apprennent à produire leurs propres médias.
Par exemple à l’Institut Mines-Télécom Business School et plus largement dans les écoles de l’Institut Mines-Télécom, pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), tous les élèves sont sensibilisés à ce fléau à travers le déploiement de sessions en réalité virtuelle – via une solution Reverto – une manière de mobiliser leur empathie numérique afin d’augmenter l’impact du message sur eux par la mise en situation du point de vue de la victime.
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[1] IEEE Standard for Digital Intelligence (DQ)—Framework for Digital Literacy, Skills, and Readiness, approuvé le 24 septembre 2020 et publié le 13 janvier 2021.
[2] Terry C, Cain J (May 2016). « The Emerging Issue of Digital Empathy ». American Journal of Pharmaceutical Education. 80 (4): 58. doi:10.5688/ajpe80458
[3] Friesem, Y., & Greene, K. (2020). Tuned in: The importance of peer feedback with foster youth creating media. Reflective Practice, 0(0), 1–13. https://doi.org/10.1080/14623943.2020.1798919