Le rapport, publié la semaine dernière par l’Institut Montaigne, fait beaucoup parler de lui, en raison de quelques propositions audacieuses pour augmenter le niveau d’emploi des plus de 55 ans. En voici un résumé et une interview de Franck Morel, son auteur.
Indeed confirme le problème en direct ! Hasard du calendrier, une étude Indeed réalisée par OpinionWay parue ce mardi annonce que « les recruteurs hésitent à embaucher des seniors, principalement par crainte de problèmes de santé et de fatigue liés à l’âge. » Ce frein est pointé par 46 % des recruteurs. Suivi ensuite par les attentes en matière de rémunération (34%) et la difficulté d’appropriation des outils numériques (32%).
L’état de santé déclinant des seniors semble exister surtout dans l’esprit des employeurs : « Si l’on considère les chiffres communiqués dans le cadre du baromètre Absentéisme de Malakoff Humanis, rétrospective 2016-2022, l’absentéisme maladie se traduit par une surreprésentation des jeunes (18-34 ans), constante depuis 2016 (46% en 2022 vs 42% pour l’ensemble). Et il se traduit également par une sous-représentation constante des plus de 50 ans (34 % en 2022) », notent les auteurs de l’étude Indeed.
Parmi les autres chiffres à retenir : un salarié sur quatre s’est déjà vu reprocher d’être trop âgé pour le poste visé, lors de recrutements passés. Plus d’un quart des dirigeants d’entreprise reconnaissent que face à des CV équivalents, ils privilégient le candidat le plus jeune. Et bien qu’appréciés de leurs collègues (71% des salariés aimeraient que leur entreprise recrute davantage de seniors), les seniors suscitent un intérêt un peu moins marqué de la part des recruteurs. 60% des dirigeants d’entreprise souhaiteraient recruter un senior dans les prochains mois.
Les 7 propositions prioritaires de l’Institut Montaigne
L’ensemble des 16 propositions formulées dans le rapport forment « un plan cohérent », il est donc indispensable selon l’auteur de les activer toutes. A commencer par 7 d’entre elles, classées comme prioritaires (dont vous trouverez le détail dans le rapport) :
1. Créer un contrat d’embauche pour les seniors (CS) de 55 ans et plus
L’explication => Les seniors sont plus confrontés à l’emploi à durée limitée que le reste de la population, notamment les 60-64 ans, puisque 90 % d’entre eux sont employés en CDD contre 85 % pour les 45-49 ans. Il est proposé de substituer à l’actuel CDD senior un contrat unique, comme un contrat d’embauche pour les seniors (CS) de plus de 55 ans. Ouvert à l’embauche en CDD, CTT jusqu’à 5 ans renouvelable une fois, CDI ou CDI intérimaire avec pour seul motif de recours « l’emploi des seniors », l’embauche en CS serait associée à une aide spécifique versée à l’employeur sur le modèle de celle du contrat de professionnalisation senior (2 000€ pour l’embauche d’un plus de 45 ans).
2. Moduler le taux des cotisations sociales patronales en fonction de l’âge du salarié
L’explication => En France, le coût du travail induit par les cotisations sociales ne tient pas compte de l’âge des salariés, alors que les chances d’accès à l’emploi sont très différentes en fonction de l’âge. A contrario, en Suède, le taux de cotisations diminue avec l’âge et les cotisations de retraite professionnelle sont supprimées à partir de 65 ans dans beaucoup d’accords collectifs. Ainsi, il est proposé d’instaurer une modulation des cotisations patronales en courbe de Gauss afin de favoriser, aux deux extrémités, les salariés dont les taux d’emploi sont les plus faibles. Concrètement, les salariés entre 30 et 55 ans, dont les taux d’emploi sont les plus élevés, pourraient voir le taux des charges sociales patronales qui leur sont appliquées augmenter quand les moins de 30 ans et les seniors verraient le taux des charges sociales diminuer.
3. Supprimer progressivement les « préretraites Unedic »
L’explication => Les demandeurs d’emploi bénéficient, à partir de 55 ans, d’une durée maximale d’indemnisation de 36 mois. Cette indemnisation peut être prolongée au-delà de 36 mois suivant une règle particulière de maintien d’indemnisation (mécanisme des « préretraites Unédic »). Il est proposé dans l’esprit de la future réforme de l’assurance chômage qui permet de prendre en considération les fluctuations de la conjoncture du marché du travail pour moduler les règles relatives à l’indemnisation, de supprimer progressivement ce qui s’apparente au dernier système de préretraites financé sur fonds public, à mesure que le taux d’emploi des seniors progressera.
4. Créer des conventions de fins de carrière pour favoriser des aménagements conventionnels de fin de carrière.
L’explication => À l’instar des branches professionnelles comme le BTP qui permettent aux seniors, sur une base conventionnelle, de réduire leur temps de travail en contrepartie d’une réduction de leur rémunération et du versement d’une indemnité conventionnelle de licenciement, encourager la signature de conventions de fin de carrière semble être un outil efficace, susceptible de répondre tant aux aspirations des salariés qu’à celles des entreprises. Après signature de cet aménagement conventionnel, la cotisation retraite de l’employé continuerait d’être basée sur l’emploi précédent à temps plein.
5. Instaurer un droit à recourir à un aménagement du temps de travail à temps partiel de manière choisie et aménagée pour les personnes en fin de carrière
L’explication => Pour rester dans l’emploi, les seniors, notamment les cadres, sont prêts à faire plus de concessions sur leur temps de travail et leur rémunération. Le travail à temps partiel est plus répandu chez les seniors (22,9 % chez les 55-64 ans) que chez l’ensemble des actifs (18,7 %) et souvent de manière plus volontaire (63 %) que subit.
Si le code du travail prévoit déjà de nombreuses facilités d’accès au temps partiel, il est proposé d’expérimenter le déploiement pour les salariés de plus de 55 ans d’un droit à recourir à un aménagement du temps de travail à temps partiel, flexible et progressif.
6. Déplafonner le CPF pour les actifs de 50 ans et plus, à hauteur d’un abondement effectué notamment par l’employeur
L’explication => Les seniors ont moins recours à la formation continue que les travailleurs plus jeunes. En effet, selon la Dares, en 2021, 50 % des salariés de plus de de 50 ans ont participé à une formation pour raisons professionnelles contre 62 % des moins de 50 ans. Il est proposé, particulièrement pour encourager les reconversions professionnelles dont le coût de formation peut être important, d’envisager un déplafonnement du CPF pour les 55 ans et plus.
7. Instaurer rapidement un index d’emploi des seniors sur le modèle de l’index égalité homme-femme.
L’explication => L’instauration d’un index en matière d’égalité entre les femmes et les hommes au sein de l’entreprise a permis de réaliser des progrès certains. Il est donc proposé d’instaurer un index d’emploi des seniors, comme le préconisent l’association nationale des directeurs de ressources humaines (ANDRH) ou le rapport parlementaire des députés Didier Martin et Stéphane Viry.
Interview
Franck Morel est avocat associé chez Flichy Grangé Avocats. Ancien conseiller du Premier ministre Édouard Philippe de 2017 à 2020, il a également travaillé avec quatre ministres du travail de 2007 à 2012. En 2016, il a publié chez Fayard Un autre droit du travail est possible (avec Bertrand Martinot) et en 2021 Durée et aménagement du temps de travail (Revue fiduciaire, 11e édition).
Alliancy. En juin dernier, nous évoquions les difficultés des seniors face à l’emploi, y compris dans notre filière numérique où les postes sont pourtant essentiellement intellectuels (pas d’efforts physiques). Comment avez-vous intégré à vos propositions le sujet de la pénibilité ?
Franck Morel. Notre proposition n°7 consiste à favoriser les échanges entre médecin du travail et médecin traitant, en particulier concernant les seniors, via des mesures d’accès croisés à des informations et de financements d’actions complémentaires. Il conviendrait aussi de cadrer la politique de prévention au plan interprofessionnel.
Une visite médicale du travail spécifique est désormais obligatoire à partir de 45 ans : profitons-en. Certaines entreprises comme AXA financent également des check-up complets de leurs collaborateurs avec des médecins de ville.
Mais attention, je le répète : si l’on veut être efficace, il ne faut occulter aucun des leviers. Il ne suffira pas de piocher cette proposition n°7 en oubliant les autres. Dans les plans précédents, on a préféré mettre l’accent sur tel ou tel levier : formation, coût du travail, types de contrat…. Le musée des leviers qui ont échoué est bien fourni ! Il est temps d’adopter une approche globale.
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Alliancy. Quelle idée formulée par vos pairs écartez-vous avec énergie ?
Je plaide pour le cumul emploi-retraite : j’écarte donc avec énergie tout ce ce qui va aboutir à un retrait précoce du marché du travail ! Nous avons réussi à supprimer les pré-retraites aidées, qui étaient une véritable catastrophe nationale. J’y vois une sorte de morphine sociale : on achetait la paix sociale au prix fort. C’est un combat de tous les jours pour ne pas les voir revenir « par la fenêtre ». Je souhaite et je recommande que les Français puissent rester en activité le plus longtemps possible. Je propose d’ailleurs dans le rapport de supprimer la mise en retraite d’office à 70 ans. C’est une mesure qui est très loin d’être consensuelle, mais qui enverrait un signal fort.
Alliancy. Les seniors sont les « grands absents » des start-up, avec seulement 7,7% de salariés de plus de 45 ans et 2,4% de plus de 55 ans. Quelle réaction cela vous inspire-t-il ?
Je n’ai pas envie de pointer du doigt un secteur plutôt qu’un autre. Mais parmi mes propositions, celle qui porte sur la modulation des cotisations sociales patronales en fonction de l’âge du salarié (une idée jamais formulée jusqu’alors) peut bien sûr intéresser les start-uppers. Même chose pour la proposition liée aux conventions de fin de carrière, déjà formulée dans le rapport Bellon, mais seulement au niveau des accords de branche : pour ma part, je la place au niveau des accords d’entreprise.
Alliancy. Quelles surprises vous a réservé ce travail d’enquête ?
J’ai souhaité mettre l’accent sur la placardisation, sujet jamais abordé jusqu’alors. Je voulais briser ce tabou dans mon rapport. J’ai chiffré le phénomène de placardisation à 200 000 personnes, pour un coût de 10 milliards d’euros. Je pensais que les seniors seraient majoritairement concernés. Or, j’y ai retrouvé toutes les classes d’âge… C’est une vraie surprise !