Notre chroniqueur Imed Boughzala détaille l’évolution récentes des technologies collaboratives et éducatives et s’interroge sur le potentiel du metavers pour l’éducation.
Depuis ces dernières années, le monde de l’enseignement supérieur ne cesse de se transformer en profondeur dans un environnement plus que concurrentiel. La crise de la Covid n’a fait qu’accélérer ce mouvement de transition éducative. Désormais le recours aux technologies éducatives et collaboratives se généralise facilitant l’émergence de nouvelles modalités d’apprentissage comme les classes inversées, l’auto-apprentissage par les Mooc ou les jeux sérieux. L’évaluation des connaissances et de certification des compétences ont également changé.
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Les technologies collaboratives et éducatives d’aujourd’hui (plateformes comme Teams, Zoom, BBB…LMS – Learning Management System- comme Blackboard, Moodle…) n’ont vraiment pas « évolué » depuis leurs débuts dans les années 1990. Elles fonctionnent toujours avec les mêmes défauts liés à l’ergonomie des interfaces, à la montée en charge, au manque de convivialité… Les mondes virtuels ou métavers devraient offrir beaucoup d’autres possibilités se rapprochant du monde réel. Dans un futur proche, ils susciteront le sentiment de co-présence avec d’autres dans des espaces de coworking, offriront la possibilité de manipuler des objets à plusieurs, la simulation et la mise en situation, pour plus d’engagement de la part des apprenants en évitant la paresse sociale (i.e. social loafing). Ces univers 3D commencent à se démocratiser dans le monde l’enseignement supérieur pour offrir une meilleure expérience apprenant, plus inclusive et plus engageante.
Le chemin parcouru depuis Second Life
Ces derniers ne datent pas en effet d’aujourd’hui. IMT Atlantique, une école de l’Institut Mines-Télécom, a été à notre connaissance la première école d’ingénieurs en France à avoir ouvert un campus virtuel sur Second Life, inauguré en 2007. Il se voulait être un véritable lieu d’échange pour les futurs candidats, les élèves, les enseignants-chercheurs et les entreprises. Les lauréats du concours d’entrée pouvaient visiter le campus, s’entretenir avec les professeurs et les apprenants, et obtenir des informations avant de s’inscrire. L’accès en 3D à des bâtiments dédiés à l’enseignement (amphi, salles de cours/TP) mais aussi à la recherche (laboratoires) leur permettait de reconnaitre les lieux, de consulter les travaux des chercheurs et des thésards de l’école, ou de télécharger des documents. Les élèves pouvaient être amenés à développer des activités propres sur le campus comme l’organisation de soirées, de rencontres sportives… Le campus permettait d’accueillir des cours à la fois en formations initiale et continue.
La même année, l’Insead a ouvert son campus sur Second Life avec le premier executive MBA dans le monde 100% virtuel pour être la première école de commerce dans le monde à proposer un métavers.
Professeur invité en 2008 à l’université de l’Arkansas dans le Sam M. Walton College of Business, j’ai eu la chance de mener ma propre expérience dans le domaine des métavers. En effet, j’ai pu imaginer, à travers la mise en place d’un campus sur Second Life et de ses avatars, avec le concours de l’école d’ingénieur en informatique de cette université, un jeu sérieux pour enseigner les systèmes d’information. Lorsque cette université a été fermée pour cause de grippe aviaire en 2009, son campus a pu rejoindre les étudiants directement chez eux. De cette expérience et à travers mes recherches menées dans le domaine, j’ai pu retenir différents constats qu’il faudrait prendre en compte avant la mise en place d’un métavers dans l’enseignement supérieur :
- L’effet Wow est souvent la première impression des apprenants lorsqu’ils découvrent cet univers avant de le voir s’essouffler si le contenu et la dynamique ne sont pas à la hauteur pour provoquer un effet inverse (ennui, lassitude, démotivation…). Ensuite, il revient à l’équipe pédagogique de garder l’intérêt et l’engagement des apprenants dans le temps d’un cours à l’autre. A noter qu’il se pourrait que le contenu ne soit pas adapté à ce dispositif tout au long de l’enseignement d’une matière ou pour une matière parmi d’autres.
- La formation des enseignants est essentielle pour qu’ils soient à l’aise dans ce genre de monde virtuel et attirer l’attention des apprenants. Enseigner dans le réel n’est pas forcément la même chose que dans le virtuel. En effet, le charisme physique laisse souvent place au charisme virtuel (mouvement, gestuel…)
- La charte d’usage: sans un cadre précis et prescrit à l’avance pour les apprenants, il se pourrait que les choses se compliquent rapidement pour les enseignants et qu’ils éprouvent des difficultés à maintenir la discipline lors d’un cours (retard, prise de parole, travail en groupe, bavardage…) si on ne garde pas une partie des codes du monde réel.
- L’intégration des modalités pédagogiques : faire appel à différentes modalités pour animer une séance de cours peut être difficile en faisant appel à des connaissances techniques avancées (intégration d’un outil de vote en ligne, utilisation d’un tableau blanc partagé, débriefing en sous-groupes ou brainstorming…)
- Le besoin d’assistance pédagogique et ou technique d’une tierce personne pourrait s’avérer essentiel pour dérouler confortablement son cours dans de bonnes conditions (émarger les présences, partager un support de cours, collecter les commentaires des apprenants par écrit, faire un sondage, présenter une vidéo pendant le cours…).
- La limite technique: à ne pas négliger. Plusieurs problèmes peuvent émerger pendant l’utilisation (saturation du réseau et plantage de la plateforme, incompatibilité du matériel (écouteurs, lunettes, casques 3D), résolution de la carte graphique, montée en charge, connectivité…).
- Un dispositif parmi d’autres: un métavers n’est ni un gadget ni un objet ordinaire. C’est une alternative pour compléter les autres dispositifs présentiel, distanciel et comodal. Très difficile d’imaginer le recours à 100% au métavers pour une formation entière. L’EMBA de l’Insead a été abandonné justement pour cette raison. Les apprenants souhaitaient avant tout, des rencontres présentielles entre eux et avec les enseignants pour leur réseautage.
Même si les mondes virtuels proposés aujourd’hui, pour soutenir l’enseignement supérieur restent basiques, pour ne pas dire encore enfantins, comparés aux jeux vidéo en ligne de type MMORPG (Massively Multiplayer Online Role Playing Games) ou sur PS auxquels jouent les jeunes de nos jours (World of Warcraft, Blizzard Entertainment, Guild Wars 2, NCSoft… Battlefield 2042, Call of Duty Vanguard, Forza Horizon 5 ou New world), ils n’en demeurent pas moins une technologie à suivre qui va se nourrir progressivement des technologies émergentes (IA, Blockchain, NFT, réalité étendue…). Ils représentent sans doute une opportunité de dépasser les limites géographiques et temporelles pour mieux inclure et engager les apprenants de demain et ainsi capter des profils encore plus variés et éloignés des études. En termes de décors et de personnages, ces mondes seraient enrichis à l’avenir grâce à une représentation plus conforme des avatars (à l’image et au physique des personnes), par le choix de lieux de rencontre plus réalistes, par l’enrichissement des avancées de la réalité étendue (i.e. la virtualité augmentée), par la simulation d’ambiances sonores (bruits de fond, musiques douces, chants d’oiseaux…) et d’odeurs…. – plusieurs exemples de plateformes à suivre : https://spatial.io ou encore https://adaptika.tech/