Grâce à l’IA, aux données et aux objets connectés, Lectra souhaite faire entrer l’industrie dans une nouvelle ère. Une ère 4.0 dans laquelle l’entreprise investit massivement pour accompagner la transformation de ses clients. Reportage.
Dans l’expérience center, plusieurs machines de découpe sont présentées. Sur l’une des « cutting rooms », un rouleau de textile défile. Par-dessus, un bras automatisé se déplace et découpe des formes dans le tissu. Au bout du tapis roulant, un écran affiche une modélisation des formes découpées, et un membre de Lectra récupère des manches ou des longueurs de jambes qui pourraient constituer de futurs pantalons. La précision est telle qu’entre certaines pièces, il ne reste aucun déchet.
L’entreprise, basée à Cestas (Gironde), est devenue une référence de la découpe de vêtements dans l’industrie de la mode. Une pièce sur deux dans le monde serait découpée sur l’une de leurs machines. Dans l’automobile, ce sont 60 % des textiles destinés aux sièges. En pleine transformation, Lectra fait de l’industrie 4.0 une de ses priorités. « On veut devenir un des pionniers de l’industrie 4.0 sur nos trois secteurs stratégiques d’ici 2030 », ambitionne Daniel Harari, directeur général de l’entreprise, en évoquant les industries de la mode, de l’automobile et du mobilier.
Tout pour l’industrie 4.0
Cette nouvelle ère de l’industrie laisse une large place à l’automatisation des processus basés sur la data, l’intelligence artificielle et les IoT (Internet des objets). Ces solutions offrent des possibilités d’interconnexion de la chaîne de production, notamment dans le secteur des vêtements, où jusqu’à neuf intermédiaires peuvent intervenir. « L’industrie 4.0 peut permettre de tout faire fonctionner ensemble », indique François Gonnot, vice-président Product Marketing, en ajoutant : « Elle permet de promouvoir la collaboration entre différents domaines, l’agilité et la traçabilité ».
À lire aussi : Chez Lectra, une réinvention autour du SaaS et de la data pour assurer le futur de l’industrie
Mais cette interconnexion des différents acteurs autour du produit permet également de transformer la place de la demande du client final. « Elle permet de connecter les besoins des clients avec la manière dont le produit est façonné en amont », explique Maximilien Abadie, Chief Strategy Officer de l’entreprise. Selon lui, l’industrie devrait s’orienter vers une vision « pull » de la chaîne pour s’approcher le plus possible des souhaits des clients.
Une ère dans laquelle tous les acteurs ne sont pas encore engagés. Maximilien Abadie indique cinq phases permettant de s’orienter vers l’industrie 4.0 : la digitalisation des processus, la connectivité des systèmes, la visibilité par l’analyse de la data, la transparence, l’anticipation et l’adaptabilité grâce à l’IA. Il confesse que « nos clients n’en sont qu’entre la connectivité et l’anticipation ». Il estime néanmoins que, dans le milieu de l’automobile, très en pointe sur l’automatisation des processus, la transformation est plus avancée que dans la « fashion ».
Une transformation vers l’édition de SaaS
Pour accompagner le virage pris par ses clients, Lectra a également transformé son entreprise. L’année 2023 a marqué ce tournant. Alors que sept ans plus tôt, Lectra ne réalisait aucun revenu lié à la vente de SaaS (Software as a Service), ceux-ci ont représenté l’an passé la majorité du chiffre d’affaires, dépassant ainsi l’activité historique de vente de machines de découpe, pour atteindre 85 millions d’euros. « C’est une transformation qui s’étale sur plusieurs années pour affirmer notre ambition d’être une entreprise engagée dans l’industrie 4.0″, répond Thierry Caye, CTO de l’entreprise. Le directeur général Daniel Harari espère, lui, atteindre 200 millions d’euros en 2030, notamment grâce au lancement de Valia Fashion, nouveau fleuron de la flotte logicielle de Lectra.
« Il va devenir le point central de notre offre dans l’industrie », assure Nicolas Favreau, directeur du Product Marketing. Cette plateforme basée sur le cloud permet de connecter l’ensemble des équipements industriels, c’est-à-dire les « cutting rooms » présentes sur la chaîne de production des vêtements. « Nous pensons que cela va profondément changer l’industrie de la mode », poursuit-il, en rapprochant les intermédiaires. Selon lui, certaines marques ne connaissent même pas les intermédiaires travaillant sur leurs vêtements.
Cette situation ralentissait jusqu’à présent les possibilités d’amélioration et d’optimisation. Mais Nicolas Favreau estime qu’avec cette nouvelle solution, pilier de la stratégie 4.0 de Lectra, cela prendra fin. « Nous pouvons désormais connecter les marques aux designers de produits jusqu’à l’opérateur », explique-t-il. Ainsi, les besoins des marques seront mieux connus, et les quantités produites seront plus proches des quantités finales nécessaires, réduisant ainsi les invendus.
Le défi de la data dans l’industrie
Pour réaliser cette interconnexion des acteurs et superviser une chaîne entière de production, la data est essentielle. « Nos clients en sont conscients, ils sont tous dans la data », assure Daniel Harari. Toutefois, leur défi actuel réside dans la localisation de cette data, parfois éparpillée et non structurée au sein des entreprises. « On parle de dizaines de millions de données », poursuit-il, qu’il s’agisse des matières, des produits, des tailles ou des couleurs. « La priorité est de rechercher ces données », ajoute Mathieu Bonenfant, vice-président Product Marketing.
Mais dès qu’une gouvernance des données est mise en place au sein des industriels, l’intelligence artificielle peut intervenir à tous les niveaux. « Nous pouvons l’intégrer dans tous les processus et débloquer de nouvelles possibilités », indique Nicolas Favreau, qui estime qu’elle peut changer la donne, notamment au sein de Valia Fashion. Cette solution n’est pas nouvelle pour Lectra, comme le souligne Daniel Harari : « L’IA est présente chez Lectra depuis le début et se retrouve aujourd’hui dans tous les systèmes ».
Des investissements internes et externes
Cependant, l’entreprise souhaite accélérer sur ce sujet, notamment par une stratégie d’acquisitions ou de partenariats. Après l’achat de son principal concurrent, Gerber Technology, en 2020, elle a acquis plusieurs solutions basées sur l’intelligence artificielle. C’est notamment le cas de partenariats avec Six Atomic pour la conception via l’IA générative et avec AQC, spécialiste du contrôle qualité basé sur l’IA, ainsi qu’avec Retviews.
« Grâce à cette IA, nous pouvons analyser tous les sites, classer les produits et déterminer s’il s’agit de robes ou de chaussures », explique Mathieu Griziaux, directeur Business Development Fashion. En effet, en important la photo d’un produit, le client voit s’afficher l’ensemble des produits similaires disponibles sur des milliers de sites. Il peut sélectionner les marques souhaitées pour connaître les prix et les tailles disponibles. L’intelligence artificielle permet également de connaître l’historique du prix du produit. « Nous travaillons sur des informations en temps réel », indique Mathieu Griziaux.
Mais Lectra ne mise pas uniquement sur des solutions externes issues de start-up. Elle s’appuie aussi sur une équipe de R&D de près de 700 personnes, dont 100 sont dédiées au développement de solutions numériques. « Nous avons la capacité d’apporter des innovations que le client n’imagine même pas encore », promet Maximilien Abadie, Chief Strategy Officer de l’entreprise. Pour tenir cette promesse, Lectra investit près de 60 millions d’euros dans la recherche, un chiffre stable entre 2022 et 2023, malgré une baisse du chiffre d’affaires liée à une activité moins intense de l’industrie de la mode l’an passé.