À l’occasion de la nouvelle rencontre « What’s Next CIO ? », organisée par Alliancy le mercredi 3 avril à la Maison de la Recherche de Paris, plusieurs DSI ont évoqué leur récente arrivée au sein de leur comité exécutif respectif. Une position stratégique qui nécessite de la pédagogie pour embarquer les dirigeants vers des transformations stratégiques.
7 milliards d’euros. Voici le budget IT de BNP Paribas. Pourtant, ce n’est que depuis quelques années que Bernard Gavgani, Global Chief Information Officer de l’entreprise, n’intervient plus comme simple invité régulier aux réunions du Comex mais bien comme membre à part entière. La crise de la COVID-19 a agi comme un déclencheur. « Les dirigeants ont réalisé que l’informatique était un pilier du savoir-faire et levier de création de valeur pour les activités commerciales », indique-t-il, alors que sa direction a réussi l’exploit de connecter, à l’époque, près de 175 000 personnes en moins de deux mois, à travers 65 pays. Pour autant, la banque française est loin d’être la seule à avoir revu l’implication du CIO au plus haut niveau.
« S’il ne met pas le digital au centre des intentions, le Comex fait une grave erreur », lance Pascal Martinez, Directeur des Systèmes d’information et du digital d’AG2R La Mondiale. C’est avec une place de choix au Comex et le projet ambitieux de combler le retard de l’entreprise sur le plan numérique que le DSI a rejoint le groupe mutualiste, après avoir été frustré par la posture sur le sujet de son précédent employeur, Covéa. Mais face à des directeurs métiers à la culture numérique inégale, être membre du Comex n’est pas pour autant une baguette magique. Il faut adapter la posture et le discours. « On doit être pédagogue », juge Pascal Martinez, malgré ce qu’il estime être une bonne compréhension IT de ses collègues. Et cette pédagogie ne concerne pas seulement les impératifs numériques du quotidien, l’un des clés pour entrer véritablement dans la dynamique du comex est de développer la vision stratégique de long terme en lien avec les systèmes d’information. « Le CIO doit savoir communiquer pour expliquer sa trajectoire à 10 ans. Sinon en négligeant cet aspect, on court le risque de faire échouer des projets ».
Ce rôle de pédagogue que doit jouer le DSI demande un travail de vulgarisation, parfois complexe pour les ingénieurs qui composent majoritairement les directions du numérique. « On parle parfois notre propre langage », confesse Bernard Gavgani. « Face à des “commerçants”, il faut communiquer avec des mots qu’ils comprennent », poursuit le DSI Groupe de BNP Paribas, dont la direction compte près de 47 000 personnes à travers le monde. Ce dernier s’estime chanceux de trouver, chez les dirigeants, un intérêt pour les sujets liés au numérique. « L’informatique est présente depuis des décennies dans les banques et joue un rôle essentiel pour le fonctionnement de notre industrie », assure-t-il. Pour autant, il est nécessaire d’amener les sujets avec subtilité. « Il ne faut pas être au centre de la discussion. Cela nécessite de trouver le bon équilibre », estime Bernard Gavgani pour qui le coeur des échanges, c’est avant tout le business, le numérique n’apparaissant dès lors qu’en filigrane.
La cybersécurité, un moyen de « mettre tout le monde d’accord »
« On discute souvent de digital au Comex », témoigne pour sa part Frédéric Tran Kiem, CTIO du groupe RATP. Selon lui, le niveau de connaissance n’est effectivement pas homogène parmi ses collègues. Mais il y voit un avantage : « Personne ne vient m’apprendre mon métier. Je dois m’assurer qu’ils saisissent les notions importantes sur des sujets qui les intéressent ». Autrement dit, la pédagogie passe par le fait d’identifier les bons sujets et les bonnes questions sur lesquels mettre l’accent.
En revanche, sur le thème de la cybersécurité, la curiosité et l’appétence des métiers est clairement moindre souligne le CTIO. En la matière, celui-ci estime qu’une technique de communication plus radicale est nécessaire pour faire bouger les lignes : « On leur a fait peur en vulgarisant, avec un vocabulaire proche des métiers, les conséquences qu’une attaque pourrait avoir ». L’idée : montrer ce que d’autres activités similaires ont dû subir et comment l’activité de chacun est très concrètement menacée en l’absence de numérique.
Cette approche a été similaire au sein du groupe hospitalier Elsan. « La cybersécurité a mis tout le monde d’accord », rebondit le DSI Groupe, Thomas Daubigny. « Sauver l’entreprise face à des attaquants qu’on maîtrise mal change la donne par rapport aux enjeux habituels liés aux métiers ». Lors de son arrivée au sein du Comex, voilà deux ans, le DSI s’est dit aider par le soutien des actionnaires de l’entreprise, qui poussaient clairement l’organisation à se réinventer avec le numérique. De quoi aider à faire passer les messages plus difficiles.
La confiance se construit lentement et se perd vite
Ce parrainage de haut niveau est un facilitateur majeur dans l’expérience des DSI réunis pour parler des dynamiques d’influence au sein des Comex. A minima, c’est l’alignement et l’intimité avec le directeur général lui-même qui change tout. Au sein d’AG2R-La Mondiale, Pascal Martinez se réjouit ainsi d’avoir été contacté et recrutement directement par le DG avec une lettre de mission claire et ambitieuse, de quoi construire dès le départ la légitimité nécessaire pour convaincre.
Y-a-t-il des moments de vérité qui permettent à un DSI de construire cette qualité d’interaction et de confiance ? « Nous sommes challengés tous les jours », reconnait Bernard Gavgani de BNP Paribas. Cela implique, selon lui, de ne pas faire d’erreur d’appréciation, car « la confiance se construit progressivement, mais peut se perdre très rapidement ». Au sein du groupe Elsan, Thomas Daubigny, s’accroche également à la confiance que lui font les membres du Comex. « Elle est hyper importante. Il faut minimiser les erreurs », abonde-t-il. Pour ce faire, il estime également que le discours de vérité doit régner, même lorsqu’il existe des problèmes liés au numérique. « L’important est de montrer qu’on a un plan d’action », explique-t-il, en appelant à évoquer les problèmes en amont des sessions de Comex elles-mêmes, pour ne pas créer des tensions lors des interactions au plus haut niveau. Ce discours de vérité lui semble d’autant plus important alors que la santé compte du retard en matière de numérique, par rapport à de nombreux autres secteurs. Une situation qui l’a poussé à assumer une position discrète lors de ses premiers mois de présence au sein du Comex, jusqu’à ce qu’il ait des réussites claires à partager pour lancer la machine de la confiance.