A plus d’un titre l’année 2022 donnera le ton des changements à venir dans notre société. Evidemment, c’est une année électorale majeure pour définir l’avenir de notre pays, mais c’est aussi l’une des dernières chances pour obtenir des résultats concrets en matière de lutte contre le réchauffement climatique, après les constats plus que décevants sur les efforts de la dernière décennie et les résultats de la COP26.
Quant à la situation géopolitique et sociale, les enjeux sont à l’avenant. Et dans beaucoup de ces équations, le numérique tient aujourd’hui une place de premier plan : que ce soit en tant que solution ou en tant que source de problèmes. C’est pourquoi Alliancy a sondé sa communauté sur les décisions à mettre en œuvre le plus urgemment possible, par l’Etat, les entreprises, les collectivités ou même les individus… afin d’assumer collectivement une posture responsable pour les temps à venir.
Quel programme présidentiel pour un numérique responsable ?
Aux participants à notre Grande Soirée Alliancy du 8 décembre, nous avons demandé « Quelles actions devrions-nous mettre en œuvre dès 2022, pour tous contribuer à un numérique plus responsable ? ». Mais nous avons également voulu aller plus loin et avons interrogé plusieurs dirigeants en leur demandant de prendre position : « Si vous étiez élu président de la République en 2022, que feriez-vous pour rendre le numérique plus responsable ? ». Ils avaient carte blanche pour nous faire une proposition qui puisse être concrètement mise en œuvre l’an prochain. Et la variété des sujets abordés n’a pas déçu.
Ainsi, Stéphane Gervais, vice-président exécutif en charge de l’innovation stratégique du groupe Lacroix, équipementier spécialiste de l’IoT industriel, nous dit que sa priorité est la création d’un « label « société numérique responsable » qui [serait] donné via la signature d’une charte nationale du numérique responsable (signée par le PDG et le DSI). Cette charte aura vocation de devenir la charte européenne du numérique responsable. Et elle serait accompagnée par une formation 100% en ligne (et obligatoire) pour les employés en lien avec le numérique et à renouveler tous les 2 ans ». Et d’ajouter : « Et si la société ne respecte pas la charte, elle sera mise sur la liste des sociétés en numérique irresponsable ! ». Une dose d’obligation et une autre de « name and shame » pour passer des beaux discours aux actes ?
Réduire la consommation, réparer, recycler.
Anne-Tessier-Chênebeau, directrice Europe de Fabulous, qui édite une application pour améliorer le quotidien professionnel des collaborateurs par l’économie comportementale, estime essentiel pour sa part de mener des actions fortes sur la réduction de l’empreinte environnementale. Elle propose un « programme présidentiel » qui met au premier rang l’objectif de réduire « l’empreinte CO2 du numérique dès la conception des programmes numériques. Les entreprises qui suivront cet objectif de baisse bénéficieront d’une réduction d’impôts […] et développer une communication digitale frugale et une responsabilisation individuelle pour consommer du digital en conscience.
Pour cela, nous lancerons un programme avec l’éducation nationale ». Elle insiste également que le verbe « réduire », doit aller avec « réutiliser », en développant la filière industrielle du reconditionné, « réparer » en généralisant l’indice de réparabilité à tous les équipements, et « recycler » en lançant une filière française de recyclage des métaux rares. La dirigeante estime par ailleurs nécessaire d’oser créer « une filière R&D industrielle de nouvelle génération d’extraction de métaux rares disponibles dans l’espace et notamment l’exploration minière d’astéroïdes […] lancée avec nos alliés européens pour aller plus vite et coordonner nos efforts. » Un dernier point qui ne manquera pas en soit de nourrir les débats sur l’impact de la croissance de nos besoins en matière de composants électroniques.
Christian Cor, co-fondateur de l’éditeur Saaswedo, résume quoiqu’il en soit : « Concernant le numérique, chaque entreprise devrait mettre en place un politique de gestion des équipements (responsable de 80% de l’empreinte carbone du numérique) et les outils de mesure qui vont avec ». Pour combien est-ce déjà le cas ? Une minorité.
Imposer l’interopérabilité et l’accessibilité des services numériques
De manière générale, la question de la transparence sur l’impact environnemental des organisations et de la réparabilité de leur produit se retrouve dans de nombreuses propositions. A l’image des quatre points prioritaires soulignés par Arnaud Rayrole, directeur général du cabinet de conseil Leko : « J’imposerais aux services en ligne une obligation d’information de leurs utilisateurs des émissions CO2 liées à leurs usages, suivant une méthode normalisée.
Je demanderais aux fabricants d’équipements numériques d’assurer la réparabilité et le bon fonctionnement des logiciels installés durant 5 ans minimum afin de réduire les renouvellements de matériels. [Ensuite] j’imposerais l’interopérabilité des services en ligne afin de soutenir l’innovation et permettre l’émergence de services alternatifs plus sobres, proposant des usages plus raisonnés et apportant une nouvelle efficacité. [Enfin] je demanderais aux entreprises de valoriser financièrement les émissions carbones de leur projet pour en estimer le juste coût et ainsi favoriser les approches les plus durables. »
La communauté d’Alliancy n’a cependant pas oublié les enjeux sociaux liés à la croissance numérique. Romain Dausset, directeur associé de l’ESN engagée Warren Walter et co-fondateur de PimpMyApp, se concentre sur son combat : « Pour un numérique plus responsable, ma première mesure concrète concernera l’accessibilité numérique, il n’est pas acceptable que des sites internet ou applications mobiles ne soient toujours pas accessibles à toute une partie de nos concitoyens en situation de handicap, je modifierai les amendes appliquées aujourd’hui en passant d’un montant forfaitaire (qui est anodin pour les très grandes entreprises) à un pourcentage du chiffre d’affaires de ces entreprises.
J’instituerai également des mesures incitatives comme un système de primes pour aider à financer des audits d’accessibilité des projets numériques pour les TPE/PME, ou comme un crédit d’impôt accessibilité numérique afin de valoriser les projets, initiatives et investissements sur ce sujet. »
Sur la même longueur d’onde, Chloé Hermary, fondatrice d’Ada Tech School met en avant la dimension méthodologique qui permet de faire la différence sur les sujets d’inclusion : « Si j’étais élue présidente en 2022, je miserais sur l’égalité hommes-femmes dans le milieu de la Tech en plaçant l’inclusion au cœur des formations. Une action que nous essayons de mener à bien avec Ada Tech School, depuis sa création en 2019. Grâce à une pédagogie alternative inspirée de la méthode Montessori, cela nous permet de nous attaquer aux biais culturels de l’informatique tout en construisant une méthode de travail accessible et bienveillante pour toutes et tous, et ainsi accroître la représentation des femmes dans le monde du numérique. »
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Que ce soit avec un prisme environnemental ou social, l’idée que ce n’est pas parce que l’on est capable technique de faire quelque chose qu’il est raisonnable de le faire, a fait son chemin. Le principe de l’innovation responsable est ainsi mis en avant par plusieurs dirigeants. Par exemple, Stéphane Dehoche, président d’Imagino, spécialiste des customer data plateforms, estime important l’interdiction pure et simple des transactions en bitcoin et autres crypto monnaies. « A l’heure où le bitcoin est admiré pour ses performances financières, craint pour le financement des activités illégales qu’il permet, honni pour son empreinte carbone gigantesque, il est temps que notre société se positionne quant à son avenir en France et en Europe.
La liberté d’une monnaie qui n’est liée à aucun état va malheureusement de pair avec l’absence de responsabilité et de prise d’engagement, que ce soit vis-à-vis du financement du terrorisme ou de la consommation considérable de ressources informatiques et électriques qui accélère le réchauffement planétaire. Cette créature nous a échappé ! […] ». Il précise toutefois : « A l’inverse, la technologie blockchain mérite d’être développée pour beaucoup d’autres usages qui apportent un confort et une sécurité au plus grand nombre. »
Des actions urgentes à mener à l’échelle européenne mais aussi individuelle
De nombreuses personnes qui ont répondu à notre question nous on fait remarquer que pour avoir un réel impact, les mesures proposées devaient être mis en œuvre au niveau européen et que la coopération de la France et de ses alliées autour d’un « programme commun » était plus que jamais nécessaire pour réussir à court terme. Philippe Notton, président-fondateur de SiPearl, start-up franco-allemande experte de la conception de microprocesseurs, va plus loin : « Je m’attacherais avant tout à développer la souveraineté numérique de l’Europe en favorisant par tous les moyens l’utilisation préférentielle de technologies, d’équipements et de services européens. Nous serions ainsi à même de lutter contre les dérives consécutives à la mainmise des géants mondiaux que nous subissons actuellement. ».
Cette dimension géopolitique, aux nombreuses répercussions peut donner l’impression que l’ensemble de ces combats se passent très loin du quotidien des collaborateurs dans les entreprises. C’est loin d’être le cas, nous ont rappelé plusieurs participants : « Début d’année 2022, c’est le moment idéal pour prendre de bonnes résolutions et changer nos habitudes. Supprimer autant que possible les échanges de documents dans les courriels et pousser l’usage de la Digital Workplace en partageant les liens des documents.
D’autres actions peuvent être mises en place rapidement : offrir une seconde vie aux équipements en les donnant aux associations, déployer les solutions de dématérialisation et si ce n’est pas encore fait et partager entre pairs pour échanger régulièrement sur les bonnes pratique éco-responsable » encourage Aline Bourdin, directrice des systèmes d’information de Vinci Construction pour l’Europe et l’Afrique. Et maîtriser son usage personnel, et l’origine des services que nous utilisons jour après jour, doit devenir un réflexe ; car la demande crée l’offre autant que l’inverse. Un défi accessible, à condition d’avoir les outils culturels et intellectuels pour s’en emparer.
Sur le sujet, Yannick Morel, qui s’occupe des partenariats de formation pour l’initiative engagée Latitudes.cc met en avant l’enjeu du quotidien d’une sensibilisation aux enjeux du numérique engagé et responsable [dès le] parcours d’onboarding ». Une pratique expérimentée dans certaine entreprise et pour laquelle il existe des retours d’expériences.
Et vous, quelles mesures opérationnelles estimez-vous que la France doive mettre en place cette année pour être vraiment responsable de l’impact de son numérique ? Nos dossiers à venir sur la confiance, la responsabilité environnementale et l’enjeu social de l’inclusion nous permettront de détailler ces propositions. Et dès mai 2022, les résultats de l’élection présidentielle connus, nous analyserons comment ces enjeux sont intégrés dans la stratégie numérique de la France et de son nouveau président de la République.