L’industriel Eramet a choisi de développer en priorité ses projets Data au niveau de son cœur d’activité que sont l’usine et la mine. Sa méthodologie projet et ses réalisations présentées par son Chief Data Officer, Jean-Loup Loyer.
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Digital et Data partagent en effet un même objectif consistant à améliorer la performance de l’entreprise. Et en matière de projets, la priorité va au cœur d’activité d’Eramet, quand les organisations tendent à initier la démarche de transformation sur les fonctions support.
La Data pour la Mine 4.0, l’Usine 4.0 et la Logistique 4.0
Comme le détaillait lors du dernier salon Big Data son Chief Data & Analytics Officer, Jean-Loup Loyer, les initiatives de l’entreprise sur la Data portent sur trois axes principaux :
- Connecter la géologie à l’économie.
- Optimiser les procédés métallurgiques grâce à l’intelligence artificielle.
- Assurer la traçabilité et la qualité des produits.
Sur ses sites miniers, Eramet collecte un nombre croissant de données, et notamment des images capturées par des drones. Cette collecte permet de créer des jumeaux numériques, régulièrement mis à jour, des mines. Pour améliorer l’exploitation de ces données, l’industriel cherche d’ailleurs à recruter des spécialistes de la Computer Vision.
« Nous avons de nombreux cas d’usage en Computer Vision. Ils vont exploser l’année prochaine », confiait Jean-Loup Loyer à Alliancy, citant par exemple des applications dans le domaine de la sécurité prédictive. « Les données sont très nombreuses, mais nous manquons de personnes pour les analyser », poursuivait-il.
Outre des experts de la vision par ordinateur, le pôle Data d’Eramet ou Data Fonderie, rattaché à la direction de la transformation numérique, prévoit de recruter des profils en gouvernance des données.
« Sans données de qualité, les meilleurs algorithmes sont inutiles », rappelle à juste titre le CDO. Néanmoins, cela n’a pas empêché l’équipe Data (une trentaine de personnes en interne) de déployer plusieurs algorithmes à destination des métiers industriels, et aussi d’accélérer la mise en production.
Former des Data métallurgistes et automatiser
Au total, plus de 100 projets sont actuellement en portefeuille, en « back log ». Pour les concrétiser, la Data Foundry dispose d’un budget annuel de plusieurs millions d’euros. Une enveloppe suffisante pour faire aboutir des projets « généralement pas trop chers » ni « trop risqués. »
Mais si le risque est jugé modéré, le ROI est en revanche qualifié de significatif au bout de « quelques mois à 3 ans maximum. » Un des premiers projets d’Eramet débutait ainsi trois ans plus tôt. Son but est de transformer le métier de métallurgiste pour faire de ces professionnels des « data métallurgistes ».
« Nous mettons des pratiques de design, de culture financière et de la data au cœur de leur métier », explique Jean-Loup Loyer, avec pour finalité d’accroître fortement l’automatisation. Les travaux menés depuis 3 ans le traduisent parfaitement. Ils portent sur une usine norvégienne du groupe et ont pour but d’optimiser la production de silicomanganèse.
Cet alliage utilisé en affinage pour la production d’acier mobilise donc du manganèse et une source de silice, soit de la silice pure, très chère, soit un dérivé, moins onéreux. Idéalement, pour baisser les coûts de production, il est donc essentiel de recourir le plus possible au dérivé. Mais cet usage n’est possible que « lorsque le process est optimal ».
Un produit Data a été développé après plus d’un an sur le site norvégien, qui compte trois fours. L’extension au 3e four était en cours de finalisation lors de notre entretien avec le CDO d’Eramet. Et pour chacune des étapes, les délais de déploiement ont été raccourcis, descendant à 3 mois pour le 2e four, puis enfin 2 pour le dernier.
« Ce que nous souhaitons à présent, c’est déployer sur les 9 fours restants, mais sur d’autres sites avec des productions totalement différentes. En Nouvelle-Calédonie, par exemple, il s’agit de nickel. Le déploiement sera facilité puisque la base technique reste la même. Par ailleurs, nous sommes rodés sur un certain nombre de technologies », explique Jean-Loup Loyer.
Ingestion de données dans le cloud Azure
Avec des productions et des fours différents, il n’est cependant pas possible de simplement étendre le déploiement. Des ajustements sont nécessaires à chaque fois. Le socle technique est inchangé en revanche. Le projet repose ainsi sur l’ingestion de données de multiples bases de données des systèmes industriels.
Eramet est mono-cloud et toutes les données sont donc injectées dans Azure Data Factory. Le service cloud est complété, pour la partie algorithmes de machine learning notamment, par la plateforme Databricks. Les résultats sont ensuite restitués sous forme d’une interface graphique encapsulée dans une webapp. La connexion s’effectue grâce à l’identifiant Active Directory.
La produit Data conçu par la Fonderie prend la forme d’un tableau de bord agrégeant des milliers de variables. Il est accessible en salle de contrôle pour être exploité en temps réel par les métallurgistes. L’IA permet de catégorisé le processus industriel et de proposer des recommandations d’actions. Du prescriptif par conséquent.
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Il revient ensuite aux métallurgistes d’appliquer la recommandation ou de l’annoter afin de contribuer à l’amélioration d’algorithmes auto-apprenants. La fourniture d’un tableau de bord intégré aux outils de production ne suffit pas à transformer cependant. « Faire un produit, c’est très bien, mais encore faut-il l’insérer au cœur des routines des métallurgistes. C’est là qu’intervient la partie transformation numérique », insiste le directeur de la Data.
Le tableau blanc classique est remplacé par une interface agrégeant l’ensemble des données de référence. La direction Data, qui compte des relais en local en plus de l’équipe centrale à Paris, apporte également de la formation à la data science. La finalité est de permettre aux métallurgistes de comprendre les algorithmes et d’être autonomes de leur analyse des données.
Du monitoring pour suivre l’usage et la performance
Un projet Data ne s’arrête pas cependant à la livraison d’un modèle d’IA et d’un produit. Un monitoring technique et d’usage est déployé de manière systématique. Comment ? Au travers d’un tableau de bord de suivi mensuel de la santé du produit. Cette approche s’applique aux 5 produits développés à ce jour. Il en ira de même pour les 5 attendus d’ici la fin 2021 (puis une dizaine par an).
Chaque tableau de bord ainsi conçu est disponible sur PowerBI. Il comprend les KPI d’usage, comme le nombre de connexions quotidiennes et les résultats de l’enquête de satisfaction auprès des utilisateurs. L’analyse de l’usage se double d’un 2e volet portant sur le suivi de la performance technique, et enfin d’un 3e mesurant les gains générés.
« Nous mesurons si les gains financiers sont en ligne avec ce qui avait été défini durant l’exercice de business case en cadrage. Tous les mois, se déroule un processus de revue normalisé avec le métier, le contrôle de gestion et la data fonderie pour valider les gains », détaille l’expert d’Eramet.
En tenant compte des coûts d’infrastructure et de développement, l’industriel peut mesurer le retour sur investissement et justifier plus facilement d’autres déploiements. Mais « il reste encore beaucoup à faire », reconnait-il.
Les améliorations attendues concernent l’accompagnement du métier pour ancrer les pratiques, la formation, le renforcement des relais locaux et la gouvernance projet. La Data Foundry souhaite en particulier raccourcir les cycles de quelques mois à quelques semaines.
La Data et l’IA au service de l’environnement
Malgré un fonctionnement en équipe intégrée, il n’est cependant pas toujours simple de coordonner les parties et « d’avoir les bons experts au bon moment. C’est compliqué d’avoir accès à toutes ces ressources. Elles sont très sollicitées ». A noter que ces différents axes de progrès sont communs à tous les projets.
Eramet développe aussi des solutions digitales pour d’autres pans de son activité, dont l’expérience commerciale et l’exploration minière. Il s’agit notamment pour l’entreprise de recourir au machine learning pour estimer plus finement les ressources en sous-sol ou réduire la consommation énergétique. Les applications environnementales de la Data sont également amenées à croître.
« Nous avons un beau cas au Sénégal qui arrive en production sur la détection automatique des arbres et de la végétation autour de nos mines. Nous aurons de plus en plus de cas d’usage sur la partie environnement », confie le chief data officer à Alliancy.fr. Un impératif pour un industriel qui a pris des engagements RSE « très forts ».