En 2018, le groupe Veolia a annoncé son intention de fermer tous ses datacenters pour être l’une des premières grandes entreprises mondiales à passer 100 % en cloud. Objectifs : obtenir une agilité sans précédent et changer en profondeur son rythme d’innovation. Éric Blanchot, DSI de Veolia RVD explique l’impact concret de ce choix sur la stratégie d’innovation de sa Business Unit.
Alliancy. Le choix du groupe Veolia d’avancer au pas de course vers un modèle 100 % cloud a été très médiatisé : pourquoi cela surprend-il autant ?
Éric Blanchot. Beaucoup d’entreprises se posent de nombreuses questions sur leur modèle cloud. De notre côté, nous sommes dans une logique cloud first assumée. Autrement dit : tout nouveau projet se fait en cloud et uniquement en cloud. Cette clarté nous permet d’avancer vite… d’autant plus que la principale caractéristique du cloud est de donner de la vitesse à une entreprise.
Au sein de Veolia RVD (Recyclage et valorisation des déchets), quels projets permettent d’illustrer cette doctrine et le gain de vitesse que vous lui attribuez ?
Éric Blanchot. Un exemple direct : Veolia a fait le choix d’investir dans la production de plastiques recyclés. Nous avons choisi une solution de gestion de production en SaaS ce qui nous a permis d’industrialiser cette activité stratégique en moins de 10 mois. Cependant, notre philosophie va beaucoup plus loin. Nous avons ainsi digitalisé toute la collecte des déchets des entreprises.
Cela part de la commande d’enlèvement en ligne, jusqu’au suivi des opérations : le chauffeur est géolocalisé et guidé vers le client ; le moment de son arrivée, de son départ, le poids des déchets enlevés sont tracés… En temps réel, notre client peut ainsi visualiser sa demande de retrait et bénéficier de toute sa documentation en ligne.
Et le cloud a-t-il eu, là aussi, un rôle central dans cette transformation ?
Éric Blanchot. Nous sommes allés vite sur une énorme innovation pour nos clients. Quand nous avons mis en place ce système, nous l’avons fait sur le cloud AWS. Cela a été d’autant plus intéressant que nous avons rapidement eu une problématique de goulot d’étranglement sur la remontée des données venues des véhicules.
« L’enjeu de notre DSI, c’est la recherche de cohérence alors que notre démarche d’amélioration est forcenée ! »
Nous avons dû prendre le temps d’améliorer le code, sans pour autant nuire aux opérations. Les infrastructures cloud nous ont permis d’ajuster sur cette période le nombre de machines, sans nuire aux métiers. S’appuyer sur AWS nous permet d’agir de façon incrémentale en partant d’un MVP (Produit viable minimum) : on peut avoir un ROI (Retour sur investissement) très rapide, obtenir de la satisfaction de la part des métiers avec des résultats concrets et éviter des effets tunnels dommageables. On complète au fur et à mesure, mais surtout on avance vite. Autrement dit, c’est le corollaire naturel d’une cellule devops comme celle que nous avons mise en place. La nôtre a pris son rythme de croisière et fait une mise en production, à travers des conteneurs, tous les 15 jours dorénavant.
Le cloud vous permet-il d’accélérer sur des sujets structurants comme l’IA ou l’IoT ?
Pour schématiser, nous devons nous assurer contractuellement que les conteneurs ne débordent jamais, tout en optimisant nos relèves et notre maintenance. L’analyse de données variées, comme la météo et le jour de la semaine, nous permet de prévoir l’évolution des taux de remplissage. Avec des capteurs connectés, nous recoupons cette information car nous savons alors à quelle vitesse les conteneurs se remplissent et nous recevons des alertes avant qu’ils ne soient pleins.
À quel point votre DSI était-elle prête pour ces changements ?
Éric Blanchot. La DSI de Veolia RVD est composée de 280 personnes, dont 80 acteurs directement sur
le terrain et une centaine d’externes. Nous avons un budget d’environ 50 millions d’euros. Nous étions dans un contexte de virtualisation à 80 % de nos systèmes, avec un datacenter actif/actif complètement redondé et « zéro perte de données et de temps ». Aujourd’hui nous migrons tous nos applicatifs sur le cloud AWS en gardant une vraie maîtrise. Pour y parvenir, nous formons nos équipes internes à cette culture cloud différente de la culture datacenter. En parallèle, nous faisons rentrer de nouveaux acteurs en
externe, pour avoir une véritable transmission de compétences qui s’opère. C’est un équilibre à trouver. L’enjeu de notre DSI dans cette adaptation, c’était la recherche de cohérence alors que notre démarche d’amélioration est forcenée ! Mais surtout, il faut que ces gains de vitesse obtenus soient compatibles avec des gains notables en matière de transparence et de traçabilité.
Comment cela ?
Éric Blanchot. L’une des caractéristiques de notre métier du traitement de déchets est que, jusqu’à peu, il n’était pas très en avance dans la digitalisation. Aujourd’hui, nous rattrapons très vite d’autres activités en la matière et nous les dépassons. Cependant, notre activité est très réglementée et touche de près aux sujets complexes et sensibles liés à l’environnement. Toutes les actions que nous menons doivent dans ce contexte être connues, tracées et démontrables. Nous sommes face à un prodigieux enjeu de confiance. Notre activité qui a longtemps été vue comme un sujet de « ferrailleurs » s’est tournée avec maturité vers des défis de bien commun et d’avenir de notre planète. Nous voulons donc montrer à nos clients et à l’État que nous ne nous contentons pas de nous débarrasser du problème des déchets, que nous allons plus loin et que nous réalisons notre mission de la meilleure façon qu’il soit. Comme de nombreux restaurants, nous rentrons donc
en conséquence dans une culture de « cuisine ouverte » à tous les niveaux. Le cloud est compatible avec cette culture, car il permet de libérer notre temps et notre énergie pour nous concentrer à la fois sur l’innovation, le contrôle et la transparence