En avril 2021, durant 3 jours consécutifs, l’équipe Design des services numériques de la direction interministérielle du numérique (DINUM) a organisé un webinar intitulé « L’Etat centré usagers ? Oui c’est possible ». Son objectif était de revenir sur 7 mois de travail qui consistaient à « améliorer l’expérience utilisateur et l’accessibilité numérique de 10 des 250 démarches administratives les plus utilisées par les Français ». Cet événement a pu mettre en lumière une approche encore méconnue qu’est l’utilisation du « design » pour moderniser l’action publique. Arnaud Frémont, consultant pour le cabinet de conseil Square, nous livre son analyse.
Bien que très peu connu, le design public comporte plusieurs dimensions. Le « design » se traduit par la conception d’un objet ou d’un service. Appliquée au secteur public, cette notion peut renvoyer à la réalisation d’une solution informatique, d’un bien matériel ou encore d’une politique publique. Le chercheur en design et philosophe du numérique Stéphane Vial évoque une « extension progressive du champ du design à des systèmes plus complexes incluant des interactions et des services » (Vial, 2017).
Jusque très récemment, la notion de design était réservée au secteur privé et contribuait essentiellement à la conception industrielle (ferroviaire ou automobile). Cette notion a émergé progressivement dans la sphère publique pour devenir indispensable aujourd’hui. Ainsi, comment le design appliqué au secteur public peut- il contribuer à accélérer la transformation publique ?
Un écosystème de plus en plus étoffé et des outils plus nombreux autour du design public
Le recours au Design Public a été favorisé par l’émergence d’un écosystème qui s’est étoffé au sein même des administrations. Progressivement, en particulier depuis 2017, les directions interministérielles comme la DITP et la DINUM ont intégré au sein de leurs équipes des designers permettant de concevoir des politiques publiques prenant en compte davantage le point de vue de l’usager. Également, le pôle Design des services numériques (rattaché à la DINUM) s’est fixé pour objectif de concevoir « des services publics numériques accessibles, inclusifs et humains ». Ce pôle anime des « commando UX » et a pour mission d’améliorer l’expérience usager des 250 services publics numériques les plus utilisés par les Français. D’autres acteurs moins visibles contribuent à cette évolution. En effet, des agences ou think tank comme « Vraiment Vraiment », le collectif FP21 ou encore la 27ème région sont de fervents soutiens et relais en matière de développement du design de service public.
Proposés par ces nombreux acteurs, plusieurs outils peuvent être mobilisés afin de réaliser du design de service public. D’abord, la DITP propose notamment une offre complète d’accompagnement (dont la mise en place d’un commando UX ou l’observatoire de la qualité des démarches en ligne). La méthodologie utilisée lorsque l’on déploie du design de service public est ce que l’on appelle le « Design thinking ». Elle permet de répondre à une problématique grâce à une solution conçue par une processus d’idéation et d’expérimentation de solutions selon des catégories de personnes « des personnas »).
Ensuite, l’un des outils très utilisé est l’utilisation des sciences comportementales et cognitives afin d’améliorer l’expérience usager et l’accessibilité. Cela consiste à mieux comprendre comment les usagers se comportent face à certaines situations afin d’anticiper les besoins et mieux y répondre. L’utilisation de ces sciences se fait en complémentarité avec d’autres outils plus pragmatiques comme des checklist, des diagnostics, des tests usagers, des bonnes pratiques ou encore la possibilité de déposer des « issues » sur un site. Enfin, ces acteurs peuvent dispenser des formations générales et spécifiques sur le design, l’accessibilité, ou encore le numérique responsable.
Le Design au service de la transformation publique centrée sur l’usager
Les domaines d’application du design de service dans le secteur public sont très vastes. D’abord, cela permet une accélération de la transformation numérique des administrations. En effet, l’utilisation des méthodes de design permet de mettre en place des expérimentations et des tests sur certains projets et pour celles qui sont concluantes, ces solutions sont déployées à une petite échelle dans un premier temps puis généralisé à toute l’administration par la suite. Cela favorise une amélioration continue.
Ensuite, le design public permet de prendre en compte davantage les retours des usagers afin d’en améliorer l’expérience. L’objectif étant de rendre les services et démarches plus accessibles simples et inclusives. En se basant sur les irritants remontés par les usagers, des commandos UX sont déployés pour améliorer l’utilisation du service et ainsi améliorer la satisfaction des usagers. Enfin, l’utilisation du design de services permet de répondre aux enjeux environnementaux. En effet, les solutions issues de l’utilisation du design induisent une utilisation plus importante du numérique à travers la dématérialisation et par conséquent moins de papier à terme.
Plusieurs exemples illustrent cette transformation à travers l’utilisation du design de service appliqué au public. D’abord, un commando UX a été déployé en septembre 2020 afin d’améliorer l’expérience des agriculteurs sur 2 démarches phares : le site « Mes démarches » et la déclaration de détention et d’emplacement des ruches. L’intervention a permis d’une part de mieux comprendre les besoins des agriculteurs dans le cadre de ces et d’autre part de proposer de nouveaux parcours pour adapter les démarches aux besoins identifiés. Ainsi, la satisfaction des usagers a été améliorée. Ensuite, un commando UX a été déployé en 2020 afin de rendre plus accessible la démarche de demande de titre de séjour. Les objectifs sont nombreux.
A lire aussi : David Ruiz (e.Voyageurs SNCF) : « Nous disposons d’énormément de moyens pour capter la voix du client. »
D’une part, de donner aux usagers étrangers une ergonomie unifiée, d’autre part, simplifier l’accès à nos procédures et service pour des usagers étrangers et enfin, d’homogénéiser les portails existants dans un souci de compréhension. Enfin, un dernier exemple très concret concerne l’utilisation du design au sein de l’hôpital. Au sein du GHU Paris (groupement hospitalier orienté autour de la psychiatrie), la démarche de design service a été appliquée notamment sur l’accueil des patients, la salle d’attente ou encore la chambre du patient. Cette démarche consiste d’une part à interroger toutes les parties prenantes impactées puis de repenser l’espace, les usages, les besoins, la communication et la visibilité pour répondre davantage aux attentes des usagers et des patients.
Une pérennisation en demi-teinte ?
L’utilisation du design de service transforme profondément la manière de concevoir les politiques publiques à l’échelle d’un territoire, d’une administration ou de l’Etat et apporte déjà des résultats concrets. Ils participent également à renforcer la satisfaction des usagers à travers une plus forte implication et une prise en compte des irritants. Les acteurs de cette transformation sont encore plus nombreux et mieux organisés, qu’ils soient internes ou externes à l’administration. Cela participe enfin à une association plus étroite des usagers au service de davantage de démocratie et de transparence vis-à-vis de l’action publique.
Cependant, il subsiste un problème de dépendance vis-à-vis du privé car peu de compétences sont disponibles en interne. Le design appliqué au service public est une approche nouvelle et selon l’association FP21, il est nécessaire de combler un déficit d’offre dans la formation des fonctionnaires. Il demeure également une problématique de passage à l’échelle de ces approches.
En effet, cette démarche peut être facilement appliquée à un projet précis ou à une petite équipe mais difficilement extensible à l’ensemble des administrations (par manque de moyens, de compétences ou encore de vision stratégique et de valorisation). Enfin, une autre difficulté à laquelle se confronte l’administration est l’accessibilité pour les personnes âgées. L’illectronisme est encore très présent et il peut en résulter un « conflit générationnel » entre utilisateurs des nouvelles technologies, plutôt associés aux plus jeunes et les plus anciens qui peuvent être plus réticents et qui éprouvent encore beaucoup de difficultés dans leur utilisation.