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Etienne Bureau (Devoteam) : “L’IA peut être mise au service des valeurs d’entreprise, du moment qu’elle est mise à l’échelle des pratiques humaines”

Lors d’une task force en 2018, Devoteam et l’EBG ont réuni pendant 6 mois une trentaine de marques pour échanger leurs visions sur l’amélioration des conditions de travail grâce aux outils cloud. A partir des retours d’expérience collectés, Devoteam a décidé de renouveler l’expérience cette année en ajoutant une note prospective à la démarche. Contacté par Alliancy, Etienne Bureau, directeur de la stratégie et de l’innovation chez Devoteam, revient sur ce dernier livre blanc intitulé : “Transformer la collaboration grâce à l’IA”.

Etienne Bureau, directeur de la stratégie et de l’innovation chez Devoteam

Alliancy : Qu’est-ce que vous retenez des retours d’expérience que vous avez obtenus pour ce dernier livre blanc ?

Etienne Bureau. L’année dernière nous avions animé une task force sur le thème : Comment améliorer l’expérience des collaborateurs et le travail du quotidien avec des outils du cloud ? Au total, une trentaine de contributeurs représentant une vingtaine de sociétés – plutôt des grands groupes – ont partagé leurs retours d’expérience. Le premier livre blanc est donc le fruit d’un échange assez libre entre différentes entreprises, parfois concurrentes. La deuxième étape consiste à amener des éléments de prospective pour analyser comment la collaboration va évoluer dans le temps. Nous sommes au tout début de cette réflexion car il y a généralement un niveau de maturité très faible des entreprises sur ces enjeux. Parmi elles, certaines sont encore en proie aux fantasmes, valsant entre crainte et enthousiasme. D’autres ont déjà lancé des premiers groupes de pilote et souhaitent se forger une conviction. Mais une chose est sûre : si elles n’impliquent pas les collaborateurs, ça ne fonctionnera jamais.

Est-ce que l’IA a un rôle à jouer dans le bien être du collaborateur au travail ?

Etienne Bureau. J’ai la conviction que des “algorithmies bienveillantes” permettront de mieux observer les conditions de travail. Les DRH auront plus de facilités à identifier des cas de détresse, de stress, de pression… Pour appréhender la qualité d’un WorkPlace, les DRH pourront détecter ces signes à l’échelle de toute l’organisation. Non seulement elles auront des données sur la productivité intellectuelle des employés mais aussi sur la capitalisation de connaissances et le respect des valeurs. L’IA peut bien sûr être mise au service des valeurs d’entreprise, du moment qu’elle est mise à l’échelle des pratiques humaines. Au delà du sujet de perte de l’emploi, nous sommes face à une technologie qui a un fort potentiel sociétal notamment sur ces sujets de bien-être et de sécurité au travail. Jusqu’à présent, l’IA était considérée comme un moyen de faire à l’échelle et plus vite. Mais ce volet sociétal va forcément s’imposer dans la transformation numérique. C’est là que l’intérêt du débat et de la discussion prend sens sur la cohérence entre le modèle technologique adopté et les valeurs de l’entreprise. Avant, l’innovation technologique dérivait du monde du travail avant d’être adoptée dans la vie quotidienne. Aujourd’hui c’est l’inverse. Et demain, il n’est pas impossible que le sens s’inverse encore et que c’est les entreprises qui vont trouver les nouvelles voies de l’IA.

Comment déconstruire le mythe de la disparition du travail et assurer la confiance en l’IA ?

Etienne Bureau. Beaucoup d’entreprises pensent que ces problématiques de remplacement sont un sujet sensible. Elles restent prudentes car cela peut déclencher des réactions en interne si le processus est brutal. Il faut avant tout démystifier l’IA et la tester directement en interne, sinon l’organisation reste dans le débat d’idées. Les acteurs qui ont participé à notre livre blanc ont abordé ces questions dès le début. Et assez collectivement, nous avons décidé de conclure que la perte d’emploi n’était pas le centre du sujet. En revanche, il ne faut pas nier ou sous estimer le poids de l’automatisation sur le monde du travail. Ce n’est pas une démarche neutre et il est primordial que les collaborateurs soient engagés dès le début. Il faut les rassurer en leur faisant comprendre que l’IA sera là pour les aider et non les remplacer. Par exemple, dans le quotidien d’un chef de projet, il y a des prises de note, des compte rendu de réunion, etc… l’objectif avec l’IA est de lui faciliter le travail pour qu’il puisse se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. Le parcours algorithmique est un processus très long. Et pour assurer la bonne co-construction de cette transformation avec les collaborateurs, il est important de commencer par des choses simples, non anxiogènes avec une plus-value directe sur la qualité de vie au travail.

Comment s’assurer que la transformation numérique ne soit pas un poids en plus à porter par les collaborateurs ?

Etienne Bureau. Pour faciliter l’adoption de l’IA, il faut contrebalancer avec la réalité du terrain. Par exemple, un collaborateur qui travaille au sein d’une plateforme téléphonique doit parfois traiter la même question plusieurs fois dans la journée. C’est une tâche pénible et dans le cas de secteurs complexes comme les banques et assurances, il est difficile de connaître toutes les procédures et réglementations existantes. Chez Devoteam, nous sommes allés directement en immersion dans des équipes de standards téléphoniques pour identifier leurs difficultés et problématiques rencontrées. Une sorte de “cartographie du quotidien” qui permet de mieux cerner le sujet conversationnel. Il est clair que le design de l’expérience conversationnelle est à un stade plus avancé que dans d’autres domaines d’application de l’IA. Les chatbots sont dotés d’une capacité cognitive assez satisfaisante pour améliorer la collaboration. Tout l’enjeu est d’identifier les besoins humains au plus précis.

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Vers quel offreur et quelles technologies l’entreprise doit-elle se tourner pour faire gagner du temps à ses collaborateurs ?

Etienne Bureau. Le domaine de l’IA qui semble être le plus prometteur concerne les métiers qui traitent de grandes quantités de flux. Les développements en IA de traitement de l’information source permettraient progressivement à l’humain de s’affranchir du travail de pré-traitement de masses de données. C’est par exemple le cas pour la consultation de mails ou la lecture de nouveaux documents dans le monde de la recherche. Il y a de toute façon de nombreuses possibilités d’application de l’IA et libre aux entreprises de confronter des modèles génériques à leurs bases de données spécifiques. Sur le marché de l’IA, c’est plutôt les grands acteurs numériques qui conçoivent les algorithmes. Le data scientist aujourd’hui ne s’occupe pas de créer des modèles car les grands éditeurs sont déjà performants. Le data scientist fait de l’élevage, de la sélection et du croisement de données pour adapter le modèle au jeu de données et aux usages de l’entreprise. Si un modèle n’existe pas sur le marché, l’entreprise a aussi le choix d’être avant-gardiste. Il y a encore trop peu de solutions génériques en IA pour améliorer la collaboration. Donc si une entreprise a la conviction qu’un modèle représente l’avenir, elle a tout intérêt à se lancer, explorer et développer ses propres algorithmes.

Un conseil pour que les entreprises utilisent au mieux l’IA dans leur business ?

Etienne Bureau. Il n’y a pas vraiment de frein technique pour le modèle algorithmique mais il faut rester très pragmatique. L’idée n’est pas de réinventer toute l’organisation mais de commencer par le plus concret plutôt que les longues études. L’erreur la plus courante pour les entreprises est de partir de la solution technique avant le besoin. Développer une solution oui mais à qui va-t-elle servir ? Si les collaborateurs peuvent déjà échanger par Skype, pas besoin de faire développer un autre outil. Il faut prendre en compte le territoire technologique dans lequel se place l’entreprise et évaluer ses besoins. A terme, lorsque les premiers projets d’IA seront lancés, un effet boule de neige va accélérer la transformation. Les directions pourront alors engager une réflexion stratégique “top down” sur la place de l’IA dans l’entreprise et identifier des problématiques métiers plus larges. La clé pour développer une réelle culture algorithmique est donc de rester pragmatique, tout en s’efforçant d’expliquer, démystifier l’IA pour entretenir la confiance et la transparence dans la collaboration.

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