Les Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple) gagnent toujours plus de place sur le marché européen des technologies. Mais, pour certains, ces empires ne se conforment pas assez aux règles en vigueur sur notre continent. Au-delà de la lutte contre l’utilisation abusive de données personnelles ou l’évitement fiscal, c’est aussi et surtout un enjeu de souveraineté numérique, dont les autorités peinent encore à définir le périmètre exact.
Le ton se durcit ces derniers mois chez les politiques, à l’image de l’appel du député de Paris, Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d’Etat au numérique : « Un milliard d'euros par an ! C’est le manque à gagner pour l’Etat du fait de l’évitement fiscal des Gafam. Cela doit cesser ! ». Il épingle ainsi dans une note intitulée « Les hackers de la fiscalité », les pratiques d’optimisation fiscale des leaders américains.
Le combat contre les géants du web se profile aussi sur le front international. L’OCDE a rendu public mercredi dernier “une approche unifiée” sur la question de la taxation numérique. Cette réforme permettrait aux Etats d’imposer à toute entreprise qui fait du numérique son fonds de commerce une taxe en fonction du chiffre d’affaires généré sur leur territoire. L’OCDE présentera ses propositions la semaine prochaine aux ministres des Finances du G20 à Washington pour espérer voir un accord politique émerger entre les différents pays d’ici juin 2020.
En 2015, le parquet national financier français a engagé des poursuites contre Google pour fraude fiscale. Il est reproché à la firme de Mountain View d’avoir soustrait de l’argent au fisc entre 2011 et 2014 en faisant transiter ses revenus français vers des entités présentes en Irlande, aux Pays-Bas et aux Bermudes. L'administration française réclamait 1,15 milliard d'euros mais fin 2017, Google gagne son recours devant le tribunal administratif. Pendant ce temps, le gouvernement français n'a pas lâché du lest : Bruno Le Maire, ministre de l’économie, a fait voter le 8 avril dernier un projet de loi de taxation des Gafa sur les bénéfices tirés notamment de la publicité en ligne et l’exploitation des données personnelles.
Trois mois plus tôt, c’est la Cnil qui épinglait Google en lui infligeant une amende record de 50 millions d’euros pour non-respect du RGPD. Le climat fiscal est pesant pour la multinationale… si pesant qu’elle a accepté le 13 septembre dernier de payer une amende record pour mettre un terme aux années de contentieux avec le fisc français. Au total, 500 millions d’euros au parquet national financier et 465 millions d’euros d’arriérés auprès de la Direction générale des Finances Publiques.
Sur un tout autre dossier, la Cours de justice de l’Union Européenne a tranché en faveur de Google en estimant que le « droit à l’oubli » ne se concevaient qu’au sein des frontières européennes, contrairement à l’interprétation de la Cnil, qui avait infligé à ce titre une amende de 100 000 euros à l’entreprise en 2016.
En juillet 2019, l’Union Européenne s’est finalement attaqué au colosse Amazon, en enquêtant de façon « approfondie » sur son double-rôle de retailer en propre et de fournisseur de plateforme pour ses concurrents. C’est en particulier l’usage fait par le géant des données des marchands indépendants qui vendent leur produit sur sa plateforme qui intéresse les autorités, au regard des règles antitrust européenne. En matière de pratiques restrictives de la concurrence, Amazon a également été sanctionné pour pratiques restrictives de la concurrence, par le tribunal de commerce de Paris après deux ans d’enquête sur le fonctionnement des places de marchés online menée par la DGCCRF. Le tribunal a notamment
indiqué que la position d’Amazon comme « quasi-gardien de l’accès aux marchés et aux consommateurs » était problématique, de même que le caractère déséquilibré de nombreuses clauses contractuelles. L’amende de 4 millions d’euros prononcées en guise de sanction est cependant deux fois moins importante que celle demandée par Bercy.
Bruno Le Maire continue de scruter les Gafa et c’est cette fois-ci Facebook qu’il a dans le collimateur. A l’occasion d’une conférence de l’OCDE jeudi 12 septembre, le ministre de l’économie a exprimé ses réserves quant au nouveau projet de cryptomonnaie Libra que Facebook compte lancer à l’horizon 2020. Pour lui, c’est catégorique : il n’est pas possible de laisser Libra se développer sur le sol européen car il met directement en jeu la souveraineté monétaire des États. « Je ne vois pas pourquoi les nouvelles technologies seraient forcément guidées par une idéologie libertarienne qui refuse toute régulation et qui conteste tout rôle à l'État, a-t-il scandé. Je pense, au contraire, que l'on peut avoir des États forts et des technologies nouvelles puissantes. »
Pour autant, ce dernier n’est pas fermé à l’idée de développer une monnaie virtuelle mais à condition que les Etats membres de l’OCDE en gardent la complète maîtrise. Chez Criteo, le 3 octobre dernier, le ministre a été encore plus tranchant : « La création d’une monnaie digitale dans les mains de Facebook me paraît dangereuse ». De son côté, Facebook a annoncé vouloir ouvrir le consortium Libra a des Etats. Mais les passes d’armes successives commencent à entamer la confiance des partenaires industriels (Paypal, Visa, Mastercard…) de l’entreprise américaine, qui temporisent.
13 milliards d’euros : c’est le montant de l’amende que conteste Apple devant la Cours de justice européenne. La firme de Cupertino s’en tient ainsi à l’avis initial de Tim Cook, son patron, qui avait qualifié en 2016 de « foutaise politique » la décision de la Commission européenne de lui faire rembourser ce montant. Pour la Commission, il s’agit en effet des avantages fiscaux indus permis par l’implantation d’Apple en Irlande. Ce montage fiscal est très critiqué par les autres pays européen, qui a réduit les impôts sur les bénéfices des sociétés jusqu’au montant infinitésimale de 0,005%. Pour la Commission, il s’agit de l’équivalent d’une subvention étatique illégale, mais l’Irlande, elle, soutient complètement le géant américain, qui assure notamment 6000 emplois dans la ville de Cork.
Dans des cas similaires, le 24 septembre, le tribunal européen a donné gain de cause à Starbucks, à qui était réclamé 30 millions d’euros d’impôts aux Pays-Bas, mais pas à Fiat-Chrysler aux Pays-Bas et au Luxembourg. Dans une interview récente accordée au quotidien Les Echos, Tim Cook a d’ailleurs tenu à rappeler que sa société payait déjà beaucoup d'impôts… « Apple a toujours payé des impôts là où nous créons de la valeur. La question qui nous est posée, à nous les multinationales, est de savoir si nous payons nos impôts au bon endroit. Nous pensons que oui. Il y a des procédures en cours en Europe sur le sujet. Je souhaite que cette question soit tranchée au niveau de l'OCDE. »